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II. La nécessité de travailler

3.1 Les travaux des champs des femmes ou làfiyɛn tɛ

Nous rencontrons Latifa, une femme de 55 ans, en train de ramasser les haricots (la récolte est mauvaise à cause de la pluie qui a manqué lors des 3 dernières semaines). Elle a eu 5 filles, elles sont toutes mariées sauf la dernière qui a 12 ans. Ici, c’est le campement où les femmes ont leurs champs. Elles cultivent le maïs, le haricot, le pois de terre, le sorgho blanc, les arachides. Elles cultivent aussi du riz mais sur des parcelles à Bama. Elles ont beaucoup de travail cette année avec tous les champs, les leurs et ceux de leur mari qui n’est pas souvent présent parce qu’il travaille en tant que maçon en ville. Elle nous raconte que ce sont les femmes de la famille qui font tout : elles labourent, sèment, désherbent et récoltent. Elles se lèvent très tôt pour d’abord aller dans leurs propres champs avant d’aller commencer ceux de leur mari. Le soir après les travaux domestiques, elles retournent dans leurs champs. (Entretien, région Bama, 8.10.2017)

La saison des cultures débute à l'hivernage avec les semis, dès les premières pluies, et se termine avec la récolte du coton qui peut s'étirer jusqu'au mois de février (dans la zone étudiée). La préparation des sols peut commencer déjà au mois d'avril. Elles consistent à couper les tiges de coton. Puis vient le temps du labour. Les tâches sont en général traditionnellement réparties entre les hommes et les femmes. La préparation des champs ainsi que le labour sont des activités principalement dévolues aux hommes, pendant que les femmes et les enfants se chargent des semis. Néanmoins, il arrive que des femmes réalisent le labour et la préparation des champs parce qu’il n’y plus suffisamment de main-d’œuvre. Comme l’a raconté précédemment Maïmouna, et comme nous avons pu également l’observer au cours de notre enquête de terrain (Figure 12).

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Figure 13. Jeune femme qui participe au labour, 2016 Servais

Sur la photo (figure 13), une jeune femme guide les bœufs tandis qu’un jeune homme tient la charrue, aux alentours du village, 17.06.2016.

Dans la zone étudiée, l’activité des semis, c’est-à-dire la mise en terre des graines, est une activité féminine. Au cours de notre enquête de terrain, nous avons observé qu’elles sont parfois aidées par les enfants et les jeunes hommes. Avant d’ensemencer les graines, les femmes les préparent. Elles disent qu’elles les « mélangent » (un terme traduit littéralement du mot dioula ɲágami). Cette préparation consiste à traiter les semences avec un pesticide. Certaines femmes disent qu'elles ne traitent que les semences de leurs propres champs. D'autres ne s'occupent pas du traitement des semences de coton ; dans ce cas ce sont les hommes qui effectuent cette tâche. Nous reviendrons plus précisément sur cette étape dans une partie suivante consacrée au risque lié aux pesticides.

Les semences sont mises en terre par les femmes après le passage des herbicides pulvérisés par les hommes, ou simultanément. Les femmes s’occupent de toute l’activité d’ensemencement, aussi bien pour les cultures vivrières que pour les cultures de rente. Cette tâche les amène à être courbées en permanence. Pendant de longues heures, elles creusent un petit trou avec la daba, puis sèment la graine. Elles mettent plusieurs graines dans un même trou, afin d’augmenter les chances qu’au moins l’une d’entre elles germe. Cette pratique leur ajoute en réalité un travail supplémentaire au moment du désherbage.

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Figure 14. Femmes qui sèment les graines de coton, 2016 Servais

Sur la photo (figure 14) 4 femmes et un jeune homme sont en train d’ensemencer un champ de coton. Au premier et second plan nous pouvons voir des femmes avec leur bébé au dos. Aux alentours du village, 15.06.2016.

Deux semaines après les semis, elles déposent l’engrais chimique aux pieds du coton et du maïs. Elles effectuent deux passages ; le premier avec le NPK182, puis

le second avec de l’urée. Puis vient le désherbage où là aussi, « c’est le travail des

femmes ». 45183 jours après la pulvérisation de la colle (herbicide puissant), l’herbe

repousse de manière plus ou moins abondante. Selon les femmes, cela dépend de la manière dont ont été appliqués les produits, de la quantité de pluie qui est tombée et de la nature des sols. D'après elles, la manière de pleuvoir et la nature des sols influent aussi sur l'efficacité du produit. Pour certaines, s'il pleut beaucoup, l'herbe repousse vite. D'autres disent que c'est l'effet conjugué avec les engrais chimiques. Dans tous les cas, cela intensifie leur travail de désherbage.

Cette tâche est très longue. Elle doit être réalisée dans tous les champs (cultures vivrières de céréales et haricots et cultures de rente) et de manières répétées dans un même champ. Cette tâche est importante comme le souligne Bintou (30 ans) :

« Quand il y a trop d’herbe au pied de la plante ça boit tout l’eau et ça laisse la plante (la plante va sécher) ». Pour cette jeune femme, le désherbage est une tâche

fastidieuse qui demande une présence répétée dans les champs :

« Les travaux sont devenus difficiles mêms s’il y a les herbicides qui aident un peu. Même si on traite, ça (les herbes) revient. [...] tu sarcles et pas longtemps après, le champ est pris encore par les herbes donc il faut encore désherber. Si tu ne fais pas attention tu risques de ne rien avoir même (c’est-à-dire que la semence va pousser dans les herbes et ne va rien donner). Il faut toujours être dans les champs pour contrôler. » (Causerie, au village, 19.03.2017)

182 Engrais minéral à base d’azote, de phosphore et de potassium.

183 Ce sont des indications qui m’ont été rapportées par les hommes. Elles correspondent aux règles à suivre dans l’utilisation de ces produits. Dans la réalité, elles ne sont pas aussi scrupuleusement suivies.

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En réalité, ce qu'elles nomment « désherber » comporte plusieurs tâches qui se déroulent selon des étapes précises. Elles commencent d’abord avec le sarclage qu'elles exécutent à l'aide de la daba, elles appellent cette étape en langue dioula

(ka) kɔ́ rɔ shyɛ́n signifie littéralement (gratter) grattage sous les herbes. Une fois le

sarclage terminé, au bout d'un mois environ, elles doivent désherber de nouveau dans les champs où l’herbe a repoussé à cause de la pluie. Cette fois-ci, elles n'utilisent plus la daba, elles arrachent les herbes avec les mains (ka bín bɔ̀ en dioula). Par ailleurs, au moment de la mise en terre des semis, les villageoises ont déposé plusieurs graines dans un même trou. C'est pourquoi, en même temps qu'elles désherbent à la main, elles diminuent aussi (ka dɔɔ bɔ̀) le nombre de pieds des céréales. Cette dernière opération permet au pied épargné de bien pousser. Ce travail apparaît sans fin, comme l’exprime Bintou :

« On ne peut pas tout désherber jusqu’à la récolte parce qu’il y a toujours de l’herbe. On ne peut pas tout désherber. Dès que nous avons terminé un champ, l’herbe apparaît dans un autre. Làfiyɛn tɛ (il n’y a pas de repos). Donc il n’y a rien à faire quand nous sommes trop fatiguées, nous laissons et nous verrons bien ce que nous allons gagner à la récolte. » (Causerie, au village, 19.03.2017).

Le moment des récoltes est également une période pénible pour les femmes. Cette tâche leur est entièrement dévolue et dure plusieurs mois. Chaque culture (céréales, légumineuses et coton) nécessite d’être ramassée dans les temps et selon un certain ordre même si les différentes récoltes peuvent se chevaucher. Dans tous les cas, le cycle des récoltes s’enchaîne pour les femmes. Il commence par les arachides qui apparaissent comme la récolte la moins pénible par rapport aux autres. Ce sont les hommes qui déterrent à la daba les pieds des plants d’arachides, très tôt le matin, à la fraîche. Les femmes récoltent ensuite les gousses d’arachides sur les plants qu’elles ont préalablement rassemblés en tas à l’ombre des arbres, comme nous pouvons le voir sur la photo :

Figure 15. Femmes et enfants qui récoltent l'arachide, 2016 Servais

Les femmes s'installent sous l’ombre des arbres pour récolter toute la journée les gousses d’arachides (figure 15). Elles sont aidées par les enfants (de tout âge, c'est-à- dire dès qu'ils sont en mesure d'effectuer la tâche) et certains hommes, en général les plus âgés.

La récolte des haricots est effectuée à la même période et entièrement par les femmes. Puis lui succèdent celles du maïs et du mil. Pour la récolte de ces deux

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céréales, c’est l'homme en général qui prépare le travail des femmes en coupant les tiges. A défaut, s’il n’y a pas suffisamment d’hommes pour réaliser ce travail, ce sont les femmes qui l’exécutent. Ainsi nous retrouvons la répartition des tâches où les hommes coupent la tige, puis la piétinent, les femmes passent dans le champ à leur suite et ramassent les épis qu’elles rangent un par un dans de grandes bassines qu’elles portent ensuite sur la tête pour les rassembler en tas comme nous avons pu l’observer au cours de l’une de nos visites au village :

Deux femmes s’affairent à ramasser les épis de maïs dans un champ qui paraît immense, l’une porte sa petite fille au dos. Chacune dispose d’une grande bassine en métal qu’elle remplit d’épis. Une fois le récipient plein, la jeune femme aidée d’une autre, le hisse sur sa tête et part en verser le contenu sur un monticule d’épis de maïs situé sous l’ombre d’un arbre. A côté du tas, un bébé est posé à l’abri dans une petite bassine bleue en plastique. […] Les femmes sont en nage […] Il fait extrêmement chaud. […] Elles sont 4 à travailler depuis le matin […] Les deux plus jeunes ont été envoyées par la tante de (nom du propriétaire du champ) pour aider à la récolte du maïs. La plus jeune devance le reste de l’équipe. Elle rentre à la concession pour préparer le repas du soir (Extrait de carnet de terrain, au village, 22.10.2016).

Figure 16. Femme qui ramasse le maïs, 2016 Servais

Sur la photo (figure 16), une jeune femme avec son bébé au dos ramasse les épis afin de les entasser dans sa bassine. Ce jour-là, elles sont 4 femmes pour ramasser le maïs dans un champ de deux hectares. Aux alentours du village, 22.10.2016.

Le ramassage du coton se fait à la main (c’est ce qui fait la qualité du coton burkinabè) et peut durer 2 mois et demi selon le nombre d’hectares et l’importance de la main-d’œuvre. Celle-ci est constituée principalement de femmes et d’enfants. Dans certaines familles, la récolte se fait ensemble avec les hommes. Le ramassage du coton est un moment redouté par les femmes parce qu’il est long, demande plusieurs passages sur une même rangée. Les femmes passent en effet de longues heures au soleil. De plus, le coton provoque des effets sur le corps.

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Selon une cultivatrice, « le coton ça gratte » et elle me montre son bras, faisant mine de se gratter. Pour les femmes, c’est la poussière qui se dégage du coton qui provoque ces démangeaisons et qui donne aussi le rhume (Extrait carnet de terrain, au village, 22.10.2016).

Figure 17. Femme enceinte qui récolte le coton, 2016 Servais

Djénéba a 34 ans, elle est enceinte de 7 mois. Elle travaille dans les champs de maïs, de mil, d’arachides et de haricots. Elle est aidée par des ouvriers agricoles. Elle cultive aussi son champ de coton (un demi hectare). L’argent du coton lui permet de payer l’entretien des enfants (4). Elle est seule aujourd’hui pour ramasser, personne n’a pu venir l’aider. Elle estime que la récolte du coton va durer un mois. Son mari a un emploi à Bama et cultive le riz là-bas. (Entretien, aux alentours de Bama, 01.12.2016)

La description des travaux agricoles en milieu rural que nous avons présentée n’est pas exhaustive mais elle permet de considérer l’enchaînement des tâches agricoles qui ne laissent aucun répit aux femmes pendant cette période et qu’elles expriment sous la formule « il n’y a pas de repos ». En outre dans la zone étudiée, la récolte des noix de karité et leur préparation en vue de la fabrication du beurre s’ajoute aux travaux des champs. La récolte commence à partir du mois de mai de manière concomitante avec les activités de semis puis de désherbage. Afin d’assurer toute leur charge de travail (qui comprend les tâches domestiques, les travaux des champs, le ramassage et la préparation des noix de karité) elles sont contraintes de se lever très tôt comme le racontent les villageoises au cours d’une causerie :

Catherine (36 ans) : « C’est fatigant, le fait même de se lever tôt pour aller ramasser les noix de karité, revenir à la maison préparer encore, repartir aux champs pour semer, ce n’est pas du tout facile. Il faut vraiment être patient (mùɲu).

Salimata (46 ans) : si tes travaux sont diminués tu peux aller ramasser, tu peux aussi aller le soir ramasser. […] Pendant la saison pluvieuse, nous nous levons très tôt puiser de l’eau avant d’aller ramasser les noix de karité aux champs, revenir préparer et repartir aux champs pour

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semer. Pour le bois, au moment de la pause (à midi après le repas) nous rentrons en brousse chercher le bois, déposer. Et le soir en rentrant à la maison, nous amenons en même temps. » (Causerie, au village, 18.03.2016)

Les noix de karité sont souvent ramassées très tôt le matin, d’autres le font après les travaux des champs. Certaines partent en effet dès 4 heures du matin chercher des noix de karité parce que comme l’explique Salimata « Si tu ne pars vite, les

autres vont te devancer », comme s’il s’agissait d’une course. Le ramassage dans

les champs est très réglementé (les noix appartiennent au propriétaire du champ) ; ce qui limite l’accès aux noix. C’est pourquoi les femmes s’empressent d’aller dans les zones non cultivées pour ramasser les noix auprès des arbres qui ne sont pas dans les champs. Néanmoins les zones en friche sont de plus en plus rares184, les

villageoises sont par conséquent contraintes de se déplacer de plus en plus loin et de se lever de plus en plus tôt.

En outre, les noix récoltées nécessitent d’être triées puis traitées afin qu’elles puissent être stockées avant d’être transformées en beurre185. D’après les femmes,

le traitement des noix consiste à trier les noix puis à retirer la pulpe comestible qui n’est pas mûre, ou tout ce qui est mal mangé186, pourri, ou encore qui contient de

la terre. Les noix sont ensuite mises à bouillir sur le feu. Cette préparation est nécessaire d’après elles sinon « la noix ne sera pas facile à travailler ». Les femmes racontent qu’elles préparent les noix après avoir terminé toutes les tâches domestiques c’est-à-dire à la lumière du soir ou même à la lampe torche.

Les villageoises doivent également effectuer les tâches domestiques (chercher et puiser l’eau, ramasser le bois, laver le linge et préparer les repas). Selon les configurations familiales, en l’occurrence, s’il s’agit de foyer polygame ou de familles qui ne sont pas organisées collectivement (chaque femme suivant son mari aux champs), les tâches domestiques sont plus ou moins lourdes. Ainsi dans un foyer polygame, les coépouses préparent chacune à leur tour.