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La féminisation du travail dans l’économie mondialisée

II. La nécessité de travailler

2.3 La féminisation du travail dans l’économie mondialisée

L’intégration progressive des économies nationales des pays du Sud dans l’économie mondialisée a en outre entraîné une augmentation du travail féminin dans le Sud et dans les pays du Nord et paradoxalement une dégradation des conditions de travail et une précarisation des femmes (avec une très faible rémunération et une protection sociale minimale voire absente dans les pays du sud) (Hirata 2003). Cette augmentation de l’emploi des femmes est aussi qualifiée de « féminisation du travail 179» (Kanji, Tan, et Toulmin 2007 : IX). Cette inscription

des activités des femmes dans la mondialisation a influé sur la division internationale du travail. Les femmes se trouvent ainsi reléguées dans des usines à des postes faiblement rémunérés pour fabriquer des produits voués essentiellement à l’exportation (Elson 2010). Par ailleurs, le travail féminin est fortement encouragé par les institutions internationales (Banque Mondiale, PNUD, OCDE) qui considèrent l’accès à un revenu comme un instrument vers l’autonomisation des femmes (Talahite 2010). Au Burkina Faso, Saussey et al. montrent comment la fabrication du beurre de karité et son intégration dans le circuit du commerce international est promu par le gouvernement burkinabè comme un moyen de lutter contre la pauvreté des femmes (Saussey, Moity Maïzi, et Muchnik 2008). Elle met également en évidence comment est instrumentalisé « l’imaginaire politico-écologique » du beurre de karité biologique et équitable auprès des consommatrices (ce sont en majorité des femmes) dans les pays du Nord, pendant que les productrices burkinabè perçoivent de « faibles revenus » pour un « travail long et fastidieux » (Saussey et Elias 2012). Contrairement aux femmes que nous avons rencontrées sur le terrain, les femmes qui fabriquent le beurre de karité pour l’exportation sont organisées en groupements féminins. Mais le fait d’être organisées ne leur permet aucunement de peser dans les négociations commerciales au niveau international (Saussey, Moity Maïzi, et Muchnik 2008). De plus, Hien qui a travaillé sur les itinéraires professionnels des femmes à Ouagadougou, montre que les femmes travaillent d’abord pour subvenir aux besoins du ménage, en l’occurrence prendre en charge la nourriture dans le foyer (Hien 2016). Ainsi au Burkina Faso, la féminisation du travail (qui induit des

179 Dans le sens où aussi les conditions de travail se dégradent pour les hommes et les femmes auxquels il est demandé plus de flexibilité (Kandji et al 2007).

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conditions de travail précaires) va de pair avec la « féminisation de la survie180 »

(Adjamagbo et Calvès 2012 : 4).

L’Afrique subsaharienne connaît actuellement la proportion de femmes actives la plus élevée sur le plan mondial, avec un taux de 64,6 % dont une part relativement importante se répartit dans l’agriculture (BIT 2017).

Le travail des femmes en milieu rural

Au cours d’un échange181, une vieille femme affirme que « ce qui fait souffrir les femmes pendant leur grossesse aujourd’hui, c’est le coton ». Elle ajoute « Ce sont les femmes qui souffrent dans tout ça et les hommes qui disent toujours que ça n’a pas assez de poids » (sous- entendu que le poids du coton récolté n’est pas suffisant ; le coton étant payé en fonction du poids). La personne continue : « Même celles qui sont enceintes travaillent beaucoup dans les champs et après l’accouchement, elles travaillent aussi, elles vont forcément tomber malades. » Une des jeunes femmes qui récolte les arachides intervient : « Même malgré ta grossesse tu travailles, tu fais tout pour les hommes et c’est toi qui sors perdante. Même donner quelque chose pour payer le sel, tu ne reçois rien. Tu souffres avec ton bébé dans le ventre jusqu’au bout. » (Causerie, au village, 29.10.2016)

Mariam a 19 ans, elle est enceinte. C’est sa première grossesse. Elle rentre dans son 9ème mois lors de notre rencontre au village. Elle est fatiguée mais elle doit rejoindre un groupe de femmes qui l’ont devancée pour aller désherber le champ de quelqu’un. Ce travail est rémunéré, elle va pouvoir gagner de l’argent. Pour elle, il n’y a pas de repos avant l’accouchement, elle travaille jusqu’au bout. Chaque jour, à 6h elle prépare le repas dans la cour familiale de son mari avant de partir à 8h travailler dans les champs. Elle dit qu’à la fin de la journée elle a mal partout, au dos, au bas du ventre, au niveau des cuisses. (Entretien, village, 26.08.2016)

Au village, les femmes que nous avons rencontrées se plaignent de travailler beaucoup pendant la saison des cultures. Les vieilles comparent leur époque à celle d’aujourd’hui, et trouvent que les femmes ont désormais plus de travail dans les champs qu’auparavant. Selon elles, ce phénomène d’intensification des travaux agricoles est dû aux cultures de rente, en particulier la culture du coton. Pour les femmes plus jeunes, c’est l’enchaînement des travaux pendant la saison des cultures qui est difficile. Aussi, dans un premier temps, nous allons décrire les travaux agricoles et non agricoles que réalisent les femmes pendant le temps des cultures et comment ils s’enchaînent, ne leur laissant aucun répit pendant cette

180 La succession des crises économiques à partir de la fin des années 1970 ont précarisé durablement « les chefs de ménage masculins », obligeant les femmes « à multiplier les activités « de survie » » dans le secteur informel » (Adjamagbo et Calvès 2012 : 5).

181 Avec un petit groupe de villageois composé de 4 femmes (dont deux très vieilles femmes et deux autres qui ont des enfants jeunes) et deux hommes (l’un est vieux et ne travaille plus dans les champs). Ce groupe était réuni pour récolter les gousses d’arachides sur les plants déterrés le matin puis rassemblés en tas à l’ombre des arbres (Extrait carnet de terrain, au village, 29.10.2016).

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période. Comme le sous-entend la formule consacrée qu’elles utilisent souvent en dioula làfiyɛn tɛ qui signifie « il n’y a pas de repos ». Dans un second temps, nous nous intéresserons aux facteurs qui entraînent cette intensification du travail des femmes en milieu rural.