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Les facteurs qui intensifient le travail des femmes en milieu rural

II. La nécessité de travailler

3.2 Les facteurs qui intensifient le travail des femmes en milieu rural

Comme nous l’avons abordé, la période des travaux des champs est un moment particulièrement éprouvant pour les femmes en milieu rural. Celles-ci sont en effet confrontées à une intensification des travaux des champs qui s’ajoute aux charges domestiques dans un contexte familial et social en évolution.

184 Ce phénomène est provoqué par l’extension continue des parcelles destinées aux cultures de rente par les paysans eux-mêmes mais aussi par des personnes extérieures qui rachètent les terres pour investir dans les produits agricoles.

185 Elles utilisent le beurre de karité pour leur usage personnel (dans la cuisine) ou bien elles le vendent sur les marchés pour avoir une rentrée monétaire.

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L’intensification du travail des femmes en milieu rural n’est pas un phénomène récent. Selon Coquery-Vidrovitch, l’instauration et le développement des cultures de rente pendant la colonisation ont eu pour effet l’intensification des travaux champêtres chez les femmes africaines. Celles-ci, en plus des cultures vivrières, ont dû aider les hommes, sans en retirer aucun bénéfice monétaire (Coquery- Vidrovitch 1994). Dans une région du Burkina Faso, Traoré montre que les femmes étaient peu impliquées dans les travaux champêtres avant l’introduction des cultures de rente pendant la colonisation (Traoré 2010). Par ailleurs, Coquery- Vidrovitch met en évidence la manière dont une innovation technologique comme la charrue développée auprès d’une communauté paysanne du Lesotho peut également induire une charge de travail supplémentaire pour les femmes.

« Elle (la charrue) permettait au mari de labourer des champs plus vastes, mais le temps du travail des épouses qui assuraient à peu près tout le reste y compris les semailles augmenta d’autant » (Coquery-Vidrovitch 1994 : 104).

Elle montre également comment les projets de développement notamment à travers les cultures maraîchères ont accru à nouveau le travail des femmes en milieu rural (Coquery-Vidrovitch 1994 :121-122).

Actuellement, ce phénomène d’intensification continue de s’amplifier, notamment dans la répartition des tâches qui devient de plus en plus déséquilibrée au détriment des femmes. La tendance montre en effet que le nombre de femmes travaillant dans l’agriculture est supérieur à celui des hommes. En 2010, 83,4 % étaient des femmes et 78,2 % des hommes (INSD 2017).

Cette répartition inégale prend les formes suivantes. Les femmes se retrouvent confrontées à une démultiplication des champs dans lesquels elles sont amenées à travailler. Elles travaillent dans les champs de leur mari qui sont dévolus à la culture de rente, le coton, et au maïs. Ces champs peuvent représenter plusieurs hectares, jusqu’à 5 hectares pour le maïs. Dans la zone étudiée, un cultivateur de coton peut posséder entre 3, 5 voire 10 hectares. Elles cultivent également leurs propres champs (les terres sont prêtées par le mari) où elles pratiquent les cultures vivrières (arachides, haricots, mil). Celles-ci sont destinées principalement à la consommation de la famille. S'il y a une production suffisante en quantité, elles peuvent vendre le surplus. Par ailleurs, dans ce village, les femmes pratiquent un système d'entraide qu’elles nomment legere. Dans le cadre de ce système, elles se constituent en groupe qui comprend entre 3 et 10 femmes (selon les femmes rencontrées). Ainsi constituées, les femmes se rendent en alternance dans les champs de chacune des membres pour aider aux travaux champêtres. Dans le

legere, il n’y a pas d’échange monétaire et seuls les champs des femmes sont

concernés. Néanmoins, d'après les femmes rencontrées, cette forme d'entraide est lente dans la mesure où chaque femme doit attendre son tour de champ. Elle est d’autant plus ralentie que les femmes lui préfèrent un autre système car elles préfèrent, disent-elles, aller « là où il y a l’argent ». Parallèlement, un autre système s’est en effet développé, ce qu’elles appellent en dioula contrat kɛ́ littéralement

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« faire contrat » ou ní yi contrat sɔ̀ rɔ «si tu gagnes contrat ». Dans ce cas, elles

partent travailler dans les champs d'autres cultivateurs moyennant une rémunération qui peut aller jusqu’à 500 FCFA187 la journée de travail. Cette pratique

concernait essentiellement le coton mais d’après les femmes, elle s’étend aux autres cultures comme le maïs, le mil, les arachides188. Nous pouvons apparenter

ce phénomène à celui que nous avons observé en milieu urbain, c’est-à-dire les travailleuses journalières. Traoré les nomme « ouvrières agricoles » (Traoré 2010).

« Les cultures du Sud-Ouest du Burkina ont profondément modifié leurs propres règles de répartition du travail entre les sexes. Les femmes qui ne pratiquaient pas la culture, y sont aujourd’hui contraintes et de plus, d’une façon intensive. Elles participent désormais à toutes les tâches agricoles. Aujourd’hui, dans certaines zones, et c’est le cas à Bondoukuy, les femmes sont considérées, et se considèrent elles-mêmes, comme de véritables ouvriers agricoles » (Traoré 2010).

Face à cette démultiplication des champs et l’expansion des surfaces agricoles, les femmes sont devenues la principale main-d’œuvre. Cette nouvelle répartition s’inscrit dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre provoqué par plusieurs facteurs. Le facteur principal concerne les transformations de la structure familiale qui s’est traduite par la nucléarisation et l’individualisation de la famille. Ces mutations de la structure familiale ont entraîné une réduction de la disponibilité de main-d’œuvre intra-familiale et un affaiblissement des systèmes d’entraide (Traoré 2010). Traoré précise que dans la communauté qu’elle a étudiée, les hommes n’hésitaient pas à devenir polygames afin d’avoir de la main-d’œuvre :

« Limités par le manque de moyens financiers et sans outils mécanisés (charrue à bœufs, tracteurs…) les hommes ne sont pas objectivement capables de cultiver et d’entretenir tous les champs qu’ils ont en leur possession avec une seule épouse à cause des surcroîts de travail que les champs demandent. La polygamie se retrouve la solution la moins coûteuse pour y parvenir puisqu’elle permet aux hommes d’avoir une main-d’œuvre gratuite » (Traoré 2010 : 166).

Par ailleurs, Traoré met en évidence que les femmes doivent assurer au sein du foyer davantage de charges matérielles et économiques (scolarité des enfants et nouveaux besoins issus de la société de consommation). Elles ont besoin par conséquent de développer des activités qui leur apportent des ressources monétaires. C’est pourquoi elles diversifient leurs activités en cultivant leurs propres champs (de coton notamment), en développant des activités de transformation et en travaillant comme ouvrières agricoles (Traoré, 2009). Traoré observe également dans la communauté villageoise étudiée que les femmes sont confrontées à une « multitude de tâches à accomplir » qui entraînent « une surcharge et une

187 Même les enfants travaillent et peuvent gagner 150 FCFA la journée.

188 Pour les arachides par exemple, la contrepartie peut ne pas être monétaire. Les femmes qui sont venues travailler sont rétribuées avec une partie de ce qu’elles ont récolté.

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intensification du travail ». De ce fait, « les femmes n’ont plus de temps de repos » (Traoré 2010 : 252).

Nous évoquerons également deux autres facteurs même s’il est difficile d’évaluer leur importance et bien que nous n’en ayons pas observé la même traduction sur le terrain de notre enquête. Le premier repose sur « l’appropriation masculine des fruits du karité » (Saussey 2011 : 118). Ceux-ci sont en effet devenus une matière première très convoitée pour la fabrication et l’exportation du beurre de karité sur les marchés internationaux189 (Saussey 2011). A tel point que le ramassage des

noix de karité dans les champs est soumis à des règles coutumières très contrôlées par les propriétaires qui ont désormais compris la valeur économique de ces fruits et en ont par conséquent restreint l’accès (Saussey 2011). Ceci amène les femmes à rechercher les noix sur les terres libres, situées loin dans la brousse, les soumettant à une double contrainte décrite par Saussey, à un moment où elles sont pleinement occupées par les travaux champêtres.

« […] [L]es femmes se heurtent à de nouvelles contraintes liées, d’une part, au manque de temps : les femmes doivent partir avant le lever du jour pour effectuer le ramassage (elles doivent ensuite revenir dans leur concession pour préparer le repas, et enfin regagner les champs pour les travaux des cultures) ; et, d’autre part, à l’absence de moyens de transport pour se rendre dans des zones distantes de plusieurs kilomètres de leur lieu de résidence et pouvoir ramasser de grandes quantités de fruits : à défaut de posséder des charrettes ou des vélos, les femmes se rendent à pied et rapportent les fruits ramassés dans des bassines » (Saussey 2011 : 119).

Le second facteur est en lien avec le développement des sites d’orpaillage au Burkina Faso. Dans la zone de notre étude, plusieurs cultivateurs de coton rencontrés ont observé une réduction du nombre des ouvriers agricoles (venus de la ville) qui se présentaient à eux pendant la période des cultures190. Deux

cultivateurs ont évoqué l’attractivité que suscitent les sites d’orpaillage auprès de ces jeunes hommes et des jeunes actifs ruraux. Ceci vient directement concurrencer le travail saisonnier dans les champs. Néanmoins selon eux, le phénomène est plus prégnant dans la région de Dandé (plus au nord sur la route du Mali). Dans son mémoire de maîtrise, Kindo a étudié les conséquences de l’activité d’orpaillage installée dans la zone rurale étudiée191 (Kindo 2015). La

désaffection des jeunes actifs ruraux pour les travaux agricoles au moment de l’hivernage192 provoque en l’occurrence une pénurie de main-d’œuvre. Celle-ci se

189 Activité féminine fortement encouragée par les organisations de développement et le gouvernement burkinabè à partir des années 1990 (Saussey 2011).

190 Ce qui a pour conséquence une hausse du prix de la main-d’œuvre pour les travaux des champs.

191 La zone étudiée par Kindo est la commune rurale de Yé dans la Province du Nayala, région de la boucle du Mouhoun (Kindo 2015).

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répercute sur les femmes qui voient accroître leur charge193 de travail dans les

champs « où certaines tâches qui étaient exclusivement reconnues comme des

tâches masculines seront désormais exécutées par ou avec les femmes » (Kindo

2015 : 62). Cette « participation totale à tout le processus de la production agricole » (Kindo 2015 : 63) les amène également à manipuler les pesticides et les herbicides alors qu’elles n’ont bénéficié d’aucune formation (Kindo 2015 : 66), ce qui les expose à de nombreux risques sanitaires comme nous le développerons plus loin.