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II. Les politiques sanitaires internationales : vers le risque zéro ?

4.2 La santé maternelle comme champ d'application

La santé maternelle et infantile devient le champ sanitaire privilégié pour l'application de ces SSPS qui suscitent de nombreux débats avec les tenants des SSP. Quatre interventions88 sont d'abord retenues et visent prioritairement la survie

des enfants : la surveillance de la croissance chez l’enfant, la réhydratation orale par un soluté hydrique de sucre et de sel, l’allaitement et la vaccination. Puis en 1983, la stratégie des SSPS s'étoffe avec trois interventions supplémentaires spécifiques à la santé des mères89 : le planning familial et l’espacement des

naissances, les campagnes d'alphabétisation des femmes et la supplémentation alimentaire.

Ces interventions sont choisies parce qu'elles sont conformes à l’approche coût /efficacité développée. Elles ont un fort impact à court terme et le budget qui leur est consacré est limité. Elles sont de plus faciles à évaluer/mesurer, ce qui attire certains bailleurs de fonds, chercheurs et organismes (Basilico et al. 2013 : 82) L’UNICEF devient le fer de lance des SSPS financés par la fondation Rockefeller. Ceux-ci se concrétisent sur le terrain par des programmes verticaux dont les plus significatifs demeurent les grandes campagnes vaccinales qui ont connu un vif succès et ont permis certains progrès sanitaires (rougeole, tétanos, polio, diphtérie…) 90 (Cueto 2004) et de réels succès en termes de baisse des maladies

préventibles. Néanmoins, ces campagnes menées au nom des SSPS sont plutôt axées sur la santé de l'enfant, et les principaux éléments qui ont déterminé l'adoption de ces interventions sont les contraintes politiques et économiques imposées aux décideurs formés aux mêmes approches en santé publique (Unger et Killingsworth 1986).

En réalité, les SSPS mettent l’accent sur les interventions biomédicales et excluent les facteurs politiques, sociaux et économiques en lien avec ces problèmes sanitaires. De plus les interventions n'ont pas permis le renforcement des systèmes de santé. Les structures sanitaires n'ont pas été développées, ni le nombre de

87 Selective Primary Health Care en anglais (SPHC) (Basilico et al. 2013).

88 Dénommées sous l’acronyme GOBI en anglais : Growth monitoring, Oral rehydration therapy, Breastfeeding, Immunizations.

89 Désignée sous l’acronyme en anglais GOBI-FFF : Family planning and birth spacing, Female literacy campaigns, Food supplementation.

90 Mise en place d'équipements de chaîne du froid, adoption de pratiques de stérilisation adéquates, célébration des Journées nationales de vaccination et élargissement des systèmes de surveillance (Cueto 2004).

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professionnels de santé augmenté, l'idée étant que les Etats doivent intervenir le moins possible.

Il est important de s’attarder sur cette approche parce qu’elle donne naissance à des modes d'intervention qui seront repris et répandus ensuite tout au long des décennies suivantes, en particulier dans le champ de la santé maternelle. Ces interventions reposent sur la mobilisation communautaire, c'est-à-dire sur le volontariat et non sur la professionnalisation. Les volontaires sont indemnisés au prorata de leurs interventions. Le « package of care », devient de plus un outil privilégié. Il s’agit d’un ensemble de soins essentiels à prodiguer, sélectionnés et définis selon le rapport coût/efficacité de ces interventions et le nombre d'individus qui seront concernés par ces soins. Dans le domaine de la santé maternelle, l'OMS développera le « Mother-baby package » en 1994 (WHO 1994). Nous le retrouverons aussi sous l'appellation « paquet minimum d'interventions » ou « d'activités ».

Les années 1980 : la santé des mères au centre des débats

Début des années 1980, la Banque Mondiale opère un tournant décisif en s’imposant avec le FMI dans la santé publique internationale. Après avoir soutenu la stratégie des SSPS, elle promeut la privatisation des services publics en s'appuyant sur l’idée que les soins de santé ne sont pas un droit mais une marchandise qui peut tout à fait être fournie par le marché (Paluzzi 2004) (Basilico et al. 2013). Cette orientation s'appuie sur un nouveau paradigme économique défini lors du Consensus de Washington91. La Banque Mondiale élargira

l'application de ce principe avec la politique de recouvrement des coûts portée par l’initiative de Bamako 198792.

Cette politique de privatisation est également reprise par une autre institution financière internationale, le FMI auprès des pays du sud surendettés et en défaut de paiement à la même époque. Le FMI octroie ainsi des prêts en contrepartie de mesures drastiques, connues sous le nom de Programmes d’Ajustement Structurels93. L'application de ces programmes astreint les Etats à la privatisation

91 Cette idéologie a été définie par ce que l’économiste Williamson a nommé en 1989, le Consensus de Washington, fruit d’une convergence d’idées et de méthodes de trois institutions : la Banque Mondiale, le Fond Monétaire International et le Département du Trésor américain (Brandecker 2007 : 12) (Mestrum 2008). 92 Les effets délétères de cette mesure seront très rapides avec une forte baisse de fréquentation des structures sanitaires, en particulier les populations pauvres, majoritaires dans les pays du sud.

93 Le FMI contrôle les politiques monétaires et financières des Etats. Il va mettre en place les Programmes d’Ajustements Structurels, et les conditionnalités des nouveaux prêts, en collaboration avec la Banque mondiale : suppression des déficits budgétaires, privatisation des secteurs économiques gérés ou contrôlés par l’Etat, suppression des subventions publiques aux biens de consommation de première nécessité, diminution des budgets des services sociaux, augmentation de la pression fiscale, encadrement du crédit bancaire, dégraissage des fonctions publiques (Copans 2006 : 50).

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des biens et services publics, aux restrictions budgétaires et à un interventionnisme restreint des Etats concernés. Ces mesures affecteront durablement les systèmes nationaux de santé.

La santé maternelle n’est pas épargnée par ce nouveau paradigme économique. De plus, elle apparaît sous les projecteurs de la scène des institutions internationales sous les traits de la « tragédie négligée ».