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I. La période coloniale : élaboration et transplantation de modèles et de normes sanitaires

1.3 La médicalisation de la maternité et de la naissance

La procréation est l'objet de mesures préventives marquées par des progrès scientifiques et techniques qui conduisent à la médicalisation de la maternité et de la naissance. Cette médicalisation entraîne une surveillance accrue du corps des femmes et une modification imposée des pratiques féminines autour de la procréation.

a. Le contrôle du corps des femmes

Le souci de l'enfant amène certains obstétriciens à se pencher sur le déroulement de la grossesse afin de prévenir les accidents obstétricaux (éclampsies, accouchements dystociques), la mortalité intra-utérine et les bébés prématurés. Ils instaurent ainsi les fondements d'une médecine préventive autour de la maternité à travers la surveillance prénatale, c'est-à-dire le suivi médical de la grossesse53.

Cette surveillance médicale consiste à faire venir (trois fois) les femmes enceintes aux consultations prénatales, attenantes aux maternités, et durant lesquelles une série d'examens sont réalisés : analyses de sang et d'urine ; palper abdominal afin de déceler les mauvaises présentations, les placentas prævia, les rétrécissements du bassin et les grossesses extra-utérines ; examens médicaux pour dépister la syphilis et la tuberculose ; écoute des bruits du cœur du fœtus54.

Les résultats de ces examens sont consignés dans le livret « de la future maman » envoyé à la femme enceinte dès réception du certificat de grossesse55 (Thébaud

1986 : 41). Dans ce livret figurent également « les renseignements et les pièces

nécessaires pour toucher les prestations et la liste des consultations conseils à suivre avant l’accouchement ; des feuilles détachables à envoyer à la Caisse de

52 En France, la position pour l'accouchement consiste à être allongée sur un lit avec un bassin sous le siège, les cuisses en demi-flexion, les jambes en flexion, les pieds sur le lit (Thébaud 1986 : 264).

53 Cette médecine préventive concerne également le nouveau-né avec l'instauration de consultations post natales qui permettent de contrôler l'alimentation du petit enfant et de donner aux mères des conseils sur l'hygiène. Rollet-Echalier décrit la balance, le « premier outil scientifique mis à disposition » comme « [l]e meilleur exemple de cette attitude nouvelle [qui] est celui de la pesée. La balance permet de mesurer scientifiquement le rythme de croissance du bébé » (Rollet-Echalier 1990 : 24). Ce suivi est appelé également consultations du nourrisson sain. Appellation que l'on retrouve encore apposée actuellement dans les locaux des dispensaires burkinabè.

54 La découverte du « rythme cardiaque » du fœtus date du début du XIXème siècle et « l’auscultation obstétricale » est rendue possible grâce à la découverte du stéthoscope qui date de la même époque (Gélis 1984 : 113). Néanmoins Gélis fait remarquer que « des accoucheuses savent depuis longtemps reconnaître le battement du cœur de l’enfant » et « dès les années 1630-1640 », des médecins de campagne « sont capables de distinguer le « souffle utérin » à travers les parois abdominales d’une femme enceinte » (Gélis 1984 : 113).

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Sécurité Sociale (feuilles de consultation, déclarations de repos, certificat d'accouchement, feuilles de comptes). Trois pages sont consacrées aux observations recueillies lors des 3 examens ». Apparaissent également « les éventuels antécédents généraux familiaux et personnels », « les antécédents obstétricaux (nombre d'accouchements, de morts-nés, de fausses couches) », « les résultats de l’analyse d’urine », « la conformation du bassin, et l'époque présumée de l'accouchement, les renseignements spéciaux et les observations particulières »

(Thébaud 1986 : 42).

La consultation prénatale56, devenue un classique dans les mesures de prévention

autour de la procréation, est apparue au début du XXème siècle. Cet outil est

perfectionné au Royaume-Uni en 1929 par le Ministère de la Santé. Il suit les principes suivants :

« 1. prédire les difficultés à l’accouchement par l’examen clinique de la femme enceinte ; 2. détecter et traiter la toxémie ;

3. prévenir, diagnostiquer et traiter les infections (cervicales, urinaires, etc.) ; 4. diagnostiquer et traiter les maladies vénériennes ;

5. assurer la coopération la plus étroite entre l’hôpital et les personnes chargées des soins prénatals ;

6. reconnaître l’effet éducationnel d’une consultation bien organisée » (De Brouwere, Tonglet, et Van Lerberghe 1997 : 28-29).

b. La diffusion de nouveaux modèles autour de la procréation

En milieu rural comme en milieu urbain, les débuts de l'application des mesures sanitaires et sociales sont confrontés aux représentations et pratiques de l'époque. Les femmes sont réticentes aux nouvelles mesures sanitaires et ne se précipitent pas dans les maternités pour consulter, ni pour accoucher. Celles-ci préfèrent accoucher à domicile en présence d'une matrone (Thébaud 1986 : 157-158). Elles se méfient en effet beaucoup des maternités destinées auparavant aux femmes pauvres, et réputées être des « mouroirs » ; la mortalité maternelle étant très élevée avant la réorganisation hospitalière. Par ailleurs, les femmes ne ressentent pas le besoin de consulter pendant la grossesse dans la mesure où elles ne se considèrent pas malades. Cependant, les avancées sociales et les progrès sanitaires décrits précédemment amènent progressivement les femmes enceintes à modifier leurs pratiques et leurs perceptions, et à se diriger vers les maternités et les consultations. Les incitations financières et matérielles initiées par les œuvres privées laïques ou confessionnelles sont aussi des moyens non négligeables pour attirer les femmes vers cette nouvelle voie médicale. Ce changement qui constitue une véritable

56 La paternité de cet outil est disputée entre « les Britanniques [qui] en attribuent la conception à John William Ballantyne en 1901, les Australiens à Wilson en 1910 et les Américains à leur Instructive District Nursing Association du Boston Lying-In Hospital, aussi en 1901 » (De Brouwere, Tonglet, et Van Lerberghe 1997 : 28).

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« acculturation » procède du « système » établi par l'Etat, comme le souligne

Thébaud : « Ce système avec ses exhortations et ses contraintes constitue une

véritable entreprise d'acculturation des femmes des classes populaires pour qu'elles ne considèrent plus l'état de grossesse comme un état ordinaire et qu'elles suivent les conseils des médecins » (Thébaud 1986 : 43).

Le droit au congé maternité et aux allocations est conditionné à la fréquentation des consultations prénatales et postnatales de la maternité pour les accouchements57

et aux visites à domicile des infirmières visiteuses (Rollet-Echalier 1990 : 245). La surveillance et le contrôle du corps des femmes exercés par les médecins et les sages-femmes s’accompagnent d’une volonté d'éduquer les femmes à la puériculture58.

Pour le pouvoir politique et médical, les femmes sont en effet des ignorantes dont les pratiques nuisent à la survie des enfants. Les « grands-mères, les voisines » qui gravitent souvent autour de la femme enceinte sont aussi mal perçues. Il s'agit donc pour les autorités politiques et médicales d'éduquer les femmes enceintes (Thébaud 1986 : 120). Le congé maternité est en effet prévu comme un temps non seulement de repos pour la femme enceinte mais aussi comme un temps pour éduquer les (futures) mères en diffusant les notions essentielles d'hygiène et de nutrition lors des consultations (Rollet-Echalier 1990 : 241). Par ailleurs de nombreuses campagnes médiatiques (affiches, ouvrages de puériculture) encouragent les nouvelles pratiques et diffusent en même temps un nouveau modèle, celui de la femme mariée au foyer assignée aux tâches domestiques dont la principale est de s'occuper de son enfant (Thébaud 1986 : 23-24). Ces injonctions vis à vis des femmes correspondent aux idées qui se développent au cours de la IIIème

République au sujet du rôle des femmes. En sus de leur fonction procréatrice dédiée à la nation, celles-ci sont considérées comme les garantes de certaines valeurs fondamentales telles que le maintien de la famille, première base de la nation (Horne 1998).