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Modèles standardisés de la mortalité maternelle dans les pays du Sud

II. Les politiques sanitaires internationales : vers le risque zéro ?

5.3 Modèles standardisés de la mortalité maternelle dans les pays du Sud

Au cours de ces deux décennies, de nombreux travaux sont réalisés dans le cadre de la santé maternelle afin de développer des approches sanitaires spécifiques. L'une concerne les consultations prénatales comme l'un des piliers des dispositifs de la santé maternelle. L'autre s'intéresse aux barrières d'accès aux soins et aux structures sanitaires adéquates. Elles reposent toutes deux sur une approche unique basée sur le risque individuel et non plus sur une approche également en population, c'est-à-dire les femmes en interactions avec l'ensemble de la population mais aussi avec leur environnement.

a. L'approche gestionnaire du risque de l'OMS : « risk approach »

A partir de 1978, l'OMS développe un modèle appelé approche risque (risk approach) qui est perfectionné sur le plan méthodologique en 1984 (WHO 1978) (Backett, Davies, et Petros-Barvazian 1984). Cette approche s'inscrit dans le cadre des SSPS et en adopte la logique. Cet outil doit permettre de fournir de manière sélective des soins de santé à un maximum d'individus qui en ont besoin et accroître l'efficience du déploiement des ressources mobilisées (Hayes 1991). Il doit contribuer à l'amélioration de la couverture sanitaire de la maternité, le système d'orientation des femmes à risques, appelé système de référence, vers d'autres structures sanitaires (en général d'échelon supérieur) et aura un impact sur les facteurs de risque (Hayes 1991). Cette approche repose sur deux principes. Premièrement, les femmes enceintes qui ont des risques de développer des complications obstétricales sont peu nombreuses par rapport à l'ensemble des femmes enceintes. Deuxièmement, il est possible d'empêcher, une fois identifié, le risque de se transformer en problème, à condition de pouvoir y répondre (De Brouwere, Tonglet, et Van Lerberghe 1997 : 36). La stratégie qui découle de l’« approche risque » consiste donc à identifier les femmes à risque parmi l'ensemble des femmes autrement dit à faire un tri entre les femmes à risque et les autres considérées non à risque à partir des facteurs de risque établis par les utilisateurs de la stratégie. Les facteurs de risque pour identifier les femmes à risque

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sont basés sur deux classifications. L'une considère le lien entre les facteurs de risques et leurs conséquences négatives sur la procréation. Il peut être causal, contributif, prédictif ou associatif. L'autre s'intéresse aux conditions biologiques (âge, rang de naissance, intervalle de naissance), nutritionnelles (taille, poids, gain de poids), sociales (charge de travail, aide appropriée à l'accouchement) à l'utilisation des consultations prénatales, et aux complications biomédicales de la grossesse (anémie, hypertension, diabète, saignement anténatal, jumeaux, présentation anormale)(De Brouwere, Tonglet, et Van Lerberghe 1997 : 35).

Ce tri ainsi effectué permet en théorie d'orienter vers les services de santé adéquats, uniquement les femmes identifiées à risque. Pour que cette stratégie puisse être efficace, deux conditions sont nécessaires. La première est d'être en mesure d'identifier précisément les femmes vraiment à risque (Hayes 1991). La seconde est la faculté pour les Etats de répondre au problème identifié qui représente un risque pour la femme enceinte, c'est-à-dire de mettre à disposition des infrastructures et personnels sanitaires adéquats, afin de recevoir les femmes à haut et faible risque, et évaluer le risque tout au long de la grossesse jusqu'à l'accouchement (De Brouwere, Tonglet, et Van Lerberghe 1997 : 37).

En définitive, cette approche s'apparente à un outil de gestion des soins de santé maternelle et infantile à appliquer dans les pays où les ressources sont limitées (Bergjso 2001). « Cet instrument n'a plus pour objectif d'évaluer un risque individuel mais devient un outil de décision programmatique » (De Brouwere, Tonglet, et Van Lerberghe 1997 : 30). Il permet en effet la gestion rationnelle du risque et du recours aux structures sanitaires de l'échelon supérieur. On passe d'une évaluation du risque individuel centré sur les femmes à une gestion économique et collective du risque. Cette approche s'inscrit dans la droite ligne de la vision néolibérale coût / efficacité développée précédemment ; elle vise la réduction des décès des mères et des nouveau-nés en gérant de manière efficiente les ressources, évitant ainsi d'investir dans des infrastructures et personnels hospitaliers jugés trop coûteux.

b. Le cas « de Madame X »

Le cas type de Madame X est utilisé abondamment pendant la décennie entre 1987 et 1997 dans les séminaires de formations des professionnels de santé afin de les sensibiliser sur les causes multiples qui peuvent éviter les décès maternels (Allen 2009 : 2). Madame X est présentée comme une femme d’un pays du Sud, âgée de 38 ans, pauvre et illettrée. Elle est morte en couches et les raisons de son décès reposent sur l'accumulation de quatre facteurs : complication mortelle, fécondité élevée, grossesse à risque et un faible développement socioéconomique.

c. « La route vers la mort maternelle »

L'itinéraire type de « la route vers la mort maternelle » est un schéma élaboré et qui circule largement pendant la même période que madame X (Allen 2009). Ce

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schéma met en scène madame X avec ses 4 facteurs de risque qui emprunte un itinéraire de soins qui la conduit directement vers la mort. Sur le schéma figurent quatre mesures principales qui en influant sur les facteurs de risque lui auraient évité la mort : améliorer le statut de la femme, mettre en place des services de planning familial et des soins de santé maternelle communautaires, et rendre accessible les services de référence pour les complications obstétricales.

d. Le modèle de Thaddeus et Maine (1994) ou le modèle des 3 retards

Ce modèle explicatif est élaboré en 1994 par deux chercheures américaines qui s'intéressent aux urgences obstétricales, et plus particulièrement aux facteurs qui influent sur l'intervalle de temps entre la survenue de la complication obstétricale et son issue mortelle, c'est-à-dire les causes des retards qui empêchent une prise en charge adéquate des femmes. Ces retards sont caractérisés selon une chronologie et une logique d'enchaînement : le retard dans le délai de la prise de décision, retard dans l'accès à une structure adéquate de soins, retard dans l'accès à un soin adéquat.

Ce modèle identifie plusieurs obstacles à l'accès aux soins de qualité et adaptés à la situation, en temps opportun : la distance géographique entre le domicile de la femme et le centre de santé, le coût des soins, leur qualité, les caractéristiques de la maladie, le statut des femmes à la fois au sein de la communauté et sur un plan économique et scolaire. Les auteures précisent que ce modèle a pour objectif d'apporter une approche qui donne la priorité à des interventions pratiques et mesurables visant à améliorer la disponibilité et l'accessibilité des services. Ce qui devrait à son tour atténuer les facteurs qui entravent la décision de recourir à ces services.

En outre, cette approche introduit la notion de « barrière d'accès aux soins » que nous retrouverons notamment dans la politique d'exemption du paiement des soins développée après les années 2000.

Ces modèles s'appuient sur des facteurs de risque focalisés sur l'individu et présentent une expérience standardisée, homogénéisée des femmes dans les pays dits du Sud, « réduisant ainsi la complexité de l’expérience de la procréation des

femmes dans les pays du Sud » (Allen 2009).

« Les femmes des pays en voie de développement sont décrites selon une même catégorie ayant les mêmes pensées, les mêmes croyances, les mêmes sentiments, appelant ainsi des réponses similaires » (Allen 2009 : 6).

Ces approches ne prennent pas en compte les facteurs sociaux et environnementaux qui ne sont pas tous mesurables et quantifiables alors même que cette « tragédie » est mise en lumière dans un contexte de réformes structurelles qui affectent les Etats africains et les services publics de la santé et de l'éducation. Ainsi, on met en avant le faible niveau scolaire des femmes comme

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facteur influençant la mortalité maternelle tandis que les politiques économiques en cours imposent des économies dans le secteur de l'éducation.

Cette standardisation trouve sa justification et sa traduction lors de l'IMSR où des limites sont déjà posées dès son lancement. Le rapport de la conférence préconise en effet, après avoir passé en revue les états des lieux, les facteurs de risques et les expériences nationales, la mise en place d'interventions économiquement rentables, c'est-à-dire des interventions sélectionnées, efficaces et à moindre coût (Starr, 1987). Ainsi, dans ce contexte que nous avons évoqué, où de nombreux pays sont sous ajustement structurel, la pénurie de personnel qualifié est compensée par la promotion du volontariat et les activités communautaires. La priorité est donnée aux soins préventifs (CPN) et à la formation des accoucheuses traditionnelles, ainsi qu'aux accouchements à domicile. Ces interventions sont moins onéreuses par rapport au système hospitalier très coûteux, qui consomme une grande partie des budgets sanitaires nationaux ; alors que les médecins et sages-femmes prennent en charge un nombre non significatif de femmes (Campbell 2001).

La conférence de Colombo en 1997 fait le point d'une décennie de l'IMSR où la mortalité maternelle est un problème complexe devenu quasiment « inextricable » (De Brouwere et Van Lerberghe 2001 : 1). Ce constat précède la mise en place quelques années plus tard, de dispositifs exceptionnels pour enrayer l'épidémie de VIH suite à une forte mobilisation internationale.