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Les travailleurs peuvent (ailleurs) recourir contre les V. concentrations d'entreprises

Le contrôle des concentrations (merger control) constitue le troisième pilier du droit de la concurrence au sens de la loi sur les cartels ou des art. 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne49. Il occupe une place à part par rapport au régime applicable aux accords anticoncurrentiels ou aux abus de position dominante puisque, contrairement à ces deux premiers

des futurs marchés publics au niveau communal, cantonal et fédéral pour cinq ans au plus". Le SECO "établit une liste des employeurs faisant l'objet d'une décision entrée en force d'exclusion des marchés publics" (art. 13 al. 3 LTN).

45 Art. 2 LDét.

46 Art. 9 al. 2 lit. b LDét.

47 Cette disposition contient d'ailleurs un renvoi explicite à l'art. 5 al. 4 LDét. On mettra en outre ce type de mécanisme en relation avec celui des contrôles que la règlementation sur les marchés publics permet aux autorités adjudicatrices d'effectuer (p.ex. art. 8 al. 2 LMP).

48 LCD ; RS 241 ("Inobservation des conditions de travail").

49 JOUE 2012 C 326, p. 47 (TFUE [version consolidée]).

groupes de restrictions de la concurrence, il intervient ex ante et non ex post.

Sans s'étendre au-delà de l'objet de cette contribution, on se bornera à indiquer brièvement qu'en présence d'une opération de concentration (fusion, prise de contrôle ou création d'une entreprise commune) atteignant certaines valeurs seuils présumant son impact sur le marché, l'autorité de la concurrence doit vérifier respectivement si cette transaction:

 de supprimer une concurrence efficace et (iii) qui ne provoque pas une amélioration des conditions de concurrence sur un autre marché, (iv) qui l'emporterait sur les inconvénients de la position dominante50;

 en droit européen, entrave de manière significative une concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci, notamment du fait de la création ou du renforcement d'une position dominante51.

Si ces conditions sont remplies, alors l'autorité pourra interdire ou, en application du principe de proportionnalité, assortir cette concentration de mesures correctives.

La question du degré d'intervention des tiers dans cette procédure ─ en particulier de leur droit de recours ─ se pose avec une acuité particulière dans le cadre de cet article. Le Tribunal fédéral suisse a opté pour une interprétation étroite, quasi littérale, de l'art. 43 al. 4 LCart, selon lequel: "Dans la procédure d'examen des concentrations d'entreprises, seules les entreprises participantes ont qualité de parties"52 ; il en résulte que les tiers ─ notamment les concurrents et les travailleurs ─ ne peuvent pas contester par exemple une détermination positive de la Commission de la concurrence qui permettrait à une concentration d'aller de l'avant, alors que ceux-ci considéreraient qu'elle a un impact fortement voire totalement négatif sur la concurrence dans ce secteur.

Le droit européen est plus ouvert53 à la prise en compte des vues des travailleurs: l'art. 18(4), phr. 2, du Règlement 139/2004 présume que les

"représentants reconnus des travailleurs" des entreprises participantes justifient d'un intérêt suffisant à être entendus et prévoit expressément que la Commission doit le cas échéant faire droit à leur demande d'audition54. La jurisprudence souligne à cet égard que:

50 Art. 10 al. 2 lit. a et b LCart.

51 Art. 2(3) du règlement 139/2004 du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, du 20 janvier 2004, JOUE 2004 L 24, p. 1.

52 ATF 131 II 497 Etablissements Ed. Cherix, c. 5.

53 Pour une étude comparée entre le droit suisse et le droit européen, PALASTHY A., "Contrôle des concentrations d'entreprises: Le tiers face au "feu vert" du gardien de la concurrence", in: Jusletter du 16 août 2004.

54 Eg. § 37 et 45 du préambule au Règlement 139/2004. Comme le souligne le Tribunal UE (alors Tribunal de première instance) dans son arrêt dans l'affaire T-96/92 Société générale des grandes

"[D]ans le système du règlement n° 4064/89 [désormais n°

139/2004], la priorité accordée à l'instauration d'un régime de libre concurrence peut, dans certains cas, être conciliée, dans le cadre de l'appréciation de la compatibilité d'une opération de concentration avec le marché commun, avec la prise en considération des incidences sociales de cette opération, lorsque celles-ci sont de nature à porter atteinte aux objectifs sociaux visés à l'article 2 du traité. La Commission peut ainsi être conduite à vérifier si l'opération de concentration est susceptible d'avoir des répercussions, même indirectes, sur la situation des salariés dans les entreprises concernées, de nature à affecter le niveau ou les conditions d'emploi dans la Communauté ou une partie substantielle de celle-ci"55.

Cette participation à la procédure n'est toutefois pas sans limites:

 La définition de la qualité de "représentants reconnus des travailleurs"56 appartient aux Etats membres, qui déterminent, d'une part, quels sont les organismes compétents pour représenter les intérêts collectifs des salariés et, d'autre part, leurs droits et leurs prérogatives57. Cette qualification par la législation nationale est nécessaire et suffisante, dans le sens où la qualité pour agir de ces syndicats n'est pas subordonnée à leur participation effective à la procédure administrative de première instance58.

 Comme cela ressort expressément de l'art. 18(4) du Règlement 139/2004, il appartient aux représentants des travailleurs de demander

sources (Perrier), du 27 avril 1995, § 30: "[L]e règlement individualise les représentants reconnus des travailleurs de ces entreprises, lesquels constituent une catégorie fermée et clairement délimitée au moment de l'adoption de la décision, en leur conférant, de manière expresse et spécifique, le droit de présenter leurs observations au cours de la procédure administrative. Ces organismes, qui sont chargés de la défense des intérêts collectifs des salariés qu'ils représentent, justifient en effet d'un intérêt pertinent par rapport aux considérations d'ordre social susceptibles, le cas échéant, d'être prises en compte par la Commission, dans le cadre de son appréciation de la régularité de l'opération de concentration au regard du droit communautaire ". Eg. arrêt du Tribunal UE (alors Tribunal de première instance) dans l'affaire T-12/93 Comité central d'entreprise de la société anonyme Vittel, du 27 avril 1995, § 40.

55 Arrêt Perrier (note 54), § 28. L'arrêt précité se fonde sur le règlement 4064/89 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, du 21 décembre 1989, JOCE 1989 L 395, p. 1 et 1990 L 257, p. 13, en vigueur à ce moment-là. Alors, l'art. 2 du Traité sur l'UE insistait sur un développement économique respectant un "niveau d'emploi et de protection sociale élevé" et "la cohésion économique et sociale" (voir ég. l'art. 130A du Traité sur l'UE auquel renvoyait aussi le 13ème considérant du préambule du Règlement 4064/89 ; Arrêt Perrier [note 54], § 29). La mise en œuvre d'"une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social" et le renforcement de la cohésion économique et sociale se retrouvent d'ailleurs aujourd'hui, respectivement, aux art. 3(3) et 174 TFUE (voir ég. art. 9 TFUE). Il n'y a donc pas eu de changement d'objectifs depuis, et cette jurisprudence demeure actuelle.

56 Souligné par l'auteur.

57 Arrêt Perrier (note 54), § 34.

58 Idem, § 36.

à être entendus. L'évolution des règlements de mise en œuvre a consacré un devoir de solliciter cette audition par écrit59 et de s'exprimer ensuite de la même façon60. Les syndicats reconnus sont ainsi certes dans une position plus favorable que d'autres tiers, puisqu'ils ont un véritable droit à être entendu, mais celui-ci n'est pas automatique et n'implique en particulier aucune obligation d'information à la charge de la Commission61.

 Les griefs qui peuvent être invoqués dans le cadre d'un recours sont restreints, le Tribunal ayant expressément conclu que: "seule une décision susceptible d'exercer une incidence sur le statut des organismes représentatifs des salariés, ou sur l'exercice des prérogatives et des missions qui leur sont confiées par la réglementation en vigueur, peut affecter les intérêts propres de tels organismes. Tel ne saurait être le cas d'une décision autorisant une concentration"62.

59 Art. 16(1) du règlement 802/2004 concernant la mise en œuvre du règlement 139/2004 du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, du 21 avril 2004, JOUE 2004 L 133, p. 1.

Eg. § 13 du préambule de ce même règlement. Comme le souligne le Tribunal dans son arrêt Perrier (note 54), (§ 55), l'ancien règlement 2367/90 relatif aux notifications, aux délais et aux auditions conformément au règlement 4064/89 du Conseil relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, du 25 juillet 1990, JOCE 1990 L 219, p. 5, ne prévoyait cela que dans son préambule (§ 10).

60 Art. 16(2) du Règlement 802/2004.

61 Arrêt Perrier (note 54), § 55 ss, en particulier § 56.

62 Arrêt Perrier (note 54), § 38. Voir ég. idem, § 46, où le Tribunal UE relève que la qualité pour agir doit être reconnue au syndicat recourant "dans le but précis d'examiner si les garanties procédurales auxquelles [il était] en droit de prétendre, au cours de la procédure administrative, […] ont été méconnues". L'arrêt Vittel (note 54) constitue aussi une bonne illustration de ces principes. En particulier au § 52, le Tribunal UE affirme clairement que: "En ce qui concerne en particulier le démantèlement du patrimoine de Vittel, allégué par les requérants, le Tribunal estime qu'une décision imposant la cession d'une partie des actifs de l'entreprise concernée ne peut être considérée comme affectant de manière directe les intérêts des salariés de cette entreprise, au motif que le patrimoine de cette dernière constituerait une garantie du maintien de l'emploi des salariés, qui figurent parmi les créanciers de premier rang de l' entreprise, comme le relèvent les requérants. En admettant même qu' une décision importante d'ordre patrimonial, financier ou industriel, adoptée par une entreprise, puisse, dans certains cas, produire des effets sur la situation des salariés ─ ce qui n' est d'ailleurs pas établi, en l'espèce, à l'égard de la vente de l'établissement de Pierval par le groupe Nestlé ─, lesdits effets ne sauraient, en tout état de cause, présenter qu'un caractère indirect".

Conclusion VI.

Maître dans l'art de la rhétorique, le Professeur Gabriel Aubert aura reconnu une captatio benevolentiae déjà dans le titre quelque peu provocateur de cette contribution. En lisant celle-ci, il se dira d'abord, avec humour, que le droit de la concurrence est social lorsque la loi exclut son application. Ensuite, il reconnaîtra cependant que les travailleurs et leur condition sont incorporés dans les mécanismes de ce droit pour protéger des standards en matière sociale, que ce soit dans le cadre des marchés publics ou, en droit européen, du contrôle des concentrations d'entreprises. On sort alors de la logique de l'exception pour entrer dans celle de l'intégration: la dimension sociale vient tempérer des considérations purement économiques, concrétisées, dans le premier groupe de normes, par le concept de l'offre économiquement la plus avantageuse ou, dans le second, par les perspectives financières auxquelles aspirent les entreprises participantes. Enfin, s'il est bien appliqué, le droit de la concurrence joue pleinement son rôle d'instrument de la régulation économique et permet de créer des places de travail et de conserver voire d'augmenter le pouvoir d'achat des travailleurs.