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La preuve de l'incapacite de travail relative

Tribunal fédéral 2

IV. La preuve de l'incapacite de travail relative

Dire si une maladie représente une atteinte à la santé est significative ou insignifiante revient à décider si la personne salariée peut ou non, notamment dans le contexte d'un licenciement, bénéficier de la protection de l'art. 336c CO.

Il s'agit à d'une question de droit53. En revanche, l'existence de la maladie, sa nature et sa durée relèvent du fait54. Il incombe au travailleur qui réclame la protection de l'art. 336c CO et/ou le salaire-maladie (art. 324a CO) d'apporter la preuve de ces éléments de fait et de leur conséquence alléguée, à savoir l'incapacité de travail (art. 8 CC)55. Il apportera cette preuve par la production d'un certificat médical, qui toutefois, n'est pas une preuve absolue ; il ne constitue qu'une preuve prima facie56 qui peut être ébranlée par une contre-preuve – notamment par le témoignage et le rapport du médecin conseil de l'employeur ou de son assureur perte de gain. Si l'employeur allègue l'inexistence d'une incapacité de travail, ou son caractère limitée à la place de travail, c'est à lui d'en apporter la preuve – dès lors que c'est lui qui en entend déduire des droits, à savoir la non-activation de la protection de l'art. 336c CO, et, cas échéant, l'inexistence d'une obligation découlant de l'art. 324a CO. Ni les certificats médicaux, ni les témoignages et rapports des médecins ne lient le Tribunal ; ce dernier reste libre dans son appréciation des preuves. Il ne s'en départira toutefois que lorsqu'il a affaire à des certificats de complaisance57, à des certificats rétroactifs de plusieurs jours58, à des attestations contradictoires, ou encore, à un refus de l'employée(e) de délier le médecin de son secret professionnel. Dans ce cas, il tiendra compte des circonstances du cas concret,

51 Sur cette question en détail : Pärli/Hug, "Arbeitsechtliche Fragen bei Präsentismus (Arbeit trotz Krankheit)" in : ARV/DTA 2012 p. 1 ss.

52 TF 4A_227/2009 du 28.7.2009 cons. 3.2. ; 4C.346/2004 du 15.2.2005 cons. 4.2.

53 TF 4C.346/2004 du 15.2.2005 cons. 3.2.

54 TF 4A_227/2009 du 28.7.2009 cons. 3.2 ; 4C.331/1998 du 12.3.1999 cons. 1b.

55 TF 8C_760/2012 du 4.9.2013 cons. 3 in : ARV/DTA 2013 p. 307.

56 "Anscheinsbeweis", cf. Rehbinder,"Die ärztliche Arbeitsunfähigkeitsbescheinigung" in : FS Oscar Vogel, Fribourg, 1991, p. 191 ; Müller R.-A, "Arztzeugnisse in arbeitsrechtlichen Streitigkeiten"

in : AJP/PJA 2010 p. 169 ; Kàlin, "Das Arztzeugnis als Beweismittel bei arbeitsrechtlichen Streitigkeiten" in : ZZZ/PCEF 2006, p. 338.

57 Les certificats médicaux de complaisance sont prohibés par la déontologie médicale ; l'établissement de faux certificats est puni par l'art. 252 CPS.

58 Schönenberger, Das Erschleichen der Lohnfortzahlung unter Berufung auf Krankheit, Berne 2001, p. 114.

du degré de vraisemblance des déclarations et pièces produites, de la qualification et réputation des praticiens consultés, du cours ordinaire des choses et de l'expérience de la vie. En dernier lieu, il fera intervenir son intime conviction. La conclusion médicale d'une incapacité de travail, générale ou limitée à la place de travail, peut être revue par le juge : l'incapacité de travail étant également une notion juridique59.

En matière d'atteintes psychiques à la santé, telles que la dépression, la fibromyalgie, les troubles somatoformes douloureux, la preuve cartésienne de l'incapacité de travail sera difficile à établir. L'affection psychique n'est – à la différence d'une atteinte physique – guère "objectivable", c'est-à-dire observable, mesurable ou saisissable par les outils d'analyse classiques de l'art médical : l'examen du corps et du fonctionnement de ses organes par des gestes et moyens techniques – dont la visualisation – et par l'analyse chimique des tissus et liquides. Le diagnostic du praticien repose pour l'essentiel sur ce que le sujet veut bien lui raconter ; toutefois, le vécu raconté peut s'accompagner par des signes cliniques qui en attestent du réel et sérieux : abattement, épuisement, troubles de l'équilibre, sudation, agitation, anxiété, tremblements, insomnies, pensées suicidaires. L'affection diagnostiquée doit figurer dans la classification internationale des maladies (CIM)60 et correspondre à la symptomatologie y énoncée.

Enfin, l'efficacité d'une thérapie suppose non seulement le concours du malade, mais également la connaissance de la cause probable de l'affection (étiologie). De ce fait, il appartient au médecin, cas échéant au médecin-conseil, de dire si l'incapacité de travail – d'ordre psychique – a été causée par l'environnement de travail (mobbing, stress, ambiance conflictuelle) ou si elle est due à des facteurs exogènes à l'entreprise. En revanche, ce sera l'office du juge de statuer sur les conséquences juridiques de l'incapacité de travail retenue, qu'elle soit totale, partielle, générale ou relative.

Le certificat médical doit viser, en premier priorité, au rétablissement du sujet par l'arrêt de travail et la thérapie prescrits, non pas au déclenchement d'une prestation, que ce soit de l'employeur, de l'assureur privé ou d'une assurance sociale. L'établissement d'un certificat médical inexact ayant pour seul but l'obtention de prestations d'un assureur en faveur du sujet constitue un faux dans les titres qualifié61. Si l'incapacité de travail est limitée à la place de travail, la crédibilité du certificat est accrue si le praticien y indique – avec l'autorisation du patient – la nature de l'affection et les mesures à prendre par l'employeur pour accélérer le retour au travail (p. ex. changement de poste ou

59 Cf. art. 6 Loi fédérale sur la partie générale des assurances sociales (LPGA, RS 830.11) ; ATF 140 V 193 cons. 3.1.

60 OMS, Classification internationale des maladies, CIM-10 (1992), consultable sur le site de l'Office fédéral de la santé : www.bfs.admin.ch.

61 Cf. art. 318 CPS ; TF 6B_152/2007 du 13.5.2008, psychiatre.

d'activité)62. Une prise de contact autorisée du praticien avec l'employeur peut se révéler utile.

V. Assureurs

Les assureurs – tant privés que publics (assurances sociales) – peinent à admettre le réel et le sérieux d'affections psychiques du type CIM – 10 [2012]

chapitre V F 45.1 – 45.8 ss63 (dépression, troubles somatoformes douloureux64, fibromyalgie, fatigue chronique)65 en particulier, lorsque l'incapacité de travail en découlant serait limitée, comme par hasard, à la place de travail. Appelé à trancher des problèmes liées aux prestations d'assureurs perte de gain LCA ou de l'assurance-invalidité, le Tribunal fédéral se montre également sévère.

Ainsi, le Tribunal fédéral a-t-il considéré qu'un trouble somatoforme douloureux consécutif au licenciement de l'assuré n'était pas de nature à causer une incapacité de travail au sens de l'art. 6 LPGA66, disposition à laquelle les conditions générales de l'assurance perte de gain avaient renvoyé. A tout le moins, estime-t-il, les réductions de la capacité de travail résultant d'une dépression mineure, de troubles somatoformes douloureux, d'une fibromyalgie ou d'une pathologie similaire seraient surmontables par un effort de volonté raisonnablement exigible du sujet ("Ueberwindbarkeits-Theorie")67. Développée en rapport avec les assurances sociales, le Tribunal fédéral a, dans un premier temps, déclaré cette théorie applicable aussi aux assurances perte de gain LCA68, puis semble en être revenu69.

62 Rudolph, "Arbeitsunfähigkeitszeugnisse : Aerzte zunehmend im Fokus der Justiz", in : Bulletin des médecins suisses, 2010, p. 914. Pour un modèle de certificat médical détaillé d'incapacité de travail pour l'employeur : cf. www. swiss-insurance-medicine.ch.

63 La classification internationale des maladies (CIM-10, Version 2012) citée ; cf. aussi, pour un autre système de classification, le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder (DSM – V) 2013, utilisé aux Etats-Unis.

64 TF 9C.877/2012 du 8. 4. 2013 cons. 5.2

65 Certains assureurs perte de gain LCA vont jusqu'à exclure la prise en charge de ce type d'affections ; de telles clauses ont été jugée insolites et partant non opposables à l'assuré(e) (cf. ATF 138 III 411 cons 3.5).

66 TF 4A_618/2011 cons. 5.2.2 in : JAR 2013 p. 226 ; l'art. 6 LPGA a la teneur suivante : "Est réputée incapacité de travail toute perte, totale ou partielle, de l'aptitude de l'assuré à accomplir dans sa profession en son domaine d'activité le raval qui peut raisonnablement être exigée de lui, si cette perte résulte d'une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique. En cas d'incapacité de travail de longue durée, l'activité qui peut être exigée de lu peut aussi relever d'une autre profession ou d'un autre domaine d'activité".

67 Cf. ATF 127 V 298 ; 130 V 352 ; 139 V 346. Cette jurisprudence a entraîné la révision de l'art. 7 al. 2 LPGA qui dispose à présent – 2ème phrase : "De plus, il n'y a incapacité de gain que si celle-ci n'est pas objectivement surmontable" (Cf. Message du Conseil fédéral relatif à la révision de la loi fédérale sur l'assurance-invalidité (6ème révision, premier volet), FF 2009 p. 1670.

68 TF 4A_52/2011 du 24.3.2011, cons. 4.3.2.1 ; cf. Pärli/Hug, "Freiwillige Taggeldversicherung nach KVG und VVG" in : Steiger-Sackmann/Mosimann, (éd), Recht der Sozialen Sicherheit Bâle, 2014, p. 552 No. 15.68.

D'une façon générale, la jurisprudence du Tribunal fédéral s'en tient à la définition légale de la maladie : celle-ci "est une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique qui n'est pas due à un accident et qui exige un examen ou un traitement médical ou provoque une incapacité de travail" (cf. art. 3 al. 1 LPGA). Cette définition repose sur le modèle classique, bio-psychique de la maladie, alors que la psychiatrie moderne retient également des facteurs sociaux dans la pathogénèse et lors de la thérapie (modèle bio-psycho-social)70. Il n'est dès lors pas tenu compte de l'influence de facteurs dits "externes" au sujet pour déterminer s'il présente les critères d'une maladie. Cette carence dans l'approche de l'affection psychique peut déboucher sur la conclusion qu'un retour rapide à la place de travail serait exigible ("zumutbar") – alors même que la cause sociale du problème n'a pas changé.

Il ne faut dès pas s'étonner que Swiss Insurance Medicine, dans ses lignes directrices 2013 pour l'établissement des certificats médicaux considère qu'une incapacité de travail due "à l'environnement de travail stressant" n'en est pas une, à moins qu'elle ne soit confirmée par un diagnostic psychiatrique71. Autrement dit, il faut une impossibilité subjective, traitée médicalement ; une simple Unzumutbarkeit objective pour un retour au travail du sujet ne suffit pas.