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Les conventions collectives ne sont pas soumises au III. droit de la concurrence

L'exclusion des travailleurs du champ d'application de la loi sur les cartels profite aussi en principe aux organisations de travailleurs, à savoir aux syndicats. Ceux-ci sont toutefois amenés à négocier et à conclure des conventions collectives avec d'autres organismes représentant les employeurs13 ─ soit des entreprises en droit de la concurrence ─ qui, généralement, sont soumises à ce dernier. Pour éviter tout conflit, on peut s'appuyer, d'une part, sur le fait qu'il serait contraire au système de la loi de considérer que l'on est en présence d'un accord entre entreprises selon l'art. 4 al. 1 LCart, alors que, justement, un des deux groupes de contractants n'est pas constitué de telles entités14.

10 Art. 2 al. 1bis LCart. Cette définition s'inspire fortement du droit européen. Voir p.ex., récemment, le rappel par la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) de sa jurisprudence constante dans son arrêt dans l'affaire C-1/12 Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, du 28 février 2013, § 35 et 36.

11 Voir aussi infra l'arrêt CJUE FNV Kunsten Informatie en Media, notes 22 ss.

12 Pour une réflexion nouvelle sur les clauses de non-concurrence en droit cartellaire, voir cep. DREYER D., "Obligation de non-concurrence: Licite? Sans effet? Illicite?", à paraître en 2015 in: PICHONNAZ P.

/WERRO F. (éd.), La pratique contractuelle 4, Zurich (Schulthess).

13 Pour rappel, la convention collective fait l'objet d'une définition légale à l'art. 356 CO.

14 Supra II.

D'autre part, les conventions collectives sont au bénéfice de l'art. 3 al. 1 lit.

a LCart qui prévoit que: "Les prescriptions qui, sur un marché, excluent de la concurrence certains biens ou services sont réservées, notamment celles qui établissent un régime de marché ou de prix de caractère étatique"15. Le régime juridique mis en place pour protéger la validité des conventions collectives entre dès lors dans le cadre de l'exception prévue à l'art. 3 al. 1 lit. a LCart. En effet:

 les art. 356 ss du Code des obligations donnent un statut à ces arrangements qui dépassent largement les relations de droit privé;

 cet aspect est encore renforcé par le mécanisme légal d'extension du champ d'application des conventions collectives de travail16;

 si l'on a des doutes sur l'application directe de l'hypothèse de l'art. 3 al.

1 lit. a LCart, on doit se rappeler que cet alinéa est rédigé de manière à englober des situations analogues à celles définies par cette norme ("notamment").

Enfin, conscient de restreindre la concurrence dans ce domaine, le législateur a fixé à l'art. 356a CO des limites destinées justement à réduire les effets anticoncurrentiels de ces conventions collectives. Cette règle déclare en particulier nuls les clauses de conventions collectives et les accords entre les parties qui contraindraient des employeurs ou des travailleurs à s'affilier à une association contractante17 ou qui empêcheraient ou limiteraient l'exercice d'une profession ou d'une activité déterminée par le travailleur ou encore l'acquisition de la formation nécessaire à cet effet18. Elle prévoit toutefois que ces clauses et accords "sont exceptionnellement valables s'ils sont justifiés par des intérêts prépondérants dignes de protection, tels que la sécurité et la santé de personnes ou la qualité du travail", tout en soulignant que "l'intérêt d'éloigner de nouvelles personnes de la profession n'est pas digne de protection"19.

Cette approche est cohérente:

 tant avec d'autres règles que l'on trouve en droit suisse dans d'autres domaines, comme celui de la santé20;

 qu'avec la jurisprudence relative à l'art. 3 al. 1 LCart qui, dans ce cadre, admet "de manière plutôt restrictive une exclusion de la concurrence"21.

15 Pour une analyse détaillée de cette disposition, ATF 129 II 497 EEF, c. 3.3.

16 Loi fédérale permettant d'étendre le champ d'application de la convention collective de travail, du 28 septembre 1956 (RS 221.215.311).

17 Art. 356a al. 1 CO.

18 Art. 356a al. 2 CO.

19 Art. 356a al. 3 CO. Voir ég. art. 3 de la loi fédérale sur le marché intérieur, du 6 octobre 1995 (LMI ; RS 943.02).

20 Art. 46 al. 3 de la loi fédérale sur l'assurance-maladie, du 18 mars 1994 (LAMal ; RS 832.10).

Dans le même sens, la Cour de Justice européenne a rappelé, dans un récent arrêt sur question préjudicielle, que: "selon une jurisprudence constante, bien que certains effets restrictifs de la concurrence soient inhérents aux accords collectifs conclus entre des organisations représentatives des employeurs et des travailleurs, les objectifs de politique sociale poursuivis par de tels accords seraient sérieusement compromis si les partenaires sociaux étaient soumis à l’article 101, paragraphe 1, TFUE dans la recherche en commun de mesures destinées à améliorer les conditions d’emploi et de travail […]. Ainsi, la Cour a jugé que les accords conclus dans le cadre de négociations collectives entre partenaires sociaux en vue de tels objectifs doivent être considérés, en raison de leur nature et de leur objet, comme ne relevant pas de l’article 101, paragraphe 1, TFUE"22. S'agissant en l'occurrence de "remplaçants indépendants" dans un orchestre, cette juridiction a relevé que ceux-ci fournissaient en principe des prestations au titre d'un contrat d'entreprise23 et que ─ sans jeu de mots ─ une association les représentant agissait alors en qualité d'association d'entreprises et non de syndicat de travailleurs24. La Cour a toutefois réservé le cas des "faux indépendants", soit des "prestataires se trouvant dans une situation comparable à celle des travailleurs"25 et qui ont été embauchés en tant que prestataires de services indépendants "pour des raisons fiscales, administratives ou bureaucratiques", alors (i) qu'ils opèrent sous la direction de leur employeur, en ce qui concerne notamment leur liberté de choisir l’horaire, le lieu et le contenu de leur travail, (ii) qu’ils ne participent pas aux risques commerciaux dudit employeur et (iii) qu’ils sont intégrés à l’entreprise de ce dernier pendant la durée de la relation de travail, formant avec lui une unité économique26.

Enfin:

"si le traité envisage un dialogue social, il ne prévoit, toutefois, aucune disposition encourageant, à l’instar des articles 153 TFUE et 155 TFUE ainsi que 1er et 4 de l’accord sur la politique sociale […],les prestataires indépendants à instaurer un tel dialogue avec les employeurs auprès desquels ils fournissent des prestations de services en vertu d’un contrat d’entreprise et, donc, à conclure des accords collectifs avec ces employeurs en vue d’améliorer leurs propres conditions d’emploi et de travail"27.

21 ATF 129 II 497 EEF, c. 3.3.3.

22 Arrêt CJUE dans l'affaire C-413/13 FNV Kunsten Informatie en Media, du 4 décembre 2014, § 22 et 23.

23 Idem, § 26.

24 Idem, § 28.

25 Idem, § 31.

26 Idem, § 36.

27 Idem, § 29.

La réglementation des marchés publics et la loi