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La législation suisse contient des dispositions visant à lutter contre le dumping social. Celles-ci ont pour objectif d'éviter que du personnel étranger travaille en Suisse à des conditions salariales inférieures aux conditions usuelles de la branche. Bénéficiant en premier lieu aux salariés venant de l'étranger, ces règles ont aussi pour effet de protéger la main-d’œuvre locale.

L'art. 22 LEtr en constitue un exemple. Il prévoit qu'un étranger ne peut être admis, autrement dit recevoir une autorisation de séjour (art. 11 LEtr), en vue de l'exercice d'une activité lucrative qu'aux conditions de rémunération et de travail usuelles du lieu, de la profession et de la branche. Cette disposition a ainsi pour but de protéger non seulement la main-d’œuvre étrangère contre l'exploitation financière42, mais aussi les salariés en Suisse contre le dumping salarial et social43.

40 Arrêt 2C_462/2011 du 9 mai 2012, in SJ 2012 I 508.

41 Arrêt 2C_462/2011 précité c. 4.3 ; ATF 132 III 257, c. 5, traduit in SJ 2007 I 274.

42 Rappelons que, par le biais de l'art. 342 al. 2 CO (cf. supra II/1), le salarié étranger possède un droit d'agir directement contre son employeur pour exiger une rémunération conforme (ATF 138 III 750 c. 2.3).

43 AUBERT, CO I, op. cit., art. 342 n. 5 ; cf. ATF 138 I 367 c. 5.6.

Les ressortissants d'un État partie à l'Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP)44 ne sont pas soumis à la restriction de l'art. 22 LEtr.

D'autres mesures d'accompagnement leurs sont applicables, qui ont donné lieu à jurisprudence. On peut citer l'art. 360a CO, disposition qui figure dans le CO tout en relevant du droit public. Selon cet article, l'autorité compétente peut, à certaines conditions, édicter un contrat-type de travail d'une durée limitée prévoyant des salaires minimaux différenciés selon les régions, voire les localités dans le but d'empêcher les abus (contrat-type de travail impératif). Le Tribunal fédéral, dans un arrêt du 20 novembre 201345, s'est prononcé sur un contrat-type de travail édicté par le Conseil d’État tessinois dans le secteur de la fabrication d'appareils électriques et électroniques. Deux entreprises tessinoises se plaignaient notamment d'une violation de leur liberté économique ; elles ont été déboutées. En substance, il a été retenu qu'une telle mesure conduisait certes à augmenter le coût de la main-d’œuvre étrangère dans le secteur visé, mais qu'elle reposait sur une base légale suffisante, à savoir l'art. 360a CO, poursuivait le but d'intérêt public consistant à éviter le dumping social et restait proportionnée, car elle demeurait limitée dans le temps46. Il convient de préciser que la violation du salaire minimal prévu dans un contrat-type impératif au sens de l'art. 360a CO peut faire l'objet de sanctions, qui ont été renforcées par la modification, entrée en vigueur le 1er janvier 201347, de la loi fédérale du 8 octobre 1999 sur les travailleurs détachés48. Cette loi constitue elle aussi une mesure d'accompagnement tendant à empêcher le dumping social49, en particulier en luttant contre les prestations de services accomplies par des travailleurs pseudo-indépendants50.

Attribution par l’État de certains avantages 2.

Hormis la lutte contre le dumping social, le droit public peut aussi influencer indirectement le droit privé du travail, lorsque l’État conclut des contrats, finance certains secteurs ou décerne des autorisations. Les entreprises qui respectent les conditions usuelles de travail ou offrent des avantages à leur personnel sont alors favorisées.

44 RS 0.142.112.681.

45 ATF 140 III 59.

46 Arrêt 4C_3/2013 c. 11 non publié in ATF 140 III 59.

47 Message du Conseil fédéral du 2 mars 2012, FF 2012, 3161 ; RO 2012, 6703.

48 LTDét ; RS 823.20.

49 Arrêts 1C_33/2013 du 19 mai 2014 c. 2.2 ; 4C_3/2013 c. 8 et 11 non publiés in ATF 140 III 59 ; 2C_714/2010 du 14 décembre 2010 c. 3.1.

50 FF 2012, 3169 et 3172 ; sous l'ancienne version de la LTDét, arrêt 2C_714/2010 du 14 décembre 2010.

Il faut d'emblée préciser que l’État ne peut poser n'importe quelles conditions. Ainsi, il ne peut subordonner les avantages offerts à la condition que les entreprises adhérent à une convention collective de travail. Une telle réglementation serait contraire au droit fédéral et à la liberté d'association négative51. En revanche, des moyens de contrainte indirecte ne sont pas exclus52. L’État peut ainsi se limiter à faire dépendre un comportement ou des prestations du respect des conditions de travail prévues par ladite convention, mais sans imposer aux entreprises d'y adhérer53. L’État doit également veiller à ce que les conditions qu'il pose ne constituent pas des restrictions à la liberté d'accès au marché contraires à la loi fédérale du 6 octobre 1995 sur le marché intérieur54, ce qui est par exemple le cas si, sous le couvert d'exigences relevant de la politique sociale, il prend des mesures protectionnistes55.

A. Conclusion de contrats

Le secteur des marchés publics permet d'illustrer ces principes56. La législation n'est certes pas uniforme en ce domaine : si le marché public est attribué par des autorités fédérales, la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics57 est applicable, alors que les marchés de la compétence des cantons, communes et autres organes assumant des tâches cantonales ou communales sont régis par l'accord intercantonal du 15 novembre 1994 sur les marchés publics58 et par des règles d'application propres à chaque canton59. En général, ces dispositions contiennent l'obligation de n'adjuger un marché qu'à des entreprises soumissionnaires qui observent les dispositions relatives à la protection des travailleurs et les conditions de travail usuelles de la branche.

Le respect de l'égalité de traitement entre femmes et hommes fait aussi partie des principes qui doivent être respectés sous peine d'exclusion60. Le pouvoir adjudicateur est en outre en droit d'effectuer des contrôles et de sanctionner l'entreprise qui a obtenu le marché et qui ne respecte pas les conditions

51 ATF 124 I 107 c. 2 ; arrêt 2C_58/2009 du 4 février 2010 c. 4.2.

52 ATF 124 I 107 c. 2e et 4c/cc ; arrêts 2C_728/2011 du 23 décembre 2011 c. 7.3 et 2P.193/2003 du 2 mars 2004 c. 3.3.

53 Arrêt 2C_728/2011 précité c. 7.4.

54 LMI ; RS 943.02.

55 Cf. MANUEL BIANCHI DELLA PORTA, Commentaire romand-Droit de la concurrence, 2e éd. 2013, art. 3 LMI n. 55.

56 Sur le sujet, cf. RémyWYLER, Les conditions de travail, la libre circulation et le détachement des travailleurs, in Marchés publics 2008, 2008, p. 247 ss.

57 LMP ; RS 172.056.1.

58 AIMP ; RS-GE L 6 05.

59 Pour Genève : règlement cantonal genevois sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 ; RS-GE L 6 05.01.

60 Art. 8 al. 1 let. b et c LMP ; 11 let. e et f AIMP ; 20 s. RMP/GE. Pour une description des dispositions protectrices des travailleurs visées, cf. WYLER, Marchés publics 2008, op. cit., p. 269 ss.

précitées61. Le prononcé de sanctions a été récemment confirmé dans le cas d'une entreprise qui avait obtenu le marché, alors qu'elle ne disposait pas du personnel suffisant pour effectuer le travail au moment où elle avait soumissionné, contrairement à ce qui était exigé62.

Dans un arrêt du 22 juin 2012, le Tribunal fédéral s'est penché sur le cas d'une entreprise de construction qui, dans le cadre de l'exécution d'un marché public, avait fait appel à des sous-traitants qui violaient l'art. 22 LEtr.

L'entreprise soumissionnaire a été sanctionnée, même si les salariés en cause étaient les employés d'un sous-traitant63. On voit ici l'effet indirect du droit des marchés publics sur la protection du salarié, puisque la sanction vise l'entreprise qui a obtenu le marché et non le sous-traitant employeur.

Précisons que l'exigence du respect de critères sociaux en droit des marchés publics suppose que ceux-ci soient prévus dans une loi, lorsque ces critères ne sont pas en lien direct avec les prestations ou les services objets du marché. Par exemple, l'exigence que les entreprises qui soumissionnent occupent un certain nombre d'apprentis suppose une base légale. La jurisprudence a posé ce principe dans un arrêt du 24 septembre 2014 en lien avec un critère d'adjudication lié au niveau des salaires offerts par les entreprises soumissionnaires64.

B. Financement étatique

Les cantons doivent partiellement financer les établissements hospitaliers autorisés à pratiquer en vertu de la législation sur l'assurance-maladie sur la base de tarifs qu'ils édictent.

A Neuchâtel, le droit cantonal prévoit une majoration tarifaire, soit des subventions supérieures, pour les établissements médico-sociaux respectant les conditions générales de travail émises par les associations professionnelles.

Le Tribunal fédéral a retenu qu'il s'agissait d'une incitation indirecte à respecter les conditions de travail prévues dans une convention collective de travail, mais pas une obligation à y adhérer, de sorte que cette majoration restait admissible dans son principe, dès lors que le système n'empêchait pas d'autres établissements d'être reconnus65.

61 Art. 8 al. 2 LMP ; art. 19 AIMP ; art. 54 RMP.

62 Arrêt 2C_315/2013 du 18 septembre 2014 destiné à la publication.

63 ATF 138 I 367 c. 5.6 et 5.7.

64 Arrêt 2D_58/2013 du 24 septembre 2014 destiné à la publication.

65 Arrêt 2C_728/2011 du 23 septembre 2011 c. 7.3, confirmé in arrêt 2C_727/2011 du 19 avril 2012 c. 6.2 non publié in ATF 138 II 191.

C. Octroi et retrait d'autorisations

Le troisième et dernier exemple a trait aux autorisations d'exploiter des établissements publics. Les cantons peuvent non seulement subordonner l'octroi de l'autorisation au respect des prescriptions relatives à la protection des travailleurs, mais aussi prévoir le retrait de l'autorisation et la fermeture de l'établissement en cas de non-respect desdites règles. Ce principe a par exemple été appliqué le 5 octobre 2009, le Tribunal fédéral confirmant la révocation d'une autorisation d'exploiter un établissement public qui occupait des travailleurs non déclarés et ne versait pas les cotisations sociales66.

Synthèse V.

Ce survol n'appelle pas de véritable conclusion, mais permet de mettre en évidence quelques points.

Tout d'abord, pour avoir une vision générale de la protection du salarié dans le secteur privé, la liste des dispositions impératives et relativement impératives figurant dans le CO ne suffit pas ; il faut aussi envisager l'existence de règles de droit public. L'art. 342 al. 2 CO le rappelle, en permettant au salarié de faire valoir le respect de ces dispositions devant le juge civil lorsqu'elles sont susceptibles d'être réglées dans le contrat de travail.

Parmi le droit public entrant en considération, il ne faut pas se limiter au droit public fédéral. Le droit public cantonal, dans la mesure où il poursuit un autre but ou contribue à la protection figurant dans le droit fédéral non exhaustif, peut aussi exercer un effet protecteur.

Selon les cantons, les approches des normes protectrices de droit public peuvent se montrer très différentes, comme il l'a été vu s'agissant de l'ouverture le dimanche des commerces situés en région touristique, ce qui rend nécessaire une unification par la jurisprudence.

Enfin, le droit public contient non seulement des prescriptions qui contribuent directement à la protection des salariés dans le secteur privé, mais aussi des mesures qui, indirectement, par une volonté de politique économique, ont aussi un tel effet, par exemple en matière de lutte contre le dumping social ou de marchés publics.

66 Arrêt 2C_312/2009 du 5 octobre 2009 c. 4.2.