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SECTION II : Les effets de l’obligation de résidence chez l’employeur sur les

2.2.2. Une main-d’œuvre disponible de manière quasi-permanente

2.2.2.1. Les travailleurs agricoles : une main-d’œuvre fiable et flexible

Dans le cas des travailleurs agricoles étrangers contraints de résider sur la propriété de la ferme de leur employeur ou à proximité de celle-ci, c’est surtout le « sentiment de peur perpétuel »607 de compromettre leurs chances d’être rappelés par l’employeur l’année suivante qui les empêche de refuser de travailler au-delà des heures de travail spécifiées dans leurs contrats d’emploi608. Connaissant l’état de vulnérabilité qu’engendre ce sentiment auprès de la main-d’œuvre agricole étrangère, les employeurs canadiens en profitent pour en disposer de manière quasi permanente609, selon les besoins de leurs entreprises agricoles610, voire même selon leurs besoins personnels611. En interprétant à mauvais escient l’état de vulnérabilité dans lequel se trouvent les travailleurs étrangers comme étant « [a] willingness […] to work significantly longer hours than domestic [workers] »612, les exploitants agricoles se trouvent ainsi justifiés à imposer à leur main-d’œuvre étrangère des semaines de travail de soixante à quatre-vingt-dix heures, avec plusieurs travailleurs contraints de travailler également durant les jours de fin de semaine613. Tel qu’il est possible de le constater, l’obligation de résidence favorise l’exploitation des travailleurs agricoles étrangers, et ce, puisqu’elle facilite « the availability of workers to work as needed outside established work hours; [with] workers [being] sometimes asked to wake up from bed to work at three in the morning to unload farm produce without considering these as work hours towards their pay cheques »614.

607 Orantes Silva c. 9009-1729 Québec inc., préc., note 532, par. 19. 608 G. OTERO et K. PREIBISCH, préc., note 60, p. 17.

609 A. G. PAZ RAMIREZ, préc., note 9, p. 48.

610 Pour illustrer nos propos, nous référons à l’affaire Orantes Silva c. 9009-1729 Québec inc., préc., note 532,

dans laquelle le Tribunal administratif du travail a récemment accueilli les plaintes pour harcèlement psychologique déposées en vertu de l’article 123.6 de la L.n.t. par quatre travailleurs agricoles étrangers originaires du Guatemala. Dans cette affaire, les plaignants étaient logés sur la propriété de la ferme de leur employeur, dans des conditions que l’instance administrative a considérées comme étant inadéquates. Le fait que les plaignants étaient logés sur place autorisait leur employeur à les faire travailler « selon les commandes [qu’il avait] à remplir. Quand elles [étaient] nombreuses, les heures [de travail des plaignants l’étaient] aussi, comme ce fut le cas, de 7 h à 2 h ou 5 h la nuit. Une fois couchés, [les plaignants] se [faisaient] réveiller vers 7 h ou 7 h 30 pour retourner travailler, après seulement deux heures de sommeil. Ils [s’]exécut[aient] par crainte d’être expulsés du Canada. De fait, ils éprouv[ai]ent un sentiment de peur perpétuel ». Id., par. 19.

611 À titre d’exemple, voir : Id., par. 22. 612 K. L. PREIBISCH, préc., note 195, 435. 613 Id., 434 .

Par ailleurs, l’obligation de résidence permet aux employeurs de pallier aux problèmes de transport auxquels ils sont confrontés avec les travailleurs agricoles domestiques. Effectivement, considérant que la plupart de ces travailleurs vivent dans les centres urbains, et qu’au surplus ils ne disposent habituellement pas d’un véhicule qui leur permettrait de se déplacer vers les exploitations agricoles qui les emploient, généralement situées dans des zones rurales non desservies par un système de transport en commun, il en résulte que les employeurs du domaine agricole sont quotidiennement contraints d’offrir aux travailleurs domestiques le transport pour qu’ils puissent se rendre à leurs exploitations agricoles615. À cet égard, il appert que les travailleurs agricoles étrangers logés sur la propriété de la ferme de leur employeur ou à proximité de celle-ci permettent aux employeurs qui les embauchent de réaliser d’importantes économies en matière de transport, mais surtout en matière de temps616. Les producteurs agricoles canadiens ne s’en cachent pas : « [they] prefer migrants from abroad who live on their farms while in Canada rather than Canadian workers who drive from Canadian homes to work everyday »617. En effet, même lorsque les exploitants agricoles fournissent le transport à destination et en provenance de la ferme, il reste que rien ne garantit que les travailleurs locaux vont quotidiennement se présenter au travail, particulièrement lors des journées d’intempéries :

[l]orsqu’il pleut abondamment le matin, les travailleurs locaux ne rentrent pas travailler, même si quelques heures plus tard il fait soleil. Maintenant, lorsque les champs se sont suffisamment asséchés pour qu’on puisse retourner y travailler, il nous suffit d’avertir nos employés étrangers que le travail reprend et, en quelques minutes, ils sont au[x] champ[s]. »618

Conséquemment, grâce à l’obligation qui leur est imposée de résider sur la ferme des exploitants agricoles qui les emploient, les travailleurs étrangers, en étant continuellement à la disposition de leurs employeurs, constituent une main-d’œuvre de choix, qui soulage quelque peu les incertitudes qu’éprouvent les producteurs agricoles lorsque les conditions météorologiques sont incertaines, qui, « [b]eau temps, mauvais temps, […] sa[vent] qu’il[s]

615 K. L. PREIBISCH, préc., note 195, 433. 616 Id.

617 Id., 434. À cet égard, soulignons le témoignage d’un producteur agricole qui justifie les raisons pour lesquelles

il préfère les travailleurs étrangers par rapport aux travailleurs domestiques : « Having [the foreign agricultural workers] housed here, knowing that they’re going to be here when you get here in the morning is just so much better than sitting here waiting for somebody who is going to drive in themselves. Some people are chronically late so you wind up holding back so many other guys because one person is late or they don’t show up at all ».

peu[vent] compter sur [ces] travailleurs », qui assurent « une présence fiable, constante et suffisante »619 au sein de leurs exploitations agricoles620.