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SECTION I : L’encadrement des flux migratoires au Canada

1.1.2. Les programmes canadiens de travail temporaire : l’état des lieux

Confronté à des critiques de plus en plus acerbes, qui, d’une part, jugeaient inacceptable que les employeurs canadiens privilégient le recours à la main-d’œuvre étrangère temporaire pour combler des emplois peu qualifiés pour lesquels les travailleurs locaux au chômage étaient en nombre suffisant pour satisfaire à la demande de main-d’œuvre des employeurs canadiens91 et, d’autre part, dénonçaient l’exploitation systémique et la violation des droits et libertés fondamentaux dont étaient victimes ces travailleurs migrants peu spécialisés dans le cadre de leur relation d’emploi92, le gouvernement fédéral a procédé, le 20 juin 2014, à une réforme globale de son programme de migration de la main-d’œuvre temporaire, qui se décline dorénavant en deux volets distincts, à savoir le Programme de

mobilité internationale (ci-après « PMI ») et le Programme des travailleurs étrangers temporaires. Le 31 octobre de la même année, il a également annoncé des changements

importants au PAFR, particulièrement quant à l’obligation de résidence incombant aux travailleuses domestiques ainsi qu’aux conditions d’accès à la résidence permanente de celles- ci, qui sont entrés en vigueur le 30 novembre suivant.

89 R.I.P.R., art. 2, définition « aide familial ». 90 LES CANADIENS DABORD, préc., note 43, p. 8.

91 Dominique M. GROSS, Temporary Foreign Workers in Canada : Are They Really Filling Labour Shortages ?,

Toronto, C.D. Howe Institute, 2014, p. 7, en ligne :

<https://www.cdhowe.org/sites/default/files/attachments/research_papers/mixed//commentary_407.pdf> (site consulté le 10 novembre 2016).

92 Fay FARADAY, Canada’s Choice : Decent Work or Entrenched Exploitation for Canada’s Migrant Workers ?,

George Cedric Metcalf Charitable Foundation, Toronto, 2016, p. 6 et 18, en ligne : <http://metcalffoundation.com/wp-content/uploads/2016/06/Canadas-Choice-2.pdf> (site consulté le 10 novembre 2016) (ci-après « CANADA’S CHOICE »).

Le PMI, administré par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration Canada (ci- après « CIC »), dont l’objectif principal consiste en la défense des intérêts économiques et culturels globaux du Canada, comprend l’ensemble des programmes de migration de main- d’œuvre temporaire au titre desquels les travailleurs étrangers sont exemptés de l’obligation de faire l’objet, préalablement à la délivrance de leur permis de travail, d’une étude d’impact sur le marché du travail (ci-après « EIMT »)93. Essentiellement, ce programme facilite la migration temporaire de travailleurs étrangers pour occuper des postes spécialisés ou à salaire élevé dans le cadre d’accords internationaux94, d’ententes de réciprocité en matière d’emploi95, de travail lié à un projet de recherche96, d’ordre religieux ou charitable97, des postes permettant de créer ou de conserver des débouchés ou des avantages sociaux, culturels ou économiques pour les citoyens canadiens ou les résidents permanents98, et enfin des postes qui appuient la compétitivité des établissements universitaires ou de l’économie du Canada99.

Le PTET actuel est quant à lui formé des volets au titre desquels les travailleurs étrangers peuvent de manière temporaire entrer au Canada à la demande des employeurs, suivant l’émission d’un permis de travail obtenu suite à une étude d’impact sur le marché du travail favorable100. Dorénavant administré en fonction de la rémunération plutôt qu’en fonction des niveaux de compétences énoncés à la CNP, considérant que, selon le gouvernement fédéral, la rémunération constitue un point de référence offrant « une plus grande objectivité et exactitude quant au besoin sur le plan des compétences et de la main- d’œuvre dans un secteur donné »101, le PTET actuel se décline présentement en cinq sous- programmes, à savoir le Volet des postes à rémunération élevée102, le Volet des postes à

93 LES CANADIENS DABORD, préc., note 43, p. 1. L’objectif essentiel de l’EIMT consiste « of ensuring that

Canadian citizens and permanent residents receive priority in hiring and that Canadian labour market conditions are not undermined ». Id., p. 21.

94 R.I.P.R., art. 204. 95 Id., art. 205b). 96 Id., art. 205c)i). 97 Id., art. 205d) 98 Id., art. 205a). 99 Id., art. 205c)ii).

100 LES CANADIENS DABORD, préc., note 43, p. 1. 101 Id., p. 7.

102 Le Volet des postes à rémunération élevée comprend les « postes dont la rémunération est égale ou supérieure

au salaire médian provincial ou territorial, par exemple les emplois en gestion, les emplois scientifiques, professionnels et techniques et les métiers spécialisés ». Id., p. 9.

rémunération peu élevée103, le Volet agricole104 – qui comprend désormais le Programme des

travailleurs agricoles saisonniers –, le Volet des postes à forte demande, les mieux payés ou de courte durée105, et le Programme des aides familiaux106.

Actuellement, trois ministères fédéraux veillent à la mise en œuvre du PTET. D’abord, le ministère de l’Emploi et du Développement social Canada (ci-après « EDSC ») est chargé d’évaluer l’authenticité des offres d’emploi et d’émettre les études d’impact sur le marché du travail aux employeurs, suite à l’analyse des incidences possibles – positives, négatives ou neutres – de l’embauche d’un travailleur étranger temporaire sur le marché du travail canadien. Ensuite, il incombe au ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration Canada de gérer les demandes de permis de travail, en s’assurant que le travailleur migrant possède les qualités nécessaires pour exercer l’emploi pour lequel le permis est demandé, et qu’il quittera le territoire canadien à l’expiration de celui-ci. Enfin, l’Agence des services frontaliers du Canada (ci-après « ASFC ») est chargée de procéder au contrôle des personnes aux divers points d’entrée107, et de prendre la décision finale quant à l’admission éventuelle d’un travailleur étranger temporaire au Canada, après avoir procédé à l’interrogatoire et à l’analyse des documents d’immigration de celui-ci.

103 Le Volet des postes à rémunération peu élevée comprend les « postes dont la rémunération est inférieure au

salaire médian provincial ou territorial, par exemple les emplois d’ouvriers non qualifiés, de serveurs à un comptoir de service alimentaire ou de préposés aux ventes et au service ». Id.

104 Le Volet agricole « inclut les emplois dans le secteur agricole primaire, tels que les emplois d’ouvriers

agricoles en général, d’ouvriers de pépinière et de serre, les travailleurs de parc d’engraissement et les récolteurs, y compris les travailleurs du Programme des travailleurs agricoles saisonniers, qui permet à des travailleurs du Mexique et de certains pays des Caraïbes de répondre aux besoins saisonniers des producteurs agricoles du Canada ». Id.

105 Le Volet des postes à forte demande, les mieux rémunérés ou de courte durée comprend une gamme

d’emplois. D’abord, les emplois à forte demande incluent les « métiers spécialisés pour lesquels la rémunération est égale ou supérieure au salaire médian provincial ou territorial », qui sont généralement « essentiels pour la mise en œuvre de grands projets d’infrastructure et d’extraction de ressources naturelles, qui sont au cœur de la croissance économique canadienne ». Ensuite, les emplois les mieux rémunérés englobent les postes pour lesquels « le salaire figure dans la tranche supérieure de 10 % des salaires gagnés dans une province ou un territoire donné, comme les médecins », ce qui « laisse[rait] supposer qu’un travailleur étranger temporaire [serait] le plus qualifié dans son emploi et qu’il [serait] difficile de trouver une personne possédant de telles qualifications sur le marché du travail canadien ». Enfin, les emplois de courte durée comprennent les postes pour lesquels les travailleurs étrangers temporaires sont embauchés « pour [cent vingt] jours civils ou moins pour tout poste rémunéré à un taux égal ou supérieur au salaire médian provincial ou territorial », comme « ceux visant des réparations à du matériel de production et des réparations prévues par une garantie ». Il est loisible de souligner que le renouvellement de l’étude d’impact sur le marché du travail pour les emplois de courte durée ne sera pas autorisé, sous réserve de circonstances exceptionnelles. Id., p. 9, 15-16.

106 À cet égard, voir: Infra, 1.2.2.2. 107 L.I.P.R., art. 4(2).

Plus précisément, dans l’éventualité où un employeur canadien désire embaucher un ressortissant étranger dans un poste à bas salaire pour œuvrer dans l’industrie agroalimentaire ou celui des services d’aide familiale par le biais de l’un des sous-programmes du PTET spécifiques à ces secteurs d’activité, l’employé et l’employeur doivent d’abord signer un contrat d’emploi – généralement un contrat-type de travail imposé par EDSC, variant en fonction du type d’occupation, du pays d’origine du travailleur, voire même de sa future province d’emploi, et précisant notamment la durée et l’étendue des obligations réciproques des parties au rapport salarial, le nom de l’employeur, la fonction occupée, ainsi que les conditions relatives à l’hébergement offert au travailleur – qui deviendra effectif une fois que l’ensemble des démarches administratives d’immigration auront été complétées avec succès. L’employeur doit ensuite présenter une demande d’EIMT auprès du ministère de l’Emploi et du Développement social Canada, accompagnée des frais de traitement afférents108, ainsi que du contrat d’emploi préalablement signé par les parties. Sur réception de la demande de l’employeur, le ministère procède à l’évaluation de l’authenticité de l’offre d’emploi109 ainsi que des répercussions possibles de l’arrivée du travailleur étranger temporaire sur le marché du travail canadien110. À cet égard, il considère notamment si l’employeur a déployé des efforts raisonnables pour embaucher ou former des citoyens canadiens ou des résidents permanents avant de se résoudre à recruter un travailleur étranger temporaire111, si le salaire offert correspond aux taux des salaires courants pour cette profession, et si les conditions de travail qui sont offertes au travailleur étranger temporaire satisfont aux normes canadiennes généralement acceptées112. Suite à cette évaluation, le ministère fait droit à la demande d’EIMT formulée par l’employeur, s’il considère que l’embauche du travailleur étranger temporaire est susceptible d’avoir des effets positifs ou neutres sur le marché du travail canadien113.

108 R.I.P.R., art. 315.2. 109 Id., art. 203(1)a) et 200(5). 110 Id., art. 203(3).

111 Id., art. 203(3)e). 112 Id., art. 203(3)d). 113 Id., art. 203(1)b).

L’employé est ensuite tenu de présenter, préalablement à son entrée au Canada114, une demande de permis de travail au ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration Canada115, qui doit être assortie d’une demande de visa de résident temporaire, sauf s’il est citoyen d’un État dont les ressortissants sont dispensés de l’obligation d’obtenir un tel visa116, et de défrayer les coûts afférents à l’examen de ces demandes117. À ce stade, l’employé doit également se soumettre à un examen médical, et obtenir la confirmation, par le biais d’un certificat médical, que son état de santé ne constitue vraisemblablement pas un danger pour la santé ou la sécurité publique118. Est tenu de se soumettre à cet examen médical, l’employé qui souhaite travailler au Canada dans une profession où la protection de la santé publique est essentielle119, ainsi que celui qui cherche à y entrer pour une période dont la durée dépasse six mois consécutifs et qui a résidé ou séjourné, à n’importe quel moment au cours de la période d’un an précédant la date à laquelle il cherche à entrer au Canada, dans au moins l’un des pays ou territoires désignés par CIC120. Le cas échéant, l’employé doit également se soumettre à une collecte de renseignements biométriques moyennant les frais afférents121. Une fois ces formalités accomplies avec succès, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration Canada confirmera le contrat de travail préalablement signé par les parties au rapport salarial et délivrera le permis de travail à l’employé si, à l’issue d’un contrôle, il a l’assurance que celui-ci est qualifié pour exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé et qu’il quittera le Canada à l’expiration de celui-ci122. Le permis de travail émis est lié à un employeur canadien spécifique, ce qui restreint considérablement la mobilité professionnelle du travailleur étranger temporaire, dont l’entrée et le droit de séjour au Canada ne sont autorisés qu’à la seule fin qu’il réalise, pour une durée déterminée, l’emploi désigné sur son permis de travail, pour le seul employeur qui est spécifié sur ce permis123, chez lequel il est généralement, de jure ou de

facto, contraint de résider tout au long de son séjour professionnel. Le non-respect – pour

114 Id., art. 197 et 200(1). 115 Id., art. 196 et 200(1). 116 Id., art. 190(1).

117 Id., art. 299(1) et 296(2)d).

118 L.I.P.R., art. 16(2) ; R.I.P.R., art. 30. 119 R.I.P.R., art. 30(1)ii).

120 Id., art. 30(1)a)iii).

121 Id., art. 12.1(1) et 315.1(1). 122 Id., art. 179 et 200. 123 Id., art. 185.

quelque raison que ce soit – du travailleur étranger temporaire de l’une des conditions prévues à son permis de travail peut mener au rapatriement anticipé de celui-ci, considérant que son droit de séjourner sur le territoire canadien est intimement lié à la validité du permis qui lui est délivré124. Bien que les conditions dont sont assortis ces permis peuvent éventuellement faire l’objet de modifications, il reste que le travailleur se voit alors contraint de réenclencher l’intégralité du processus menant à l’obtention d’un permis de travail, à commencer par signer un contrat d’emploi avec un nouvel employeur, qui devra à son tour obtenir une nouvelle étude d’impact sur le marché du travail favorable de la part d’EDSC. Une fois que le travailleur étranger arrive au Canada, un agent de l’ASFC vérifie si celui-ci répond toujours aux critères d’admissibilité ainsi qu’aux exigences en matière de santé et de sécurité publiques avant de confectionner et de lui remettre son permis de travail, lui permettant ainsi d’entrer au Canada pour y travailler125.