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SECTION II : Les effets de l’obligation de résidence chez l’employeur sur les

2.2.2. Une main-d’œuvre disponible de manière quasi-permanente

2.2.2.2. Les aides familiales résidantes : une main-d’œuvre disponible sur demande

En ce qui concerne les travailleuses domestiques résidantes, une récente enquête de terrain menée au Québec auprès de trente-trois aides familiales d’origine philippine embauchées par le biais du PAFR a permis de mettre au jour « l’élasticité du temps réellement travaillé »621 par celles-ci, comme permet de le constater le témoignage de l’une des travailleuses domestiques migrantes rencontrées au sujet des heures effectives de travail accomplies par jour auprès de son employeur : « [c]e n’est pas vraiment que tu travailles [vingt-quatre] heures par jour, c’est n’importe quand, dès qu’ils ont besoin de vous »622. Plus précisément, en moyenne, les travailleuses rencontrées dans le cadre de cette enquête ont déclaré travailler douze heures et demie par jour, alors que sept d’entre elles ont affirmé travailler plus de quatorze heures quotidiennement623. Bien que l’on puisse se réjouir du fait que vingt-quatre des travailleuses domestiques rencontrées aient déclaré travailler cinq jours par semaine, il reste qu’il existe des cas bien réels où certaines d’entre elles doivent travailler six, voire même sept jours par semaine, en plus de devoir rester joignables et disponibles en dehors de leurs heures effectives de travail624, et ce, pour accomplir les tâches « indéfinie[s]

619 Id., p. 10.

620 « That’s why so many people are happy with the offshore workers, because they’re living on your farm. You

provide accomodations. They are there every morning, and they are happy to have a job. And the biggest attraction, I think, with the offshore workers is that they are always there ». [Nos soulignements.] Tanya BASOK,

préc., note 178, p. 118.

621 Elsa GALERAND, « Quelle conceptualisation de l’exploitation pour quelle critique intersectionnelle ? », (2015)

28 :2 Recherches féministes 179, 189.

622 Id., 190.

623 E. GALERAND, M. GALLIÉ et J. OLLIVIER-GOBEIL, préc., note 350, p. 20.

624 Id. Au Québec, il est loisible de souligner que le paragraphe 57(1) de la Loi sur les normes du travail prévoit

qu’« [u]n salarié est réputé au travail […] lorsqu’il est à la disposition de son employeur sur les lieux du travail et qu’il est obligé d’attendre qu’on lui donne du travail ». Conséquemment, lorsqu’elles sont contraintes d’attendre que les personnes bénéficiant de leurs soins leurs assignent du travail, les travailleuses domestiques migrantes devraient légalement être considérées comme étant « réputé[es] au travail », et payées en conséquence. Toutefois, comme l’exprime si simplement une auteure, « cette loi ne s’applique précisément pas plus dans leur cas que dans celui des épouses ». E. GALERAND, préc., note 621, 190.

pour ne pas dire infinie[s] »625 qui leur sont continuellement assignées626. Toutefois, bien qu’elles soient contraintes de travailler au-delà des heures normales prévues à leur contrat de travail, étant donné « leur incapacité à réaliser l’ensemble de[s] tâches [qui leur sont assignées] dans les délais prescrits par [leurs] employeur[s] »627, il reste que les heures supplémentaires qu’elles effectuent ne sont que rarement payées628. Effectivement, « la rémunération des travailleuses domestiques semble [plutôt] forfaitaire et non déterminée selon le nombre d’heures [réellement] travaillées »629, qu’elles hésitent généralement à réclamer auprès de leurs employeurs, non seulement par crainte de représailles, mais surtout pour éviter de nuire inopportunément à leur cheminement visant à obtenir un visa de résident permanent, et de rallonger ainsi le moment tant attendu de leur réunification avec leurs conjoints et enfants630.

À partir de ce qui précède, il appert que l’obligation de résider à l’endroit désigné par l’employeur constitue un moyen permettant d’assurer de manière optimale la disponibilité permanente des travailleurs étrangers temporaires tout au long de leur séjour professionnel sur le territoire canadien. Effectivement, en mettant à la disposition des employeurs non « seulement la force de travail » des travailleurs migrants qu’ils embauchent, mais « également les corps [de ces travailleurs], “machine[s]-à-force-de-travail” »631, l’obligation de résidence constitue un mécanisme pervers « en ce qu’elle vient annuler toute limite à

625 E. GALERAND et M. GALLIÉ, préc., note 312, par. 53.

626 Au regard de la charge de travail accomplie par les aides familiales résidantes, l’enquête de terrain menée au

Québec a permis de mettre à jour que les travailleuses domestiques rencontrées étaient, d’un point de vue juridique, « dans l’illégalité du point de vue de la charge de travail ». En effet, alors qu’en vertu de l’article 2 du R.I.P.R., l’« aide familial » est défini comme étant une « [p]ersonne qui fournit sans supervision des soins à domicile à un enfant, à une personne âgée ou à une personne handicapée », l’immense majorité des travailleuses domestiques rencontrées ont pourtant déclaré être contraintes de « s’occuper de plus d’un enfant ou de plus d’une personne », en plus de devoir accomplir, non seulement l’ensemble des tâches ménagères de la résidence au sein de laquelle elles offrent leurs services, mais également les « tâches atypiques et farfelues exigées par leurs employeurs », comme « servir un café au milieu de la nuit » ou « rester éveillée pour faire le ménage une fois la fête terminée et les invités partis ». E. GALERAND, M. GALLIÉ et J. OLLIVIER-GOBEIL, préc., note 350, p. 16 à 18.

627 Id., p. 19.

628 D. GESUALDI-FECTEAU, préc., note 40, p. 257 ; M. DUMONT-ROBILLARD, préc., note 15, p. 48 ; LA

DISCRIMINATION SYSTÉMIQUE À L’ÉGARD DES TRAVAILLEUSES ET TRAVAILLEURS MIGRANTS, préc., note 143, p.

66. Cette situation n’est pas propre au Québec, elle se fait également ressentir en Ontario : MADE IN CANADA,

préc., note 41, p. 89.

629 E. GALERAND, M. GALLIÉ et J. OLLIVIER-GOBEIL, préc., note 350, p. 21. 630 COMMISSION DU DROIT DE L’ONTARIO, préc., note 557, p. 102.

l’exploitation possible de la force de travail »632 de ces travailleurs étrangers temporaires. Conséquemment, elle rend les travailleurs migrants assujettis à cette obligation particulièrement vulnérables à être exploités au niveau de leurs droits du travail, en les contraignant à assumer une charge de travail démesurée, à réaliser des heures supplémentaires non rémunérées, à travailler même lorsque malades, ainsi qu’à renoncer à de réelles périodes de repos.

2.2.3. Un isolement physique et social annihilant tout sentiment de liberté

Au-delà de contraindre la main-d’œuvre étrangère affectée à la domesticité et au travail agricole à évoluer dans des conditions journalières de vie particulièrement difficiles, et d’assurer la disponibilité de cette main-d’œuvre de manière quasi permanente, l’obligation de résidence astreint également les travailleurs étrangers temporaires assujettis à cette obligation à un isolement physique et social intolérable, qui annihile en eux tout sentiment de liberté. Effectivement, en étant logés sur la propriété de leur employeur, ou à proximité de celle-ci, les travailleurs étrangers temporaires se retrouvent dans une situation de contrôle et de dépendance face à leurs employeurs, qui, du coup, s’accordent discrétionnairement le droit de s’introduire de manière récurrente dans les résidences de leurs employés pour inspecter leurs habitations ainsi que leurs effets personnels, voire même d’installer des caméras de surveillance dans ces résidences dans le but d’épier les moindres mouvements de ceux-ci. En outre, cette proximité perpétuelle permet aux employeurs canadiens de contrôler la vie personnelle et affective des travailleurs migrants qu’ils emploient, en leur interdisant de sortir de leur lieu de résidence sans avoir préalablement obtenu leur autorisation pour ce faire, ainsi qu’en contrôlant systématiquement les personnes pouvant avoir accès au logement dans lequel ces travailleurs sont logés. Or, la conjonction de ces facteurs produit des effets délétères sur la santé mentale des travailleurs étrangers, qui, en se sentant isolés, opprimés et privés de toute vie sociale, souffrent d’un manque important d’intimité et de liberté au quotidien.

2.2.3.1. Les travailleurs agricoles étrangers : une main-d’œuvre tenue à l’écart de la population