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SECTION II : Les programmes canadiens de travail temporaire imposant une

1.2.2.1. L’évolution de la main-d’œuvre domestique au Canada

Au Canada, où la demande relative au service domestique résidant a perpétuellement été supérieure à l’offre locale310, le recours à la main-d’œuvre étrangère affectée à la domesticité connaît déjà une longue histoire, dont les débuts peuvent être retracés à l’arrivée des domestiques françaises au dix-septième siècle, puis à celle des domestiques britanniques et irlandaises au cours des dix-huitième et dix-neuvième siècles311. Toutefois, ce n’est qu’en 1955, que le gouvernement fédéral a décidé d’instaurer le premier programme d’immigration visant le recrutement spécifique de telles travailleuses. Devant l’incapacité des pays européens à répondre à la demande croissante des familles canadiennes pour des aides familiales résidantes, le gouvernement fédéral a instauré le Programme des domestiques caribéennes par le biais d’ententes conclues avec la Jamaïque et la Barbade312, qui a permis à un peu moins de trois mille femmes célibataires, en bonne santé, âgées entre dix-huit et quarante ans, n’ayant aucune personne à charge et possédant un niveau d’éducation minimum de huit années, d’obtenir la résidence permanente, à condition de compléter une année de travail domestique résidant auprès d’un employeur déterminé313.

310 Audrey MACKLIN, « Foreign Domestic Worker : Surrogate Housewife or Mail Order Servant ? », (1992) 37 :3

Revue de droit de McGill 681, p. 687. Cette disproportion entre l’offre et la demande s’explique par le fait que « [l]ive-in domestic service provided the least desirable type of legal employment open to women. Few were attracted to it, and most left it as soon as possible. The reasons were much the same as they are today – abysmal pay, long hours, hard labour, low status, isolation, denial of privacy and lack of independence and respect. »

311 Pour un historique détaillé des domestiques migrantes au Canada, voir : Marilyn BARBER, « Les domestiques

immigrantes au Canada », (1991) 16 Les Groupes Ethniques au Canada 26; A. MACKLIN, préc., note X, 687 à 692.

312 Elsa GALERAND et Martin GALLIÉ, « L’obligation de résidence : un dispositif juridique au service d’une forme

de travail non libre », (2014) 51 Revue interventions économiques 1, par. 9.

313 Deux facteurs ont motivé la décision du gouvernement fédéral de faire admettre les travailleuses domestiques

caribéennes à titre de résidentes permanentes plutôt qu’à titre de résidentes temporaires : « [f]irst, the government retained the power to deport a woman during the first year if she proved “undesirable” by, say, becoming pregnant or severing her contract with her employer[;] [s]econd, the prevailing belief was that Caribbean

Cependant, ce programme a rapidement été considéré comme étant « trop souple compte tenu des stratégies concrètement déployées par [c]es travailleuses [domestiques] qui, loin de se satisfaire des emplois pour lesquels elles [avaient] été recrutées et d’y rester confinées, quitt[aient] massivement non seulement les familles employeures, mais le secteur du travail domestique pour l’usine sitôt qu’elles “[avaient] fait leur temps” »314, où « même si les salaires n’[y] étaient pas élevés, elles avaient droit à leur liberté, une fois les heures de travail complétées »315. Pour endiguer cet exode inopiné des travailleuses caribéennes du secteur domestique vers le secteur industriel, le gouvernement fédéral a introduit, en 1973, le

Programme d’autorisation d’emploi pour non-immigrant qui, tout en établissant un système

de visas temporaires applicable à l’ensemble des travailleurs étrangers temporaires, a considérablement modifié les conditions de travail et d’installation de la main-d’oeuvre domestique migrante, notamment en abolissant l’accès automatique à la résidence permanente, après la complétion d’une année de travail domestique résidant316. Conformément à ce nouveau programme, les travailleuses domestiques se voyaient décerner un visa temporaire, d’une durée renouvelable d’un an, en vertu duquel elles étaient autorisées à demeurer au Canada que si elles étaient continûment employées dans le secteur spécifique de la domesticité317. Les travailleuses domestiques, jusque-là admises à titre d’immigrantes, sont dès lors devenues des « travailleuses temporairement invitées »318, sans aucune perspective réelle leur permettant de convertir leur statut de résidente temporaire en celui de résidente permanente319. « [By] effectively transform[ing] domestic workers into a class of disposable migrant labourers »320, la mise en place de ce programme a non seulement accentué la précarité du statut migratoire de ces travailleuses, mais a également favorisé l’exploitation économique, physique et sexuelle de celles-ci321.

domestic workers, unlike their white cohorts, would remain in domestic service long after the one year compulsory period expired, presumably due to a natural affinity of Black women for domestic service ». A. MACKLIN, préc., note 310, 689.

314 E. GALERAND et M. GALLIÉ, préc., note 312, par. 9.

315 Myriam BALS, « Un programme de main-d’oeuvre pathogène : le programme pour les domestiques

étrangères », (1992) 17 :2 Santé mentale au Québec 157, 161.

316 E. GALERAND et M. GALLIÉ, préc., note 312, par. 10. 317 A. MACKLIN, préc., note 310, 691.

318 E. GALERAND et M. GALLIÉ, préc., note 312, par. 10. 319 A. MACKLIN, préc., note 310, 691.

320 Id. 321 Id.

Conséquemment, différentes associations se sont mobilisées à l’échelle nationale pour condamner les situations abusives dont étaient victimes ces travailleuses domestiques ainsi que pour exiger l’amélioration de leurs conditions de travail et le respect absolu de leurs droits et libertés fondamentaux322. En outre, sous le cri de ralliement « good enough to work, good enough to stay », elles exprimaient « [their] demand for […] recognition of their social and economic contributions, by way of permanent admission into the Canadian community »323. Ces démarches menèrent à l’adoption, en novembre 1981, du Programme pour les employés

de maison étrangers, dont l’objectif affiché était de combler la « pénurie grave de services de

garderie accessibles, de bonne qualité et d’un prix abordable »324 qui sévissait alors au pays, et dont le gouvernement craignait la recrudescence en raison de l’accès grandissant des mères de famille au marché du travail canadien325. Or, la nouveauté majeure instaurée avec la mise en place de ce programme résidait dans la possibilité qui avait été accordée aux travailleuses domestiques de pouvoir introduire, après avoir complété deux ans de travail en tant qu’aides familiales résidantes, une demande de résidence permanente, dont l’obtention était conditionnelle à ce qu’elles prouvent leur capacité à s’établir « avec succès » au Canada326.

Après avoir permis le recrutement de près de soixante-dix mille travailleuses domestiques migrantes327, ce programme a été remplacé, le 27 avril 1992, par le Programme

des aides familiaux résidants, qui consistait à offrir aux citoyens canadiens une main-d’œuvre

chargée de « fourni[r] sans supervision, des soins à domicile à un enfant, à une personne âgée ou à une personne handicapée, dans une résidence privée située au Canada où [devaient obligatoirement] réside[r] à la fois la personne bénéficiant des soins et celle […] les fourni[ssant] »328. En vertu des exigences législatives imposées par le gouvernement fédéral, la travailleuse migrante recrutée par le biais de ce programme devait détenir un permis de travail à titre d’aide familiale329 et résider chez l’employeur330, qui, en retour, s’engageait notamment

322 Id. 323 Id., 692.

324 M. BALS, préc., note 315, 158.

325 E. GALERAND et M. GALLIÉ, préc., note 312, par. 11. 326 D. GESUALDI-FECTEAU, préc., note 40, p. 230. 327 A. MACKLIN, préc., note 310, 693.

328 R.I.P.R., art. 2, définition « aide familial ». 329 Id., art. 196.

à lui fournir un logement privé et meublé considéré comme étant adéquat331. Pour se voir décerner un tel permis de travail, la travailleuse devait satisfaire aux critères de sélection établis par voie réglementaire : d’une part, elle devait détenir des études d’un niveau équivalent à des études secondaires terminées au Canada ; d’autre part, elle devait avoir complété un minimum de six mois de formation à temps plein en salle de classe ou avoir exercé durant une année un emploi rémunéré à temps plein, dont au moins six mois de travail continu auprès d’un même employeur, dans un emploi relié au domaine des soins ; enfin, elle devait avoir une bonne connaissance de l’une des deux langues officielles du pays332. Une fois ces conditions remplies, la travailleuse se voyait délivrer un permis de travail lié à un employeur unique, qui lui conférait dès lors un statut temporaire lui permettant de travailler au Canada dans le seul secteur du travail domestique333. Ultimement, la travailleuse, qui complétait vingt-quatre mois de travail résidant à temps plein au cours de la période de quarante-huit mois qui suivait son entrée sur le territoire canadien, ou encore, qui cumulait trois mille neuf cents heures de travail résidant réparties sur une période de vingt-deux mois334, pouvait obtenir un permis de travail ouvert, lui accordant la possibilité de travailler dans le domaine et pour l’employeur de son choix, et déposer une demande de résidence permanente335. Dans le cas où la travailleuse domestique n’arrivait pas à cumuler les vingt- quatre mois de travail résidant dans les délais requis, elle devenait expulsable, perdant ainsi l’opportunité de pouvoir éventuellement formuler une demande de résidence permanente336.

Bien que juridiquement, la travailleuse avait la possibilité d’accumuler les heures de travail exigées auprès de plus d’un employeur337, il reste que « toute modification quant à l’employeur impliqu[ait] la nécessité de renouveler tous les documents administratifs afin d’obtenir un nouveau permis de travail, que ce soit parce que [ses] services [n’étaient] plus requis par l’employeur ou encore que les conditions de vie et de travail [étaient] devenues

331 Id., art. 203(1)d)(ii). À cet égard, voir : Infra, 2.1.1.2. 332 Id., art. 112b).

333 CANADAS CHOICE, préc., note 92, p. 34. 334 R.I.P.R., art. 113(1)d).

335 Id., art. 72(1)c) et 72(2)a). En plus de cette condition primordiale, l’aide familiale résidante devait également

remplir les conditions additionnelles explicitées à l’article 113 du R.I.P.R.

336 M. GALLIÉ, E. GALERAND et A. BOURBEAU, préc., note 36, 106. 337 R.I.P.R., art. 113(2)a).

intolérables chez ce dernier »338. Or, considérant que les délais administratifs de traitement de telles demandes s’échelonnaient sur plusieurs mois339, le fait de changer d’employeur se révélait être une démarche particulièrement risquée pour l’accomplissement du programme dans les délais requis340, étant donné que la travailleuse, bien que bénéficiant d’un statut légal implicite au cours de la période de renouvellement de son permis de travail, était dans l’impossibilité de travailler pour tout autre employeur que celui indiqué sur son dernier permis de travail valide341. Conséquemment, « [c]ette interdiction de changer librement d’employeur pla[çait] […] les travailleuses domestiques migrantes en position de précarité financière advenant la perte de leur emploi, puisqu’elles perd[aient] non seulement toute autre possibilité d’emploi au pays, mais [étaient] également dépossédées de leur lieu de résidence »342.