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SECTION II : Les programmes canadiens de travail temporaire imposant une

1.2.1.1. L’évolution de la main-d’œuvre agricole au Canada

Depuis la fin du XIXe siècle, l’importance relative de l’agriculture dans l’économie canadienne n’a cessé de diminuer, d’abord au profit des secteurs des mines, de la construction et des manufactures, puis des secteurs des industries et des services, qui ont successivement été en pleine effervescence153. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, « l’agriculture, vivrière et autarcique, [était] un mode de vie et d’occupation du territoire »154. D’après les statistiques de l’époque, en 1941, la population vivant sur les fermes représentait un peu moins de trente pour cent (28,9 %) de l’ensemble de la population canadienne155. La main-d’œuvre agricole était surtout familiale, principalement centrée sur la famille nucléaire et élargie, et rarement salariée156. Durant les périodes de l’année où le travail était plus intense, notamment lors des semences et des récoltes, les agriculteurs se faisaient généralement aider par des voisins du village, qui venaient leur prêter main-forte de manière totalement désintéressée157.

À la suite de la Seconde Guerre mondiale, qui a opéré des transformations sociales et économiques profondes, « le mode de vie centré sur le travail agricole familial non rémunéré » a été grandement bouleversé158. L’agriculture s’est industrialisée, ce qui a, de manière concomitante, favorisé la mécanisation, la spécialisation et l’intensification de la production agricole, dorénavant majoritairement destinée à l’exportation interprovinciale et

153 A.-C. GAYET, préc., note 45, p. 11.

154 I. MIMEAULT et M. SIMARD, préc., note 152, 391. 155 V. VERMA, préc., note 72, 5.

156 Id.

157 I. MIMEAULT et M. SIMARD, préc., note 152, 391. 158 Id.

internationale159. Du coup, la population vivant sur les fermes a diminué de manière drastique, ne représentant, en 1971, que moins de dix pour cent (7,6 %) de l’ensemble de la population canadienne160. Toutefois, cette baisse importante de la main-d’œuvre n’a pas été accompagnée d’une diminution correspondante des besoins généraux en main-d’œuvre dans l’ensemble des secteurs agricoles. En effet, alors que certains secteurs, comme celui des productions animales, avaient besoin d’une main-d’œuvre moins nombreuse mais plus spécialisée en raison de leur mécanisation, d’autres, comme le secteur de l’horticulture fruitière et maraîchère, se trouvaient confrontés à la situation inverse161. Considérant que la récolte des fruits et des légumes a été peu ou pas mécanisée, les producteurs de ce secteur, au surplus confrontés à l’exode rural et à la diminution de la taille des familles162, ont donc été contraints de recruter un nombre important de travailleurs non spécialisés, à mesure que les besoins en main-d’œuvre dans ce domaine augmentaient163. En outre, l’avènement de la mondialisation, en aidant à la transformation de l’agriculture en secteur consacré à l’exportation, a rapidement créé une dépendance à la main-d’œuvre étrangère164. En effet, la concurrence outrancière, qui s’est depuis installée entre les différentes entités étatiques, a eu pour effet de baisser de manière continue les prix du marché, ce qui a contraint les producteurs agricoles à réduire leurs coûts de production qui, « by passing the burden on to the workers », ont conséquemment diminué les conditions de travail et salariales qu’ils offraient à leurs employés165. Considérant que ces conditions n’ont été traditionnellement guère attrayantes pour la main-d’œuvre locale, puisqu’elles étaient parfois « en deçà du seuil légalement et humainement admissible »166, il en résulte que l’attraction et la rétention de la main-d’œuvre dans ce secteur sont devenues des

159 Id.

160 V. VERMA, préc. note 72, 5.

161 LA DISCRIMINATION SYSTÉMIQUE À LÉGARD DES TRAVAILLEUSES ET TRAVAILLEURS MIGRANTS, préc., note

143, p. 21.

162 V. VERMA, préc. note 72, 5.

163 I. MIMEAULT et M. SIMARD, préc., note 152, 392.

164 ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR LALIMENTATION ET LAGRICULTURE, ORGANISATION

INTERNATIONALE DU TRAVAIL ET UNION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS DE L’ALIMENTAIRE,Agricultural

Workers and Their Contribution to Sustainable Agriculture and Rural Development, Genève, 2007, p. 25, en ligne : <ftp://ftp.fao.org/docrep/fao/008/af164e/af164e00.pdf> (site consulté le 15 décembre 2016) ; Juan Carlos LINARES, « Hired Hands Needed : The Impact of Globalization and Human Rights Law on Migrants Workers in

the United States », (2006) 34 Denv J Int’l L & Pol’y 321, 321 et 324.

165 ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR LALIMENTATION ET LAGRICULTURE, ORGANISATION

INTERNATIONALE DU TRAVAIL ET UNION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS DE L’ALIMENTAIRE,préc., note 164,p. 25.

problématiques récurrentes167. Du coup, la rareté de la main-d’œuvre a nécessité d’être comblée par l’embauche de travailleurs migrants.

Dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement canadien a commencé à avoir recours aux populations immigrantes pour pallier au manque persistant de main-d’œuvre locale dans le secteur agricole. D’abord, il a fait appel à des immigrants d’arrivée récente, plus particulièrement à des réfugiés au statut économique et social précaire, qui, craignant continûment de perdre leur seule source de revenus, ne s’opposaient que très rarement aux mauvais traitements dont ils faisaient l’objet dans le cadre de leur relation d’emploi168. Ensuite, il a eu recours aux politiques d’immigration, en vertu desquelles il a pu recruter des immigrants qu’il obligeait dans certains cas à travailler dans le secteur agricole pour une durée déterminée. À ce titre, entre 1947 et 1954, le gouvernement fédéral a décidé d’admettre des vétérans polonais de la Seconde Guerre mondiale à titre d’immigrants reçus, qui, en vertu de leur permis de travail, étaient contraints de travailler au minimum deux ans dans le secteur agricole et qui, après avoir complété trois années de résidence sur le territoire canadien en sus de leur période obligatoire de travail, devenaient éligibles à demander la citoyenneté canadienne169. Une contrainte similaire a également été imposée aux individus originaires des pays du Bloc de l’Est, déplacés pour fuir la guerre et refusant de retourner dans leurs pays d’origine, qui ont été admis à titre d’immigrants reçus par le gouvernement fédéral durant la même période, sous réserve de travailler pour au moins une année dans le secteur agricole170. Tant les vétérans polonais que les personnes déplacées étaient soumis à une impossibilité absolue de quitter ou de changer d’emploi au cours de leur contrat de travail sans l’accord préalable du Département canadien du Travail, qui pouvait également leur imposer la déportation, dans l’éventualité où il constatait que ces derniers avaient violé les conditions de leur engagement de travail171. En 1947, le Canada a également signé son premier accord bilatéral d’après-guerre avec les Pays-Bas dans le but de faciliter l’entrée des ressortissants néerlandais destinés à occuper des emplois dans le secteur agricole. Seuls les travailleurs

167 A.-C. GAYET, préc., note 45, p. 12.

168 I. MIMEAULT et M. SIMARD, préc., note 152, 401.

169 Vic SATZEWICH, Racism and the Incorporation of Foreign Labour, London and New York, Routledge, 1991,

p. 87.

170 Id., p. 93.

immigrants néerlandais, admis en vertu de cet accord, ont été épargnés de l’obligation de travailler dans le domaine agricole pour une durée déterminée afin de pouvoir ultimement accéder à la citoyenneté canadienne, soit après cinq années de résidence sur le territoire canadien. Bien que certains de ces travailleurs se soient exécutés, et ce, même en l’absence d’une telle obligation, il reste qu’ils ne l’ont fait que pour un temps limité172.

Les efforts de recrutement de la main-d’œuvre agricole déployés par le gouvernement canadien dans l’après-guerre, à travers diverses politiques d’immigration ayant permis l’embauche de travailleurs issus de « politically and socially marginalized populations »173, disposant d’une mobilité professionnelle limitée, ont indubitablement permis de répondre à la demande immédiate de main-d’œuvre dans le domaine agricole. Toutefois, ces efforts « n’ont [malheureusement] pas [réussi à] régl[er] le problème de la rétention de la main-d’œuvre dans ce secteur, laquelle était caractérisée par un roulement rapide »174. En effet, en raison des conditions minimales de travail et de salaire applicables à l’ensemble des travailleurs migrants embauchés dans le secteur agricole, les personnes recrutées par le biais de ces programmes d’immigration permanente quittaient massivement le secteur agricole, après avoir complété leurs années de travail obligatoires, en quête d’emplois mieux rémunérés et plus attrayants, de sorte que, malgré tous les efforts déployés par les autorités gouvernementales pour résorber la rareté de la main-d’œuvre dans le secteur agricole, celle-ci n’a malheureusement pas pu être endiguée175. Conséquemment, vers la fin des années cinquante et le début des années soixante, les voix des fermiers ontariens se sont élevées pour contraindre le gouvernement fédéral à adopter un programme similaire au Bracero Program, mis en place par les États-Unis en 1942176, qui leur permettrait dès lors de recruter de manière temporaire des travailleurs

172 V. SATZEWICH, préc., note 169, p. 98-99. 173 V. VERMA, préc. note 72, 6.

174 A.-C. GAYET, préc., note 45, p. 14. 175 V. SATZEWICH, préc., note 169, p. 98.

176 Aux États-Unis, le Bracero Program, qui a été en vigueur entre 1942 et 1964, a permis l’admission temporaire

de près de 4,6 millions de travailleurs étrangers, principalement originaires du Mexique, qui ont été recrutés par des employeurs américains, ayant démontré la rareté de la main-d’œuvre locale dans le secteur agricole. Ce programme, qui réglementait la durée des contrats de travail, l’identification de l’employeur, les règles afférentes à la mobilité de la main-d’œuvre étrangère ainsi que les conditions de travail, de salaire et d’hébergement de celle-ci, a fait l’objet de plusieurs amendements successifs au cours des années durant lesquelles il a été en vigueur. Pour un bref retour historique sur ce programme, voir : D. GESUALDI-FECTEAU, préc., note 40, p. 226 à

étrangers pour combler l’insuffisance de la main-d’œuvre locale177. Fondamentalement, ce que recherchaient les fermiers ontariens c’était d’avoir accès à une main-d’œuvre temporaire dont les modalités d’admission sur le territoire canadien seraient strictes au point de limiter le roulement continu des travailleurs embauchés dans ce secteur178.

Au lieu de céder à ces revendications, le gouvernement fédéral a d’abord exhorté les producteurs agricoles à améliorer les conditions de travail et salariales de leurs travailleurs, dans le but de rendre leur secteur d’emploi plus attrayant pour la main-d’œuvre locale179. Cette proposition a cependant été accueillie avec un grand mécontentement de la part des exploitants agricoles, qui ont refusé de se plier à cette recommandation gouvernementale, sous prétexte qu’à long terme, elle leur était financièrement insoutenable180. Toutefois, constatant que la main-d’œuvre locale se faisait de plus en plus rare, le gouvernement a décidé de modifier son approche. Ainsi, au lieu d’adopter des politiques visant à rendre ce secteur d’emploi plus attrayant pour la population active canadienne, il a décidé d’élaborer des programmes d’importation temporaire de la main-d’œuvre étrangère, considérée comme étant « reliable » et « suitable » pour ce genre de travail, en vertu desquels les travailleurs recrutés n’avaient d’autre choix que d’accepter le statu quo au niveau de leurs conditions de travail et de séjour en territoire canadien181.

Le gouvernement fédéral a d’abord adopté le Programme des travailleurs agricoles

saisonniers caribéens en 1966, puis le Programme d’autorisation d’emploi pour non- immigrant en 1973. Pour pouvoir embaucher temporairement des travailleurs agricoles par le

biais de ces programmes, les employeurs devaient démontrer qu’il y avait une pénurie de main-d’œuvre locale pour combler les postes qu’ils désiraient pourvoir182. Une fois que cette formalité était accomplie, les travailleurs étrangers, originaires principalement des Antilles et du Mexique, se voyaient remettre un permis de travail temporaire, sur lequel étaient

177 A.-C. GAYET, préc., note 45, p. 14.

178 Tanya BASOK, Tortillas and Tomatoes: Transmigrant Mexican Harvesters in Canada, Montréal et Kingston,

McGill-Queen’s University Press, 2002, p. 220 à 224.

179 Id.

180 V. VERMA, préc. note 72, 5. 181 Id., 7, 8 et 11.

notamment précisés la durée et les conditions du contrat de travail, le nom de l’employeur, la fonction occupée, ainsi que les conditions relatives à l’hébergement183. En sus de leur « mobilité professionnelle fort limitée et contingente [à] la volonté des employeurs de recourir à leurs services »184, les travailleurs agricoles recrutés par le biais de ces programmes étaient expressément exclus de la possibilité de pouvoir immigrer de façon permanente au Canada. Pour certains, ce serait le changement dans les pays sources des travailleurs migrants qui aurait été à l’origine du passage historique de l’immigration permanente à l’immigration temporaire, considérant que « le critère décisif pour la définition du caractère permanent ou temporaire des programmes d’immigration [a traditionnellement] été fortement relié à la proximité ou à l’éloignement des migrants au “standard optimum de blancheur et d’eurocentrisme, vu comme désirable pour la construction de la nation canadienne” »185. Ainsi, the « Canadian government’s requirement that [migrant] workers [from the South] remain in Canada only on a temporary basis, with no prospect of citizenship, was grounded in early racist immigration policy »186.

C’est toujours au nom d’une prétendue pénurie irrémédiable de main-d’œuvre dans le secteur agricole que le gouvernement fédéral organise annuellement la migration temporaire de dizaines de milliers de travailleurs étrangers, dont le nombre est en constante augmentation depuis l’introduction des différents programmes d’immigration temporaire 187. Cette importation de la main-d’œuvre étrangère agricole serait d’autant plus justifiée, considérant qu’elle aurait des capacités physiques et mentales essentielles pour accomplir ce travail « ardu

183 J. FUDGE et F. MACPHAIL, préc., note 74, 7. 184 D. GESUALDI-FECTEAU, préc., note 40, p. 231. 185 A.-C. GAYET, préc., note 45, p. 16-17.

186 V. VERMA, préc., note 72, 8. À ce sujet, voir également : Vic SATZEWICH, « Rethinking Post-1945 Migration

to Canada: Towards a Political Economy of Labour Migration », (1990) 28:3 International Migration 327.

187 D’après les dernières statistiques rendues disponibles par les autorités fédérales, qui couvrent la période de

2008 à 2015, le nombre de travailleurs recrutés par le biais du PTAS et du Volet agricole est passé de 27 849 travailleurs en 2008, à 28 782 travailleurs en 2009, à 27 687 travailleurs en 2010, à 30 991 travailleurs en 2011, à 36 701 travailleurs en 2012, à 42 522 travailleurs en 2013, à 44 824 travailleurs en 2014, et enfin à 51 679 travailleurs en 2015. EMPLOI ET DÉVELOPPEMENT SOCIAL CANADA, Statistiques sur les études d’impact sur le marché du travail 2008-2015 pour les professions de secteurs agricoles, en ligne : <https://www.canada.ca/fr/emploi-developpement-social/services/travailleurs-

et répétitif, qui exige une bonne dose d’endurance physique »188 avec fiabilité et rentabilité, mais qu’elle serait également plus encline que la main-d’œuvre locale, « qui ne se bouscule pas aux portes pour obtenir du travail dans les champs »189, à accepter des conditions précaires de travail et de salaire190. Ces travailleurs étrangers temporaires, que les producteurs agricoles définissent comme étant « vaillants, tenaces et persévérants »191, posséderaient ainsi l’endurance physique nécessaire pour « soutenir un rythme rapide de travail, de manière constante, jour après jour, semaine après semaine, toute la saison durant »192. En outre, ils seraient plus fiables et flexibles que les travailleurs locaux en raison de l’obligation qui leur est imposée, de jure ou de facto, de résider sur la ferme des exploitants agricoles qui les emploient, qui, « [b]eau temps, mauvais temps, […] sa[vent] qu’il[s] peu[vent] compter sur [leurs] travailleurs »193. Ainsi, dans le contexte actuel de la mondialisation des marchés et de leur nature de plus en plus concurrentielle, le recours à la main-d’œuvre étrangère temporaire est défini par les producteurs agricoles comme étant une « absolue nécessité pour garantir la productivité, la compétitivité et la souveraineté alimentaire [canadienne] »194. Sans cette main- d’œuvre, « [who has] become the preferred and, in some cases, [the] core workforce for horticulture operations »195, la plupart des producteurs agricoles s’entendent pour dire qu’un grand nombre de filières agricoles, telles que l’horticulture et la culture maraîchère, ne pourraient survivre considérant que « most seasonal, labor intensive crops would cease to exist and over half of the Canadian horticulture market would be lost to imports »196.

Pourtant, le fait que le secteur agricole emploie aujourd’hui un nombre de plus en plus important de travailleurs migrants temporaires ne serait pas dû à une pénurie de main-d’œuvre

188 FONDATION DES ENTREPRISES DE RECRUTEMENT EN MAIN-DŒUVRE ÉTRANGÈRE (FERME), Consultations

particulières et auditions publiques de la Commission des relations avec les citoyens sur le projet de loi no 77, Loi sur l’immigration au Québec, 2016, p. 8, en ligne : <http://www.fermequebec.ca/wp- content/uploads/2016/02/Me%CC%81moire-FERME-PL77-Fe%CC%81v-2016.pdf> (site consulté le 16 décembre 2016).

189 Id. 190 Id., p. 8-9.

191 Martin GALLIÉ et Andrée BOURBEAU, « Des logements provisoires pour des résidents provisoires : la privation

du droit au logement des travailleurs agricoles migrants au Canada », (2014) 4 Cahiers du GIREPS 1, 10.

192 FERME, préc., note 188, p. 8.

193 M. GALLIÉ et A. BOURBEAU, préc., note 191, p. 10. 194 Id., 9.

195 Kerry L. PREIBISCH, « Local Produce, Foreign Labor : Labor Mobility Programs and Global Trade

Competitiveness in Canada », (2007) 72 :3 Rural Sociology 418, 419.

locale, mais plutôt à la rareté de celle-ci197. Comme l’expliquait la défunte Commission des relations du travail dans une décision portant sur le droit à la syndicalisation des travailleurs agricoles saisonniers :

[99] […] [I]l existe un bassin potentiel de main-d’œuvre de citoyens et résidents canadiens pour combler en grande partie les besoins du secteur agricole. […] En théorie, les personnes en recherche d’emploi, ainsi que celles qui bénéficient du programme de sécurité du revenu, mais qui sont aptes au travail, sont en nombre suffisant pour combler ces besoins de main-d’œuvre. [100] En pratique cependant, on constate une importante défection de la main-d’œuvre locale à l’égard du travail agricole, défection qui s’explique par différents facteurs. L’éloignement des fermes par rapport aux grands centres en est un, de même que les difficultés de transport qui en découlent. Ce travail est vu, à tort ou à raison, comme étant peu intéressant parce que de type manuel, peu mécanisé et qui s’exécute dans des conditions difficiles. Les bas salaires offerts contribuent au problème d’attraction et de rétention de la main-d’œuvre locale par les industries agricoles. C’est la raison pour laquelle depuis de nombreuses années les entreprises agricoles, en grande majorité des entreprises de production maraîchères, des pépinières et de serres, doivent recourir à de la main-d’œuvre étrangère.198

Ainsi, considérant que le travail agricole est « un travail dur, long, pénible et dangereux »199, « [l]a participation de[s] travailleurs étrangers [dans ce secteur serait ainsi] devenue essentielle du fait que de moins en moins de résidents canadiens sont prêts à accepter les faibles salaires et les conditions de travail difficiles [qu’il leur propose] »200. Ce sont conséquemment des ressortissants étrangers, originaires principalement du Mexique, des

197 À ce sujet, voir : Mathieu ARÈS et Yanick NOISEUX, « La syndicalisation des travailleurs agricoles migrants au

Québec : Du débat en cour au débat de société », (2014) 49 Revue interventions économiques, par. 34 à 38, en ligne : <https://interventionseconomiques.revues.org/2001#tocto2n3> (site consulté le 16 décembre 2016).

198 Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, Section locale 501 c. Johanne L'Écuyer &

Pierre Locas, 2010 QCCRT 0191, par. 99 et 100.

199 M. ARÈS et Y. NOISEUX, préc., note 197, par. 38.

200 Id. Cette « défection » de la main-d’œuvre locale à l’égard du travail agricole ne constitue pas un phénomène

récent. À cet égard, il est effectivement loisible de mentionner les propos tenus par le député fédéral de Kent- Essex, M. Harold Warren Danforth, lors des débats parlementaires du 20 juillet 1973, qui, bien que datant de plus de quarante ans, demeurent toujours d’actualité :

« Mr. Chairman, many people do not like to work in agriculture. They do not like the monotony, the conditions and the fact that you work sometimes in heat and sometimes in cold. That is all right; they do not like it and they should not be forced to work at it. We all agree with that. […] How [then] do they [farm owners] obtain labour? Many of them have encouraged offshore labour over the years which comes from three sources, the Caribbean, Portugal, and Mexico. We need this labour […] and these people are used to working in the heat. They are used to working in agriculture, and they are satisfied with the pay scale. […] I feel that Canadians should provide work for Canadians wherever possible; Canadians should have the first opportunity to work. But […] if Canadians do not want to work at this job — many of them do not, and have expressed this feeling in no uncertain terms — then I say that the producers of this nation are entitled to offshore, competent labour from wherever it may come, if these people are willing to work under the conditions prevailing in Canada today and produce crops for Canadian consumers. » cité dans : V. VERMA, préc., note 72, 9. [Nos soulignements.]