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Lorsque Chavez décide de se retirer du Texas pour concentrer ses efforts sur la Californie, les dirigeants de l’UFWOC présents dans la val-lée repartent pour la côte ouest, ou d’autres États, afin de s’occuper du boycott qui vient d’être lancé contreGiumarra Vineyards. Mais Orendain, Chandler et Padilla sont bientôt de retour, incapables, disent-ils, d’« aban-donner » ainsi lescampesinosde l’État. Les activités reprennent dès 1969.

Toutefois, il n’est pas question de se lancer dans de nouveaux conflits, et ce d’autant plus que l’ordonnance de 1966 interdisant piquets et mani-festations reste en vigueur, bloquant toute tentative d’action au niveau des exploitations. Ce n’est qu’en juin 1972 qu’une cour fédérale, réunie à Brownsville, donne raison au syndicat, qui conteste depuis des années la validité de la législation invoquée pour réprimer la grève du comté de Starr, et suspend cette décision. Cinq lois, dont deux de droit civil et trois de droit pénal, concernant les piquets de grève, les attroupements, les manifestations et réunions, ainsi que les propos injurieux, sont décla-rées contraires à la Constitution de l’État, car leur champ d’application est trop large. Pour ce qui est des troubles de l’ordre public, la législation est invalidée, car bien trop vague au goût des juges, qui considèrent éga-lement que l’interdiction de certaines grèves et des boycotts secondaires ne relève pas de la compétence de l’État. Par ailleurs, estimant que les autorités ont pris le parti des producteurs dans le conflit — arrestations et détentions non justifiées, menaces de poursuites... —, la cour interdit désormais auxTexas Rangersd’intervenir et d’entraver les tentatives d’or-ganisation des ouvriers agricoles. L’arrêt a pour résultat immédiat la sus-pension des plaintes déposées contre 160 personnes en 1966 et 1967. En mai 1974, la Cour suprême de l’État confirme ce jugement1.

1. Samora, Bernal, and Pena 156 ; « U.S. Judges Hit Rangers’ Role in Starr Labor Dispute, »

Si l’UFWOCn’organise pas de grèves dans la vallée, lescampesinosn’en participent pas moins à quelques actions, menées par d’autres. Ainsi, au début de 1972, à Crystal City, plus de 70 employés, dont une majorité de femmes, de l’usine d’emballageWarren Wagner, Inc., arrêtent le tra-vail lorsque l’entreprise décide de les payer 1,30 dollar de l’heure au lieu des 1,60 promis. Une partie de la population locale, parmi lesquels de nombreux migrants, soutient les grévistes et rejoint les piquets. Cinq per-sonnes sont arrêtées, dont le père Sherrill Smith, depuis peu affecté dans cette ville. Après avoir tenté de briser le mouvement en recrutant des Mexicains à Piedras Negras, la compagnie accepte de négocier. Les gré-vistes obtiennent 1,70 dollar de l’heure pour le conditionnement et 50 cents parbushel— un seau de 35,24 litres — pour la récolte des épinards. Les ouvriers retrouvent leur emploi et un comité sert désormais d’intermé-diaire entre les employés et la direction, qui met également eau potable et toilettes à la disposition de ceux qui travaillent dans les champs.

En tant que migrants, lescampesinosdu Texas se trouvent mêlés aux conflits qui éclatent dans d’autres États, en Californie, en Arizona, en Flo-ride, et dans le Midwest. Ainsi dans l’Ohio, ceux qui travaillent pour les producteurs de tomates vont grossir les rangs duFarm Labor Organizing Committee(FLOC), créé en 1967 — à la fin des années soixante, il y aurait 500 migrants membres de cette organisation dans le sud du Texas, la plupart du temps également adhérents de l’UFWOC. L’un des fondateurs duFLOCest Baldemar Velasquez, originaire de Pharr, dans le comté de Hidalgo, et dont la famille s’est installée dans l’Ohio après de nombreuses années de migrations saisonnières.

Après une série de grèves, l’organisation parvient à arracher quelques contrats aux agriculteurs désireux de ne pas perdre leurs récoltes : le syndicat est reconnu comme seul représentant des employés, les salaires sont augmentés et les membres duFLOCprotégés des renvois arbitraires. Néanmoins, la victoire se révèle éphémère. Peu de nouveaux contrats sont signés, d’autres sont perdus, certains exploitants abandonnant la culture des tomates et passant à celles du soja et du blé, hautement méca-nisées. D’autres préfèrent mener une campagne visant à discréditer le

FLOC. Mais tous soulignent qu’ils sont eux-mêmes à la merci des trans-formateurs commeCampbell’setLibby-McNeil-Libbyqui dominent la pro-duction et en contrôlent toutes les étapes, même si l’exploitant est seul à assumer les risques de pertes : les grandes compagnies fournissent les plants, déterminent le type de fertilisant, d’herbicide et de pesticide à uti-liser, ainsi que la date de traitement, et recrutent de la main d’œuvre au

Texas, en Floride et au Mexique, par l’intermédiaire d’agences spéciali-sées et d’embaucheurs. Pour obtenir augmentations de salaire et amélio-ration des conditions de travail, le FLOCdoit donc se tourner vers les transformateurs. Toutefois, dans un premier temps, le syndicat décide d’élargir sa base de soutien en tissant un réseau de relations avec des « libéraux » et des organisations religieuses, et en participant au dévelop-pement de programmes sociaux adaptés aux besoins des migrants et des Hispaniques installés dans la région. L’offensive directe contreCampbell’s

etLibbyne reprend qu’au milieu des années soixante-dix1.

Dans la vallée, même en l’absence de grèves, le travail sur le terrain continue pour l’UFWOC, malgré les difficultés : il faut maintenir le contact avec les ouvriers et recueillir leurs adhésions. En 1971, dans plusieurs exploitations de la basse vallée, dontLa Casita, objet des conflits de 1966 et 1967, une majorité des travailleurs sont membres du syndicat, malgré les tentatives d’intimidation des employeurs. Après avoir, en vain, multi-plié les pressions pour forcer les ouvriers à quitter l’UFWOC, l’une de ces entreprises,Tide Farms, Inc., préfère se faire racheter parProductive Prop-erties, Inc., une compagnie contrôlée par les Bentsen, une riche famille du sud de l’État proche du Parti démocrate et peu encline à négocier avec un syndicat2.

L’UFWOCintervient par ailleurs dans les négociations salariales entre les ouvriers agricoles et les producteurs de canne à sucre. Avec l’aval du département de l’Agriculture, ces derniers ont décidé d’en planter 25 000 acres dans la vallée. Mais cette culture étant soumise auSugar Actde 1948, les exploitants, s’ils veulent obtenir des subventions, doivent respecter un certain nombre de clauses imposées par le gouvernement fédéral. En juin 1972, lors d’auditions tenues à San Benito, les planteurs affirment avoir besoin de 1 500 à 4 000 coupeurs, selon la méthode de récolte utilisée. Ils déclarent ne pas pouvoir payer plus de 1,30 dollar de l’heure, salaire auquel s’ajouterait une prime de 10 cents par heure, car les conditions de travail sont particulièrement difficiles. De son côté, le représentant de l’UFWOCexplique que le rendement en sucre sera plus élevé dans la val-lée qu’en Floride et en Louisiane, où les salaires sont de 1,65 à 1,85 dollar de l’heure, et que les producteurs feront un bénéfice de 390 à 420 dol-lars par acre. Par conséquent, le syndicat demande un salaire horaire de 2,50 dollars. De plus, l’UFWOCsoulève le problème de la sécurité, de

l’as-1. James L. Terry, « The Political Economy of Migrant Farm Labor. Immigration, Mecha-nization and UnioMecha-nization in the Midwest, »Insurgent Sociologist11.4 (1983) : 67-68 ; « Farm-worker Volunteer Dies on Picket Line in Florida Strike, »Farm WorkerFeb. 1972 : 1.

2. UFWOC NewsletterDec. 1971 : 1 ;UFWOC NewsletterDec. 1970 : 1-2 ;UFW Texas Newslet-terMay 1972 : 1.

surance maladie-accident et des congés. Après réflexion, le département de l’Agriculture impose un salaire de 2,45 dollars de l’heure. Toutefois, le

Sugar Actvenant à expiration le 31 décembre 1974, et aucune nouvelle législation n’étant votée dans ce domaine, les salaires retombent à 1,60 dollar en 19751.

L’UFWOCtente également, sans succès, de faire annuler par les tribu-naux une décision de l’Environmental Protection Agencyfavorable aux pro-ducteurs de canne à sucre. Ces derniers ont en effet obtenu l’autorisation de brûler les champs avant la récolte. Cette opération permet l’utilisation de machines, et réduit considérablement le nombre de coupeurs. D’après le syndicat, non seulement des centaines d’ouvriers perdent ainsi leur emploi, mais en plus de nombreuses familles, notamment celles vivant dans lescoloniastoutes proches, sont très incommodées par la fumée, les cendres et la chaleur.