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Au printemps 1974, le parti ne parvient pas à étendre son influence, mal-gré la présentation de nombreux candidats. En novembre, leRUP parti-cipe à nouveau aux élections d’État, mais sans grand succès. C’est unique-ment dans son bastion, le comté de Zavala, que laRaza Unidacontinue à remporter des victoires — sièges de commissaires de comté2, postes d’of-ficier d’état civil, de greffier et de trésorier ; Gutierrez, quant à lui, est élu juge3.

Dans les autres États aussi, lesRUPssont en perte de vitesse. Le parti national est miné par les désaccords entre partisans de Gutierrez et de Gonzalez, dont les divergences de vue sont telles que la rupture entre les deux hommes est totale en 1974, Gonzalez se consacrant désormais à sa propre organisation,Crusade for Justice. Au Nouveau-Mexique, où le parti s’est montré très actif, la présence d’élus mexicains-américains démocrates gêne le développement duRUP, qui ne gagne aucun siège, que ce soit en 1972 ou en 1974. En Californie,La Raza Unidaa si peu d’in-fluence qu’en 1974, le parti n’arrive pas à rassembler assez de signatures pour participer aux élections d’État.

Au Texas, des divisions internes, des erreurs de stratégies et un contexte peu favorable contribuent au déclin duRUP.À Crystal City, comme dans d’autres localités, des dissensions se font jour, dues aussi bien à des conflits de personnes qu’à des divergences idéologiques. Des factions s’affrontent, des militants et des élus quittent les rangs du parti pour 1. Shockley, « Chicano Control and the Future, » 426 ; Molly Ivins and John Ferguson, « Election Results and Comments Thereon, »Texas Observer1 Dec. 1972 : 5 ; José Angel Gutierrez, letter,Texas Observer22 Sept. 1972 : 14 ; Fred E. Romero,Chicano Workers : Their Utilization and Development, monograph no8 (Los Angeles : Chicano Studies Center, U of California, 1979) 133 ; Molly Ivins, « Ya Basta ! »Texas Observer25 Aug. 1972 : 5.

2. Commissaire de comté —county commissioner—, chargé du budget, de l’entretien des routes et des service locaux.

3. Garcia 180, 173, 188 ; Foley, Mota, Post, and Lozano 210-214 ; Molly Ivins, « After the Revolution in Cristal, »Texas Observer5 July 1974 : 4 ; Molly Ivins, John Fergusson, « La Raza Unida, »Texas Observer29 Nov. 1974 : 9.

rejoindre, parfois, ceux de l’opposition, et la lassitude en gagne plus d’un. Par ailleurs, leRUPn’est pas arrivé à élargir sa base électorale. Dans sa grande majorité, la classe moyenne mexicaine-américaine n’est, en effet, toujours pas convaincue du bien-fondé du militantismechicano, et pré-fère soit s’associer à des modérésanglos, soit rester à l’écart, en attendant queLa Raza Unida« creuse sa propre tombe ». Quant aux milliers d’Hispa-niques pauvres des villes du sud du Texas, ils n’ont fait l’objet d’aucune véritable campagne de mobilisation. Il n’y a pas eu construction d’une force politiquechicanodans les grandes agglomérations, leRUPy deve-nant davantage une machine à recueillir des suffrages qu’une organisa-tion permanente, active au sein de la populaorganisa-tion. Le caractère minoritaire de la population hispanique dans ces villes rend également difficile l’ap-plication des tactiques utilisées à Crystal City, par exemple. De leur côté, les Noirs et le mouvement syndical ont souvent du mal à s’identifier à un parti aussi marqué ethniquement et idéologiquement, malgré les pré-cautions oratoires des candidats. L’hostilité accrue des « libéraux », enfin, contribue également à l’échec duRUP1.

Tout ceci semble donner raison à Gutierrez, lequel estime que le parti ne doit pas gaspiller ses forces et ses fonds, mais doit se consacrer à l’implantation et au développement d’organisations communautaires au niveau local et régional. Toutefois, même dans les zones rurales, objec-tif premier du parti, et lieu de ses plus grands succès, les dirigeants se heurtent à de multiples obstacles, dont la nature même de l’électorat, en bonne partie constitué d’ouvriers agricoles.

Le potentiel de participation de ces électeurs varie très largement, selon qu’il s’agit de migrants, de travailleurs permanents, ou de saisonniers vivant en zone urbaine. C’est la première catégorie qui a contribué le plus au changement politique, notamment à Crystal City, où les migrants ont déjà fait l’expérience d’une « révolution », entre 1963 et 1965. En effet, concentrés dans une même agglomération, et peu soumis à la pres-sion économique des employeurs locaux, ils sont plus à même de s’im-pliquer dans la conquête du pouvoir que des ouvriers dispersés et iso-lés, qui, la plupart du temps, vivent sur la propriété de leurs employeurs. Les migrants de Crystal City sont aux côtés des militantschicanoset des employés deDel Monte, qui eux aussi doivent très souvent quitter le Win-ter Gardenpendant l’été. LesAnglosaccusent d’ailleurs Gutierrez et les siens de s’appuyer essentiellement sur la « populace », en opposition à la

1. Armando Cavada, « Raza Unida Party and the Chicano Middle Class, »CaracolSept. 1974 : 18-19.

petite classe moyenne mexicaine-américaine locale, plus digne de respect à leurs yeux.

Une comparaison entre les élections municipales et celles du conseil scolaire révèle nettement le rôle essentiel des migrants dans cette loca-lité. Le district scolaire comprend non seulement la ville, mais aussi plus de la moitié des zones rurales du comté, soit environ 1 000 personnes, dont 65 % d’Hispaniques. Or, entre 1970 et 1973,La Raza Unidaemporte les sièges du conseil scolaire avec une majorité de voix bien inférieure à celle qui lui permet de dominer le conseil municipal. Ainsi, en 1971, les candidats opposés auRUPreçoivent en moyenne 300 suffrages de plus aux élections du conseil scolaire qu’à celles du conseil municipal, et le partichicanoseulement une trentaine. Les zones rurales votent donc mas-sivement contre ce dernier, que ce soit les propriétairesanglos ou leurs employés mexicains-américains. Pourtant, en 1973, l’examen des résul-tats indique une légère modification de ce vote rural. Le nombre de voix favorables à La Razapasse d’une trentaine à une centaine, parmi les-quelles ceux des employés de l’un des plus gros exploitants anglos du comté. Toutefois, de tels cas restent isolés, le poids de l’environnement économique et social restant encore énorme, et leRUPa encore plus de mal à s’imposer au niveau du comté, qui comprend également le reste des zones rurales, plus les villes de La Pryor et Batesville. La population y est, certes, à dominante hispanique, mais peu de migrants y résident et on n’y trouve aucune entreprise dont les employés soient syndiqués1.

D’autres exemples confirment l’importance des migrants dans les élec-tions, même lorsqu’il ne s’agit pas de candidats duRUP. Par exemple, en 1970, à Cotulla, Erasmo Andrade, un démocrate libéral se présentant aux sénatoriales contre Wayne Connally, conservateur, perd la primaire de plus de 300 voix car les ouvriers agricoles sont déjà partis. Et dans le comté de LaSalle, on ne compte en mai que 16 votes mexicains-américains de plus que les votesanglos, alors qu’en novembre, les premiers sont deux fois et demi plus nombreux que les seconds.

S’il semble que les migrants se soient bien mobilisés dans certains cir-constances, il n’en reste pas moins que leur participation reste limitée à certaines localités. Dans l’ensemble, ce groupe partage avec les autres catégories d’ouvriers agricoles un fort taux d’abstention, ainsi qu’une pro-portion élevée de non-inscrits sur les listes électorales, résultat de décen-nies de pratiques dissuasives, comme le paiement d’une taxe pour pouvoir voter. Même après l’interdiction de cette pratique par la Cour Suprême 1. John S. Shockley, « Landless Laborers and the Chicano Movement in South Texas, »

Forging Nations : A Comparative View of Rural Ferment and Revolt, eds. Joseph Spielberg and Scott Whiteford (East Lansing : Michigan State U P, 1979) 140-141.

en 1966, les législateurs du Texas cherchent encore à décourager certains électeurs en mettant sur pied un système particulièrement compliqué et contraignant, les inscriptions sur les listes devant être effectuées chaque année entre le 1er octobre et le 31 janvier. Ce n’est qu’en 1971 que les cours de justice annulent ces dispositions et que le Texas adopte des modalités similaires à celles des autres États.

À ces difficultés, il faut ajouter le fait que bon nombre decampesinos

ne peuvent voter, car ils n’ont toujours pas acquis la nationalité améri-caine, même s’ils sont installés au Texas depuis de longues années. Enfin, l’illétrisme, très répandu parmi ces travailleurs, est un handicap supplé-mentaire, d’autant plus que certaines municipalités imposent des tests de niveau d’alphabétisation, prohibés par la loi. Quoique les Mexicains-Américains ne sachant ni lire ni écrire apprennent par cœur la procédure à suivre, ils sont incapables de faire face à des manœuvres telles que la modification, au dernier moment, de l’ordre des postes à pourvoir dans la liste. Ce n’est qu’en 1972 que les illétrés se voient accordés le droit de se faire aider lors des élections, au même titre que les handicappés.

Il y a donc tout un travail d’information à mener auprès des migrants et autres ouvriers agricoles si l’on veut qu’ils participent davantage à la vie politique. Dans la vallée, entre 1969 et 1972, le journal de l’UFWOC,Ya Mero !, publié d’abord à McAllen, puis à Pharr, tente ainsi de familiariser lescampesinosavec la vie politique locale, d’État et nationale en donnant toutes sortes d’informations : démarches à entreprendre pour s’inscrire sur les listes électorales et organismes à contacter si nécessaire ; listes des candidats et commentaires sur leur aptitude à défendre les intérêts des plus démunis ; dates et lieux de réunion des organisations, compte-rendus des débats et ses discussions ; recommandations pour le jour des élections ; résultats. Toutefois, bien qu’il accorde àLa Raza Unidaune place de choix, le journal n’en n’ouvre pas moins largement ses colonnes aux démocrates.

L’implantation duRUPen milieu rural pose également le problème des relations entre ces ouvriers agricoles peu instruits et les militants chica-nos. À Crystal City, pas plus pendant la deuxième « révolte » que lors de la première, les dirigeants ne sont des travailleurs de l’agriculture. Au début des années soixante-dix, ce sont des jeunes gens, qui, de par leur éduca-tion et leur statut économique, appartiennent à la classe moyenne, qu’ils en soient issus ou non. Ailleurs, et en l’absence d’éléments de la stature de Gutierrez, c’est une petite bourgeoisie progressiste qui prend le pou-voir au nom deLa Raza Unida— enseignants, employés des agences de lutte contre la pauvreté, petits commerçants, petits exploitants... Or, les nouveauxpoliticosse doivent de garder le contact avec ces électeurs, s’ils

veulent continuer à les mobiliser. C’est ce que tente de faire Gutierrez, du moins dans les premiers temps, lorsqu’il passe une partie de ses étés à suivre les migrants dans leurs déplacements. Par ailleurs, dans son esprit, l’existence d’organisations communautaires comme lesCiudadanos Uni-dospermet d’associer étroitement ces citoyens au choix et à la mise en place des projets affectant la collectivité.

Malgré ses errements et au-delà de ses échecs électoraux, l’expérience du RUP n’en est pas pour autant négligeable, notamment en ce qui concerne les ouvriers agricoles, puisque le terrain d’action privilégié du parti se situe dans les zones rurales. L’arrivée sur la scène politique texane du partichicanoperturbe les règles d’un jeu dont la majorité des Mexicains-Américains ont longtemps été exclus. Surtout présent dans le sud de l’État, le RUPimpose, à Crystal City, un mélange détonnant de nationalisme culturel, d’État-providence et de capitalisme hispanique, qui soulève de violentes réactions. Dans d’autres comtés, des modifica-tions moins spectaculaires ont lieu, mais peut-être plus représentatives de l’évolution de la situation. Plus ou moins impliqués selon les régions, les

campesinossont intéressés au premier chef par une expérience qui contri-bue à ouvrir quelques brèches dans un système dont ils sont les premières victimes. Mais les ouvriers agricoles, sensibles à l’appel à la mobilisation politique lancé par les militantschicanos, ne se limitent pas à ce champ d’action, et continuent à réclamer des réformes dans le cadre de leur syn-dicat.