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Les grévistes ont à souffrir non seulement des relations étroites entre les dirigeants de l’État et les intérêts agricoles, mais également de la col-laboration, effective depuis longtemps, entre les employeurs et les auto-rités locales. Ainsi, le procureur du comté, Randall Nye, est également conseiller juridique deStarr Produce Packing Shed, une entreprise d’em-ballage de produits agricoles. Jim Rochester, employé de La Casita et frère du directeur, est aussi shérif adjoint. Proches des producteurs, les juges prennent très vite des arrêtés limitant ou prohibant les piquets, assi-milés, grâce à la législation très restrictive du Texas, à une tentative d’in-timidation des non-grévistes et des employeurs, et en novembre 1966, un jury condamne la grève, estimée « illégale », « anti-américaine », et constituant « un abus des droits et libertés accordés aux citoyens ». Les bannières de l’UFWOCsont confisqués, pour manque de respect au dra-peau américain, et les arrestations se multiplient : grévistes, manifestants, symathisants, et bien sûr, organisateurs, goûtent par dizaines à la pri-son du comté, sous des prétextes divers : entrée non autorisée sur une

1. « Little People’s Day, »Texas Observer21 July 1967 : 6.

2. Greg Olds, « Allee and Garrison Deny the Allegations, »Texas Observer21 July 1967 : 10 ; « The Confrontation, »Texas Observer16 Sept. 1966 : 6-11.

propriété privée ; boycott secondaire ; infraction à la loi sur les piquets ; atteinte à la liberté du travail ; injures et menaces ; voie de fait ; incitation à la rébellion ; trouble de l’ordre public. Les interpellations répétées non seulement limitent l’action du syndicat, mais épuisent aussi ses maigres ressources, car il faut payer des cautions élevées et des frais d’avocat1.

La reprise de la grève, en 1967, s’accompagne d’une intensification de cette répression, avec l’arrivée des Texas Rangers. En alerte depuis le début du conflit, mandés par les autorités locales, ces derniers ont déjà fait quelques apparitions. En mai 1967, ils s’installent dans un hôtel de Rio Grande City et prennent la situation en main, sous la direction du capitaine A. Y. Allee. Dès lors, les grévistes se plaignent d’être constam-ment harcelés — arrestations, surveillance constante, mise sur écoute...

El Malcriadodénonce ces tactiques d’intimidation, mais rappelle les prin-cipes de non-violence de l’UFWOC, et insiste sur le fait que les ouvriers n’ont rien à gagner, et tout à perdre, d’un affrontement direct avec les forces de l’ordre. Le syndicat souligne que le véritable but desRangers

est de briser la grève et de préserver les intérêts des producteurs, car non seulement ils appréhendent les manifestants, mais ils accompagnent éga-lement les wagons réfrigérés jusqu’à la sortie de la vallée et conduisent les frontaliers dans les exploitations. De plus, s’ils refusent toujours de discu-ter avec les représentants de l’UFWOC, ils rencontrent régulièrement les employeurs2.

Devant la multiplication des incidents, des voix de plus en plus nom-breuses s’élèvent pour condamner l’attitude et le rôle desTexas Rangers: laMexican American Joint Conferencedemande la dissolution du corps ; Walter Reuther proteste auprès du Président Johnson et de Connally ; lors de sa convention annuelle à Corpus Christi, laLULACse prononce pour leur retrait ; leNorth Dallas Democratic Women’s Clubdénonce leur bru-talité ; le sénateur Joe Bernal, qui les qualifie de « K.K.K. des Mexicains-Américains » réclame une enquête... De leur côté, laTexas Civil Liberties Unionet leTexas Council of Churchesdécident d’engager des poursuites 1. United States, Cong., Senate, Subcommittee on Migratory Labor of the Committee on Labor and Public Welfare,Hearings on Migratory Labor Legislation, Pt. 2, 90th Cong., 1st sess. (Washington : GPO, 1968) 378-380, 388 ; Julian Samora, Joe Bernal, and Albert Pena,

Gunpowder Justice. A Reassessment of the Texas Rangers(Notre Dame : U of Notre Dame P, 1979) 137-139.

2. « Arrests Impede the Picketing, »Texas Observer9 June 1967 : 14-18 ; « The Rangers and La Huelga, »Texas Observer9 June 1967 : 14 ; « Medical and Press Matters, »Texas Observer9 June 1967 : 25 ; « What Force Was Deemed Necessary, »Texas Observer9 June 1967 : 26 ; El Malcriado7 June 1967 : p3 ; United States Commission on Civil Rights Clear-inghouse,Stranger in One’s Land, Publication no19, Mai 1970 ; Subcommittee on Migratory Labor,Migrant and Seasonal Farmworker Powerlessness, Pt. 4B,Farmworker Legal Problems

contre lesRangerset les autorités du comté : laTCLUpour violation des Veet XIVeamendements — l’organisation remet également en cause la constitutionalité de certaines lois propres au Texas — ; leTCCpour viola-tion des droits constituviola-tionnels de plusieurs de ses membres1.

Par ailleurs, des auditions publiques se tiennent à deux reprises dans la vallée. Les 25 et 26 mai 1967, une trentaine de personnes — représentants de l’UFWOC, de l’AFL-CIO, de groupes religieux et d’associations privées, avocats du syndicat et des employeurs, procureurs du comté et du dis-trict, etc — viennent témoigner devant un comité de laUnited States Civil Rights Commission dont le rapport conclut à la violation des droits des ouvriers et des citoyens participant à la grève. En juillet 1967, c’est au tour duU.S. Senate Subcommittee on Migratory Labord’écouter les acteurs du conflit. À Rio Grande City, 200 personnes sont entassées dans le tribunal, et 150 se pressent à l’extérieur, non pas cette fois des dirigeants syndicaux, des écclésiastiques et des militants progressistes, mais les travailleurs eux-mêmes, pour qui c’est véritablement « la journée des petites gens », selon l’expression duTexas Observer. Les sénateurs se montrent très cri-tiques, et pour H. A. Williams, président de la commission, il est clair que lesRangers, qui se sont refusés à toute déclaration, ont outrepassé leurs droits et effectivement contribué à briser la grève. Williams confirme éga-lement l’accusation de collaboration entre Rangers, autorités locales et employeurs, et conclut que ce qui s’est passé dans le comté de Starr est la meilleure preuve qu’il faut absolument donner aux ouvriers agricoles le droit de se syndiquer. En août, leSubcommitteetient des auditions com-plémentaires à Washington. Allee est toujours absent, mais Morris Atlas, avocat des exploitants, et Ray Rochester, deLa Casita, demandent à être entendus. Leurs déclarations ne font que conforter les sénateurs dans leur position2.

Toute cette publicité faite autour des ouvriers agricoles de la vallée irrite profondément les employeurs et leurs alliés qui dénoncent le parti pris des membres de la commission en faveur des grévistes. De son côté, le capitaine Allee reste serein. S’il admet être venu à la demande des exploi-tants, il nie que lesRangers soient hostiles au mouvement syndical en général — il reconnait néanmoins que l’on fait souvent appel à eux en cas de grève. Selon Allee, dans le comté de Starr, ce sont les ouvriers et 1. « The Public Debate, »Texas Observer9 June 1967 : 28 ;Corpus Christi CallerJune 1967 : 14 ; Samora, Bernal, and Pena 147 ; Kemper Diehl, « Rights Leader Asks Starr County Probe, »

San Antonio Express and News3 June 1967 ; Kemper Diehl, « Civil Liberties Union Prepares Court Suit, »San Antonio Express and News3 June 1967.

2. Fred Pass, « Valley Probes Bias Charged, »Dallas Morning News9 July 1967 ; Ronnie Dugger, « Another Conscience Stirred, »Texas Observer18 Aug. 1967 : 10.

leurs sympathisants qui portent la seule responsabilité des violences com-mises, lesRangersn’ayant fait que leur devoir. Le capitaine s’élève contre l’image que l’on donne de ces derniers et assure que toutes les accusa-tions portées contre lui et ses hommes ne sont qu’invenaccusa-tions. La preuve en est, avance-t-il, que de nombreux Mexicains-Américains ont signé une pétition demandant le maintien desRangersdans la vallée1.

Effectivement, les Rangers ne manquent pas de défenseurs. Les employeurs, évidemment, apprécient leur action, et certains résidents du comté se félicitent ouvertement de leur présence. Plus d’un homme poli-tique est un chaud partisan du capitaine Allee, et le gouverneur prend officiellement position en sa faveur. Le procureur du district pour sa part, se dit pleinement satisfait de l’intervention desRangers, de même que le Colonel Homer Garrison, directeur duTexas Department of Public Secu-rity.