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3 . 1 Profil de la population hispanique au Texas

Officiellement, c’est-à-dire non compris les éventuels clandestins ins-tallés dans l’État mais peu désireux de se faire recenser, le Texas compte 1 034 000 Hispaniques en 1950, soit 45 % de ce groupe dans le sud-ouest des États-Unis — 33,2 % résident en Californie —, et 1 417 810 en 1960, soit 40,9 % — 41,2 % vivent alors en Californie. En 1950, les Hispaniques représentent 13,3 % de la population de l’État, les Blancs 73,9 % et les Non-Blancs, à 100 % noirs, 12,8 %. En 1960, les chiffres sont de 14,8 %, 72,6 % et 12,6 %1.

Mexicains et Mexicains-Américains sont toujours inégalement répartis à travers l’État et restent concentrés dans le Sud et l’Ouest, où se trouvent 70 % d’entre eux. Dans 17 comtés, tous situés à proximité de la frontière, ils constituent plus de 50 % des habitants — 67 % dans le comté de Dim-mit, par exemple, 71,4 % dans celui de Hidalgo, et 88,7 % pour celui de Starr. Toutefois, entre 1950 et 1960, huit comtés du nord du Texas voit s’accroître considérablement leur population hispanique, ces régions offrant désormais davantage de possibilités d’emplois2.

L’industrialisation que connait le Texas entre la guerre et le milieu des années soixante accélère le départ des Mexicains et des Mexicains-Américains pour les villes, où près de 80 % d’entre eux vivent en 1960 — les chiffres sont de 74,3 % pour les Anglos et de 75,1 % pour les Non-Blancs. Néanmoins, ils sont moins urbanisés qu’il n’y paraît : d’une part, ils sont moins nombreux que les Anglos et les Noirs à habiter les grandes métro-poles ; d’autre part, 7 % de ces citadins sont toujours ouvriers agricoles, alors que c’est le cas de 2,1 % des Noirs et de 0,6 % des Blancs seulement3. Dans leur grande majorité, les Hispaniques du Texas restent relégués au bas de l’échelle sociale, et occupent, avec les Noirs, une part disporpor-tionnée des emplois les moins rémunérés. Ils sont toujours très nombreux dans l’agriculture : en 1950, 26,8 % des hommes et 8,1 % des femmes sont ouvriers agricoles — 10,8 % et 4,2 % pour les Non-Blancs, 4,2 % et 2,5 % pour les Blancs — ; en 1960, 16,2 % des hommes et 5,7 % des femmes

tra-1. Subcommittee on Migratory Labor, Migrant and Seasonal Farmworker Powerlessness, Efforts to Organize946 ; Harley L. Browning,A Statistical Profile of the Spanish-Surname Pop-ulation of Texas, PopPop-ulationSeries no1 (Austin : Bureau of Business Research, U of Texas, 1964) 6, 8.

2. Subcommittee on Migratory Labor,Migrant and Seasonal Farmworker Powerlessness, Efforts to Organize954 ; Browning 13.

3. Browning 56, 18 ; Vernon M. Briggs, Jr.,Chicanos and Rural Poverty, Policy in Employ-ment and Welfare no16 (Baltimore : John Hopkins U P, 1973) 10.

vaillent dans l’agriculture — 7,1 % et 1,4 % pour les Non-Blancs, 2,2 % et 0,8 % pour les Blancs. On retrouve cette prépondérance dans tous les États du Sud-Ouest : en 1950, 24,7 % des hommes hispaniques sont ouvriers agricoles, soit un pourcentage près de quatre fois plus élevé que pour la totalité de la population ; en 1960, 16,8 %, soit plus de quatre fois plus. Si l’on considère l’ensemble du pays, 20 % des salariés mexicains et mexicains-américains déclarent travailler dans l’agriculture, contre seule-ment 4,5 % des autres salariés1.

3.2 L’emploi dans l’agriculture

De par leur lieu de résidence et de par leur concentration dans l’agri-culture, les Hispaniques du Texas souffrent énormément des restructura-tions de ce secteur d’activité, ainsi que de l’afflux des travailleurs mexi-cains.

Le processus de mécanisation amorcé dans les années trente s’accélère à la fin des années cinquante et au début des années soixante. Dans le coton, l’ augmentation des salaires desbracerospousse les producteurs à mécaniser : en 1955, seulement 25 % du coton de l’État est récolté à la machine, et ce surtout dans les grandes exploitations desHigh Plains; en 1959, environ 33 % du coton est ainsi cueilli, 70 % en 1962, 81 % en 1963 et 90 % en 1964. Le nombre de mois-homme utilisés pour cette récolte passe de 496 000 en 1961 à 188 000 en 1962, et l’on estime que la méca-nisation élimine plus de 260 000 emplois. On introduit également des machines dans les cultures légumières — épinards, haricots, carottes et betteraves sont particulièrement concernés —, et l’on élimine de la sorte 6 000 emplois par an, la mécanisation ne supprimant pas totalement les besoins saisonniers, mais réduisant fortement la durée de l’embauche2.

Par ailleurs, les agriculteurs, n’ayant que l’embarras du choix, recrutent

braceros, clandestins etViserosde préférence à la main d’œuvre locale. Le même problème se pose dans les centres d’emballage et de transforma-tion, souvent sources de revenus complémentaires pour les ouvriers qui résident dans les comtés frontaliers. C’est également le cas dans d’autres secteurs utilisant des ouvriers non-qualifiés et semi-qualifiés comme le bâtiment, l’industrie textile et les commerces de gros et de détail.

1. Browning 41, 208, 131 ; Barrera 131 ; Subcommittee on Migratory Labor,Migrant and Seasonal Farmworker Powerlessness,Efforts to Organize983. Documents photographiques : Russell LEE (1949). (Center for American History, University of Texas at Austin) :www.cah. utexas.edu/ssspot/cities/index.php.

Toute une série d’arguments est avancée par les employeurs pour expli-quer et justifier leurs choix. Certains soutiennent que les travailleurs locaux ne veulent pas de ces emplois car ce sont des « bons à rien », des « paresseux » qui manquent totalement d’« ambition » et « d’esprit d’ini-tiative ». Pour d’autres, ces ouvriers préfèrent aller chercher ailleurs un travail mieux rémunéré. Nombre d’entre eux s’en prennent également aux « avantages » accordés aux Hispaniques par le gouvernement fédé-ral, car un « Mexicain américanisé » n’a plus « le goût de l’effort ». La créa-tion de centres de formacréa-tion pour les GI est particulièrement critiquée, étant donné qu’elle permet aux anciens soldats de quitter l’agriculture. Dans ces conditions, les exploitants s’affirment bien obligés de trouver des « bras » ailleurs, c’est à dire au Mexique, et ils ne comprennent pas que l’on puisse s’opposer à la venue de ces travailleurs1.

3.3 Migrations

Moins dociles et plus exigeants que les Mexicains qui, eux, n’ont guère le choix, la main d’œuvre agricole locale se voit dans l’obligation de partir tenter sa chance ailleurs, de manière définitive ou temporaire.

Entre la fin de la guerre et le milieu des années soixante, le sud du Texas, et la vallée en particulier, perd une partie de sa population : 23 % pour le comté de Hidalgo, 21,1 % pour celui de Cameron 21,1 %, 10,1 % pour le comté de Starr et 36,8 % pour celui de Willacy. Parmi les Hispa-niques qui partent, certains s’installent dans les grandes villes de l’État — San Antonio, Houston, Corpus Christi, Dallas, Fort Worth — où ils font à leur tour concurrence à la main d’œuvre non-qualifiée et semi-qualifiée locale, souvent noire, dans les restaurants, les hôtels, les blanchisseries et les entreprises de travaux publics. D’autres quittent le Texas, se fixant surtout en Californie et dans le Midwest. Beaucoup, enfin, continuent à travailler dans l’agriculture, mais vont périodiquement s’embaucher dans d’autres régions, à l’intérieur et à l’extérieur de l’État2.

Le nombre exact de ces migrants est difficile à établir, mais laTexas Employment Commission donne quelques chiffres, vraisemblablement sous-estimés. En 1947, ils seraient 60 000 à 80 000 à assurer la récolte du coton au Texas et ailleurs, et entre 40 000 et 60 000 à aller travailler dans le nord des États-Unis et les Rocheuses. En 1949, environ 90 000 ouvriers trouveraient un emploi dans d’autres États. Il y aurait, en tout, 105 000 1. Saunders and Olen 69 ; President’s Commission on Migratory Labor, Proceedings 13, 45, 16, 24.

2. Subcommittee on Migratory Labor,Migrant and Seasonal Farmworker Powerlessness,

migrants en 1959, 127 800 en 1962, 129 000 en 1964, et 167 000 en 1965, sans compter les membres de la famille qui les accompagnent. La grande majorité d’entre eux vivent autour de San Antonio et de Corpus Christi, dans leWinter Gardenet surtout dans la basse vallée du rio Grande, qui constitue le plus grand réservoir de travailleurs migrants du Texas. Ainsi, en juillet 1950, on estime que plus de la moitié des habitants mexicains et mexicains-américains de la vallée sont « absents », et l’on ne compte pas plus de 10 % d’ouvriers locaux dans les champs, dont une majorité de femmes et d’enfants, les autres étant des clandestins ou desbraceros1.

Ceux qui restent au Texas font principalement la récolte du coton, de juillet, dans la vallée, à novembre ou décembre, dans lesHigh Plains. Les autres se rendent dans le nord-ouest des États-Unis, le Midwest et le reste du Sud-Ouest pour cultiver les fruits, les légumes et les betteraves. On retrouve ces migrants dans 25 états au milieu des années cinquante, et 36 en 1965, parmi lesquels le Michigan, l’Ohio, le Wisconsin, l’Idaho, l’Illi-nois, l’Indiana, la Californie, le Minnesota et le Colorado2.

Au fil des ans, les migrants doivent partir plus loin et plus longtemps : le pourcentage de ceux qui quittent l’État augmente — 55 % en 1959 et 80 % en 1964 ; ils s’en vont en février, et non plus en avril, les retours s’échelonnant entre septembre et décembre. Mais ailleurs également, ils se heurtent à de grandes difficultés, car l’agriculture connaît partout les mêmes transformations qu’au Texas. Entre 1947 et le début des années soixante, le nombre de journées de travail dans ce secteur passe de 360 millions à 273 millions pour l’ensemble du pays, et le nombre moyen de journées par ouvrier agricole de 156 à 138 millions. On a certes toujours besoin de ce type de main d’œuvre, mais sur des périodes plus courtes3.

Certains migrants cherchent un emploi par eux-mêmes, mais la plupart s’en remettent à des agences de recrutement privées et publiques, à des embaucheurs, ou à un chef d’équipe. Ce dernier est souvent issu d’un groupe de migrants dont il prend la direction : il assure le transport, en général en camion, fournit nourriture et logement, faisant payer ses ser-vices aux ouvriers. Lorsqu’il est officiellement reconnu par les employeurs, le chef d’équipe devient embaucheur. Néanmoins, ces intermédiaires sont à l’origine de tant d’abus qu’en 1965, le Département du Travail exige 1. W. H. Metzler and Frederic O. Sargent,Migratory Farmworkers in the Midcontinent Streams, United States Department of Agriculture, Agricultural Research Service, Produc-tion Research Report no41 (Washington : GPO 1960) 4 ; Jones 80-81 ; Saunders and Olen 45.

2. Coalson 109 ; Good Neighbor Commission of Texas,Texas Migrant Labor, 1965(Austin : 1965) 5.

3. Jones 80-81 ; Subcommittee on Migratory Labor,Migrant and Seasonal Farmworker Powerlessness, Pt. 4A,Farmworker Legal Problems26.

leur enregistrement auprès des autorités, dans le cadre du Farm Labor Contractor Registration Actde 1964. Les conditions de transport, en par-ticulier, dans des véhicules en mauvais état et surchargés, sont régulière-ment dénoncées, car les accidents sont nombreux et graves. Lorsque l’in-spection des camions devient obligatoire, ainsi que la souscription d’une assurance minimum, de plus en plus d’ouvriers sont amenés à utiliser leur propre voiture1.

Les migrants du Texas, à 95 % hispaniques, ne représentent qu’une par-tie des ouvriers agricoles qui se déplacent, à la recherche d’un emploi, avec ou sans leur famille, à travers les États-Unis. On estime le nombre de ces personnes à un million en 1940, et au début des années soixante, les chiffres seraient d’un million à un million et demi. Environ les deux tiers ne quittent pas leur État d’origine, 51 % font moins de 135 km pour trouver du travail, 18 % de 135 à 718 km, 11 % 720 km ou plus, et 20 % plus de 1 800 km. Ces migrants appartiennent souvent à des minorités raciales et ethniques : des Noirs, jadis métayers ou détenteurs d’un lopin de terre, des Indiens, dont l’agriculture est la principale source de revenus, des Antillais, des Portoricains, et surtout des Mexicains-Américains — en 1960, près de 40 % de ces ouvriers agricoles migrent, alors que c’est le cas pour seulement 9 % des autres travailleurs de ce secteur2.

Il existe trois grands circuits de migration, qui datent du développe-ment de l’agriculture commerciale dans les premières décennies du ving-tième siècle : le premier sur la côte ouest, où une partie des ouvriers tra-versent la Californie et remontent la côte jusqu’à l’État de Washington, tandis que d’autres se dirigent vers l’Arizona ; le deuxième, sur la côte est, s’étend de la Floride à l’État de New York, certains travailleurs se rendant dans l’Ohio et l’Indiana ; le troisième, et de loin le plus important, prend naissance dans le sud du Texas et couvre la plupart des régions du centre nord, des Montagnes Rocheuses et de la côte pacifique. Le Texas est ainsi non seulement le plus grand utilisateur de ce type de main d’œuvre, mais aussi le plus grand « exportateur », les ouvriers agricoles hispaniques de l’État, auxquels se joignent parfois des clandestins mexicains, représen-tant un bon quart des migrants du pays3.

1. Coalson 108 ; GNC,Texas Migrant Labor, 19655 ; Richard M. Morehead, « Migrant Labor Treated like Cattle, Hearing Told, »Dallas News7 Apr. 1956 ; « Migrant Worker Plight Surveyed, »Texas Observer26 Dec. 1956 : 1 ; GNC,Texas Migrant Labor, 196721.

2. President’s Commission on Migratory Labor,Report3 ; National Sharecroppers Fund,

Annual Report, 1963(New York : NSF, 1963) 1 ; « The Migratory Farm Worker, »Monthly Labor ReviewJune 1968 : 10 ; Coalson 110.

3. Carte des circuits migratoires des ouvriers agricoles aux États-Unis (1961) (Voir docu-ments annexes, figure 1 p. 371).