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Les ouvriers agricoles mexicains et mexicains-américains occupent en effet le bas de l’échelle sociale, en tant que classe et en tant que membres d’un groupe ethnique victime de préjugés profondément enracinés. Selon David Montejano, auteur d’une étude intituléeRace, Labor Repression and Capitalist Agriculture : Notes from South Texas, 1920-1930, à aucun autre moment dans l’histoire du sud de l’État la « race » et la classe n’ont autant coincidé, la première devenant la clé de voûte d’un système économique et social adapté aux besoins des exploitants2.

1. Committee on Immigration and Naturalization,Immigration from Countries of the Wes-tern Hemisphere590-591 ; P. S. Taylor,A Mexican-American Frontier290 ; P. S. Taylor, Mexi-can Labor399.

2. Documents photographiques :Spinach workers, Texas(Library of Congress — Amer-ica from the Great Depression to World War II) : memory.loc.gov/ammem/fsahtml/ fsasubjindex1.htmlDocuments photographiques :Cotton, Texas(Library of Congress — America from the Great Depression to World War II) :memory.loc.gov/ammem/fsahtml/ fsasubjindex1.html

Dans les zones rurales, le modèle dominant est celui de propriétaires et de « fermiers »anglos, de métayers et de saisonniers hispaniques. Le comté de Nueces offre un parfait exemple de ce schéma. On y recense un propriétaire hispanique — 30 acres — en 1914, et 29, sur plus de 1 200 exploitants, en 1929 : six d’entre eux possèdent plus de 100 acres, dix de 50 à 100 acres, et 13 moins de 50 acres ; la plupart sont d’anciens ouvriers devenus « fermiers » qui ont ensuite réussi à acheter un peu de terre. Environ la moitié du comté est exploitée par des « fermiers » en tiers et en quarts, en presque totalitéanglos — le propriétaire fournit seule-ment la terre et reçoit un tiers des fourrages et des grains, et un quart du coton ou des cultures maraîchères. Seulement 5 % des Hispaniques sont dans ce cas, mais ils constituent la quasi-totalité des métayers en demi — le bailleur fournit outils et semences, le métayer son travail, et la récolte est partagée en deux. Quant aux ouvriers agricoles, ils sont à 95 % Mexi-cains et MexiMexi-cains-AmériMexi-cains1.

C’est aussi le cas pour la majorité des migrants du Texas — environ 85 % d’Hispaniques, contre 10 % de Blancs, et 5 % de Noirs. Les deux-tiers d’entre eux résident dans les villes du sud de l’État, qui servent de réservoir de main d’œuvre aux producteurs. Ainsi, en 1930, à Crystal City, où cinq habitants sur six sont Mexicains ou Mexicains-Américains, 95 % de ces derniers quittent chaque année la ville pour suivre les récoltes. Les autres migrants viennent du centre (20 à 22 %), et de l’ouest (9 à 10 %), les 2 à 3 % restant d’États limitrophes2.

Avec l’expansion de l’agriculture commerciale et le passage à une main d’œuvre saisonnière, les rapports entre employeurs et employés se modi-fient. Les relations paternalistes persistent entrepatronset ouvriers per-manents ou métayers, formes de contrôle qui évitent le recours à la vio-lence, mais qui n’arrivent pas à masquer totalement la nature et l’étendue de l’exploitation économique. Avec les saisonniers, les contacts sont irré-guliers et totalement impersonnels, et ce d’autant plus que bon nombre de propriétaires ne vivent pas sur place et laissent la gestion du domaine à un régisseur.

1. Montejano,Anglos and Mexicans172-173 ; P. S. Taylor,An American-Mexican Frontier

188, 92 ; Montejano,Notes from South Texas13, 27.

2. Committee on Education and Labor,American Farmers and the Rise of Agribusiness271 ; Menefee 3, 15 ; Select Committee,Interstate Migration1925. Documents photographiques :

Migrants on the road, Texas(Library of Congress — America from the Great Depression to World War II) :memory.loc.gov/ammem/fsahtml/fsasubjindex1.html. Documents photographiques :Migrant camps, Texas(Library of Congress — America from the Great Depression to World War II) :memory.loc.gov/ammem/fsahtml/fsasubjindex1.html,

Les contacts sont d’autant plus rares que des règles strictes assignent « sa » place au « Mexicain », catégorie qui inclut les Mexicains et les Mexicains-Américains. La ségrégation entreAngloset Hispaniques s’im-pose dans tous les domaines de la vie sociale, très semblable à celle dont souffrent les Noirs dans le Vieux Sud. Deux mondes coexistent — la ligne de chemin de fer sert en général de « frontière » — et les champs constituent le principal lieu de rencontre. Dans le domaine de l’éduca-tion, la séparation des enfants des deux communautés est strictement appliquée partout, d’abord au niveau du primaire, puisque les élèves his-paniques vont rarement au-delà, puis au collège, lorsque, à partir de la fin des années vingt, suffisamment d’entre eux poursuivent leurs études. Mais le taux d’absentéisme des enfants d’ouvriers agricoles mexicains et mexicains-américains est très élevé, et rien n’est fait pour les encourager à venir à l’école. D’une part, au Texas, la scolarité obligatoire ne s’ap-plique qu’aux élèves de 8 à 14 ans vivant dans un rayon de trois kilomètres d’un établissement, à moins qu’un service de transport ne soit assuré, et seulement 100 jours de présence sont requis. D’autre part, les parents pré-fèrent souvent garder leurs enfants auprès d’eux, car ils travaillent dans les champs ou s’occupent des plus jeunes. Enfin, les employeurs sont hos-tiles à l’éducation de « leurs Mexicains », redoutant de les voir partir cher-cher ailleurs des emplois plus intéressants et mieux rémunérés. De toute façon, lorsqu’ils vont à l’école, ces enfants sont mis dans des établisse-ments ou dans des classes séparés, sous des prétextes divers — considérés comme Blancs par la loi, ils ne peuvent être ouvertement soumis à une ségrégation raciale - : infériorité biologique ou culturelle, appartenance à la religion catholique, manque d’hygiène, maladies, nécessité de « proté-ger » les Hispaniques desAnglos, etc.1.

Dans les régions frontalières, l’arrivée massive d’agriculteurs venus d’autres États entraîne également un durcissement dans les relations entreAngloset « Mexicains ». La société de la vallée est maintenant nette-ment scindée en deux, même s’il existe des divisions de classe à l’intérieur de chaque groupe. Non seulement les Hispaniques pauvres subissent le mépris, et même la haine, des nouveaux venus, mais la vieille élite 1. P. S. Taylor,Mexican Labor441, 396, 407, 372, 378 ; Menefee 41. Documents photo-graphiques :The South Texas Border. 1900-1920.The Robert Runyon Collection (Center for American History, University of Texas at Austin et Library of Congress) :memory.loc.gov/ ammem/award97/txuhtml/runyhome.htmlDocuments photographiques :Mexicans, Texas

(Library of Congress — America from the Great Depression to World War II) :memory.loc. gov/ammem/fsahtml/fsasubjindex1.html. Documents photographiques :Mexicans, Crys-tal City, Texas(Library of Congress — America from the Great Depression to World War II) : memory.loc.gov/ammem/fsahtml/fsasubjindex1.html, memory.loc.gov/ammem/ fsahtml/fsasubjindex1.html

mexicaine-américaine pâtit elle-aussi de l’évolution de la situation. Les tensions s’accroissent et les actes de violence se multiplient de part et d’autre : ainsi, entre 1915 et 1917, la vallée devient le théâtre de véritables affrontements armés, qui entraînent la mort de centaines de personnes et le déplacement de milliers d’autres1.

Côté « Mexicain », sabotages, vols de bétail, et assassinats sont perpé-trés par des bandes organisées de manière quasi militaire. LesAnglosy voient, pour les uns, l’action de simples « bandits », pour les les autres, la main des dirigeants de la Révolution mexicaine. Avec la découverte, en janvier 1915, duPlan de San Diego, un projet de soulèvement des Hispa-niques dans le sud-ouest devant mener à l’indépendance, et la publica-tion, en mars 1917, de laZimmerman Note, dans laquelle l’Allemagne pro-pose une alliance au Mexique en échange de la reconquête du sud-ouest, on accuse également les Allemands de fomenter des troubles. Néanmoins, le plus souvent, ce sont les exactions dont sont victimes les Mexicains et les Mexicains-Américains qui sont à l’origine des désordres.

Les Anglos, de leur côté, forment des milices qui font régner la ter-reur dans la population hispanique et font appel appel auxTexas Rangers. Créés en 1823 pour protéger les premiers colons des Indiens, et plus tard utilisés pour assurer la sécurité des frontières de la République puis de l’État, ces Rangersont très vite défendu les intérêts des grands proprié-taires de la région. Réorganisés en 1900 et 1901,Los Rinches, comme on les appelle aussi, continuent leurs activités pendant les premières décennies du vingtième siècle, la période la plus sinistre de leur histoire. Les plaintes sont si nombreuses — pour intimidation, brutalités et meurtres —, que leur suppression est un moment envisagée. Le corps est maintenu, mais le nombre deRangersest réduit et leurs pouvoirs limités2.

Les violences auxquelles sont soumis Mexicains et Mexicains-Américains dans les comtés frontaliers donnent naissance à des bal-lades — corridos—, dans lesquels on raconte comment ils défendent leurs droits dans une lutte inégale contre lesAngloset les Rangers. En général vaincu, le héros s’enfuit au Mexique, à moins qu’il ne soit tué ou capturé, comme c’est le cas de Gregorio Cortez —El Corrido de Gregorio Cortez—, un ouvrier agricole accusé à tort de vol de chevaux et arrêté après une longue chasse à l’homme.

1. Montejano,Anglos and Mexicans115, 125.

2. McWilliams,North11 ; Americo Paredes,With His Pistol in His Hand, A Border Ballad and Its Hero(Austin : U of Texas P, 1958) 31.