• Aucun résultat trouvé

3 Les campagnes d’information et de sensibilisation

Tout en servant de courroie de transmission pour des opérations de boy-cotts orchestrées par le syndica en Californie, la sectionUFWOC/UFWdu Texas cherche également à construire un réseau de soutien dans la basse vallée du rio Grande. Pour surmonter les obstacles qui ont fait échouer les grèves de 1966 et 1967, il faut préparer non seulement les ouvriers, mais aussi la population, en sensibilisant, en éduquant, et ce au moyen de réunions, et surtout de publications et d’émissions de radio.

LeFarmworkeret l’UFWOC Texas Newsletteront déjà été mentionnés, ainsi que le journal bi-mensuelYa Mero !— « Presque » ou « Très Bientôt ». Par la suite, on peut lireEl Campesino, entre 1972 et 1974, puisLa Voz del Cuhamil, qui devient plus tardEl Cuhamil, d’après le nom des terres aban-données aux Indiens pendant la période coloniale. Par ailleurs, à partir de juillet 1969, Orendain dispose, du lundi au samedi, à six heures du matin, d’un programme d’un quart d’heure surRadio KGBT, à Harlingen,La Voz del Campesino.

LeFarmworker, destiné à un publicangloet hispanique essentiellement urbain, est en anglais. Mais, pour toucher le plus grand nombre de gens dans des comtés où la plupart ne maîtrisent pas cette langue,Ya Mero !

etEl Campesinosont en espagnol, l’UFWOC Texas NewsletteretEl Cuha-milbilingues. Quant à LaVoz del Campesino, le programme se déroule en espagnol, car il est également diffusé au Mexique. Des lettres de régions aussi éloignées que le Yucatan parviennent au syndicat, attestant de l’in-térêt porté par les travailleurs mexicains à ses activités.

Les fonds viennent en partie des ventes et des abonnements — 2,50 dol-lars par an pourYa Mero !, qui tire à 5 500 exemplaires, 3,50 dollars pour

El Campesino, et 4,50 dollars pourEl Cuhamil. Les organisateurs reçoivent aussi une aide financière de l’UFWde Californie et de la fédération AFL-CIOdu Texas, qui accorde 5 000 dollars par an — le programme de radio à lui tout seul coûte près de 400 dollars par mois.

Le syndicat rencontre parfois des difficultés pour diffuser ses informa-tions. Ainsi Orendain doit soumettre le contenu de son émission à l’a-vance aux responsables de la station, mais ces derniers peuvent difficile-ment exercer une censure véritable sans risquer un procès, car ils con-sacrent de nombreuses plages horaires aux producteurs. Dans certaines localités, les autorités tentent de s’opposer à la vente des journaux. C’est le cas à Pharr, par exemple : ceux qui proposentYa Mero !aux automo-bilistes sont arrêtés pour trouble de l’ordre public, alors que les vendeurs duMonitor, quotidien très conservateur de la vallée, n’ont aucun prob-lème.

Que ce soit par écrit ou à la radio, l’UFW tente d’abord de donner un maximum de renseignements sur les possibilités d’emploi, les modes de recrutement et les salaires. Il est féquemment fait mention de tout ce qui constitue le lot quotidien ducampesino: son travail dur et mal payé, son exploitation par les employeurs, les embaucheurs et les trans-porteurs, la vie dans des camps insalubres, les accidents et la maladie, le manque d’argent... Les exploitants qui, au Texas ou dans d’autres États, ne respectent pas les propositions faites en matière de journées de travail et de rémunérations et qui offrent des logements dans un état déplorable, sont d’ailleurs dénoncés. D’autre part, la détermination des ouvriers à combattre l’injustice qui leur est faite est maintes fois soulignée. Les lecteurs sont donc tenus au courant des conflits qui ont lieu dans d’autres régions du pays, et les succès remportés ici ou là sont salués avec enthou-siasme. Par l’intermédiaire deLa Voz del Campesino, les Mexicains sont informés de ce qui se passe aux États-Unis, de ce qui les attend et des efforts en cours pour améliorer la situation des travailleurs de l’agricul-ture, quelle que soit leur origine.

L’histoire de l’UFWest retracée, la première grève, le premier boycott et les premières victoires remémorées, et il est rappelé auxcampesinos

que s’ils ont beaucoup d’ennemis, ils ont aussi de nombreux alliés dans le mouvement syndical, parmi les « libéraux » et au sein des Églises. L’accent est mis sur la nature particulière de l’UFW, non seulement syndicat mais aussi mouvement social par sa philosophie et son approche — choix de la non-violence, esprit de sacrifice, recours à des volontaires peu payés et à des bénévoles, absence de hiérarchie, mise sur pied de services pour les adhérents dans le domaine de la santé, de l’aide financière et légale, de l’éducation et de la formation.

Les contrats signés par l’UFWsont avantageusement comparés à ceux proposés par lesTeamsters, auxquels il est reproché : de ne chercher en aucune manière à modifier les structures d’emploi, l’une des sources de l’exploitation des ouvriers ; de conserver des liens avec les embaucheurs et autres recruteurs professionnels ; de ne pas inclure des dispositions per-mettant le recrutement à l’ancienneté, la protection contre les pratiques discriminatoires à l’embauche ou les renvois injustifiés, et des clauses de succession en cas de vente de l’exploitation ; de ne pas faire mention de congés payés ni de paiement d’heures supplémentaires. Certes, les salaires offerts par lesTeamsterssont comparables à ceux de l’UFW, et les avantages liés au contrat incluent un plan de retraite et le paiement d’in-demnités en cas de maladie et d’accident. Toutefois, les conditions requi-ses pour en bénéficier excluent tous les migrants et les saisonniers, c’est-à-dire pratiquement tous les ouvriers agricoles couverts par ces contrats.

Par contre, les membres de l’UFW disposent d’une mutuelle, leRobert Kennedy Health and Welfare Fund, et d’un Social Service Fund ouverts à tous et subventionnés par les exploitants eux-mêmes — 10 cents de l’heure pour leKennedy Fundet deux cents par caisse de raisins pour le centre social. L’absence de droit de regard descampesinossur la gestion desTeamstersest également régulièrement soulignée. Il n’existe pas, en effet, dans ce syndicat, de comités de travailleurs ayant la responsabilité de la gestion des contrats et des relations avec les employeurs, alors que c’est le principe même du fonctionnement de l’UFW.

La question des produits chimiques, un sujet de préocupation pour les

campesinos, est fréquemment abordée. Les exploitants ont en effet de plus en plus recours à des pesticides très toxiques, en particulier pour le sys-tème nerveux. En outre, des États comme le Texas font une grosse con-sommation de défoliants, de même nature que le fameux agent orange largement utilisé au Vietnam et connu pour être à l’origine de malforma-tions congénitales. Certains de ces produits sont mortels, même à petites doses. Les ouvriers, qui rentrent dans les champs, sans protection aucune, peu de temps après la vaporisation, souffrent de nausées, de vertiges, de dermatoses, de troubles de la vue, d’asthme... Il est rappelé que, contraire-ment auxTeamsters, l’UFWinscrit dans ses contrats l’obligation, pour les agriculteurs, d’avertir les travailleurs de l’utilisation de produits chim-iques et de les informer de la nature de ces produits et de la quantité utilisée. Les employeurs doivent également mettre, dans les champs, des toilettes et de l’eau potable à la disposition des travailleurs, et fournir les équipements de protection nécessaires.

Lescampesinosse voient donc adjurés de rejeter les propositions des

Teamsters, alliés puissants et dangereux des producteurs qu’ils confortent dans leur pouvoir, même si certains ouvriers, en général des migrants, s’indignent d’avoir à payer des cotisations pour les périodes pendant lesquelles ils ne travaillent pas en Californie, ou refusent un système d’em-bauche qui donne la priorité à d’autres, répartit les familles dans des exploitations différentes, et bannit l’emploi des enfants. L’importance cru-ciale de la solidarité dans une lutte qui ne portera peut-être ses fruits que dans un lointain avenir est, encore et encore, mise en avant.

L’appartenance à l’UFW est présentée comme un apprentissage à la démocratie, chacun se devant d’intervenir et de donner son opinion. Par exemple, à la radio, on lit des lettres d’ouvriers agricoles, favorables ou non au syndicat, car, selon les responsables, cela ne peut que renforcer la cohésion de l’organisation. Les réunions qui se tiennent au quartier général font également l’objet de compte-rendus détaillés — les ouvriers y discutent de l’avenir de leur formation au Texas, du boycott, des

pra-tiques des producteurs, des problèmes rencontrés dans chaque exploita-tion... En septembre 1973,El Campesinoconsacre ses colonnes à la pre-mière convention constitutionnelle de l’UFWqui se tient à Fresno, en Cal-ifornie, et explique le pourquoi de cette assemblée : nécessité d’établir de nouveaux statuts pour l’organisation, d’élire un bureau directeur, de réunir des membres venus de plusieurs régions du pays pour comparer la nature des problèmes qui se posent aux ouvriers agricoles, de prendre des décisions quant à l’orientation de la politique du syndicat et d’en coor-donner les activités. Les délégués, 414 en tout, ont été choisis par les sec-tions syndicales au sein de chaque exploitation, et lescampesinostexans envoient huit des leurs participer à la convention.

Tout est donc fait pour briser l’isolement de l’ouvrier, souvent migrant, l’aider à comprendre son rôle dans un système économique et social donné, à déterminer qui sont ses véritables « ennemis », à se voir comme appartenant à un groupe exploité depuis des décennies en tant que tra-vailleur et membre d’une minorité ethnique, à espérer que la solidarité et l’union pourront un jour changer les choses. Les journaux forgent une conscience collective en évoquant des épisodes de l’histoire du Mexique, en faisant revivre des personnages de l’indépendance ou de la révolution mexicaine, en parlant des luttes menées dans le passé.

Dans la vallée, la création d’un National Farmworkers Service Center,

amplement rapportée, est l’occasion de mobiliser les énergies et de créer de nouveaux liens, de même que la construction d’El Cuhamil, quartier général et lieu de rencontre et de services. Pour mieux renforcer ce senti-ment d’appartenance à un groupe et à une communauté, de nombreuses pages sont consacrées à d’autres aspects de la vie des Hispaniques de la région : articles sur les différentescolonias; publicité pour des étab-lissements commerciaux tenus par des Mexicains-Américains — garages, essentiels pour des gens amenés à se déplacer très souvent, boulangeries, qui acceptent les bons alimentaires du gouvernement et proposent pains et gâteaux mexicains, restaurants, cafétérias et discothèques —, pour des groupes musicaux et des films. La politique locale occupe aussi une place de choix. La participation de l’organisation au développement des pro-grammes de lutte contre la pauvreté qui sont peu à peu mis en place, dans la vallée, et dans le reste du Texas, l’ancre davantage encore dans la com-munauté hispanique1.

1. Extraits de :La Voz del Cuhamil ; Ya Mero !(Voir documents annexes, figure 2 p. 372 à 12 p. 382)

La « Grande Société » en milieu rural : les