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Le travail social d’aujourd’hui : une pratique soumise à des influences multiples 14

CHAPITRE 2 – LA COULEUR DISCIPLINAIRE DE CETTE THÈSE 9

2.3   Le travail social d’aujourd’hui : une pratique soumise à des influences multiples 14

Selon Payne (2005), un théoricien du travail social moderne, le travail social est un produit du modernisme parce qu’il se veut une solution de remplacement au rôle séculaire joué par les églises catholiques en matière de bien-être depuis le moyen-âge. Pour Payne, trois idées distinguent nettement la conception du bien-être promue par le travail social versus celle des églises chrétiennes : l’idée qu’il est possible de comprendre et d’étudier les problèmes sociaux d’une société donnée et de les résoudre par des actions rationnelles; l’idée qu’il est possible de développer par la recherche une compréhension des changements nécessaires au bien-être des humains et des sociétés et, à partir des connaissances développées, décider des solutions à mettre en place pour provoquer ces changements tant au plan individuel que de la société; enfin, l’idée qu’il est possible d’appuyer ses actions sur des théories fondées sur des preuves découlant de l’observation du monde ambiant.

Selon Payne (2005), le travail social est un produit du modernisme parce que le travail social est une construction sociale, c’est-à-dire le produit d’une société, de son histoire, de ses valeurs et des idées, des différents contextes ayant marqué l’histoire de cette société, ainsi que de l’interaction et des rapports de pouvoir entre les différents acteurs individuels, collectifs et institutionnels de cette société

15 donnée. Selon cet auteur, le travail social tel qu’il s’est développé dans les pays riches comme les États-Unis, le Canada, l’Angleterre et l’Australie, s’est construit et continue de se construire, tant au plan théorique que pratique, dans trois arènes : l’arène sociale, politique et idéologique où l’on débat des solutions et des politiques devant servir de guide à la pratique du travail social, l’arène des employeurs et des professionnels où s’affrontent les associations respectives de chacun de ces acteurs sur la pratique du travail social, et l’arène des travailleurs sociaux et des clients où les citoyens influencent le développement du travail social de différentes façons : par leur utilisation ou non des services offerts, par leur perception des travailleurs sociaux, par les besoins qu’ils expriment, etc.

Toujours selon Payne (2005), la vision politique du travail social (politics of social work) est un autre facteur qui influence la construction sociale du travail social tant sur le plan de la pratique que de la théorie. Il existe selon lui trois grandes visions ou perspectives du travail social : la vision réflexive- thérapeutique, la vision socialiste-collectiviste et la vision individualiste-réformiste.

Selon la vision « réflexive-thérapeutique », il est possible d’améliorer le mieux-être des individus, des groupes et des communautés par la croissance et l’accomplissement de soi. Cette vision valorise une intervention individuelle fondée sur une interaction en spirale entre un individu et un travailleur social. Au cœur de cette vision, l’intervention vise à renforcer le pouvoir personnel d’un individu tant sur l’estime de lui-même que sur son projet de vie afin de lui permettre de surmonter les obstacles à l’origine de sa souffrance. Cette vision exprime une philosophie politique de type démocratique du travail social où développement économique et social va de pair avec une amélioration individuelle et sociale. Dans cette vision du travail social, le changement est d’abord personnel. Les fondements de cette vision pour comprendre les problèmes sociaux s’alimentent principalement auprès des théories suivantes : psychodynamique, humaniste, existentialiste et spirituelle. Sur le plan de l’intervention, cette vision privilégie l’intervention en situation de crise.

Selon la vision « collectiviste-socialiste » l’oppression et les inégalités sont le résultat de l’appropriation par les élites du pouvoir et de la richesse à leurs propres fins. Pour mettre fin à ces oppressions et inégalités, l’intervention privilégie d’abord de renforcer le pouvoir des groupes opprimés en leur permettant de créer leurs institutions par un processus où ils sont au cœur de celui- ci et où il est possible de faire des apprentissages, de vivre de la coopération et des rapports égalitaires. Cette vision exprime une philosophie de type socialiste privilégiant l’économie planifiée et

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la protection sociale au nom de l’égalité et de la justice sociale. Dans cette vision du travail social, le changement est d’abord collectif et social. Les principales théories explicatives des problèmes sociaux sont les théories critiques radicales s’inspirant du marxisme, de la conscientisation, du féminisme et de l’antidiscrimination. Sur le plan de l’intervention, l’empowerment (le développement du pouvoir d’agir) et la défense des droits sont les deux modèles privilégiés.

Selon la vision « individualiste-réformiste » le travail social est un des éléments des services développés dans une société donnée pour protéger et aider les individus traversant un moment difficile dans leur vie personnelle. L’intervention ne vise pas à contester l’ordre social, mais à éviter qu’un individu vivant des difficultés ne s’enfonce dans celles-ci. Cette vision du travail social exprime donc une philosophie politique libérale et rationnelle selon laquelle la meilleure façon d’organiser la société est de favoriser, par les lois, la liberté personnelle et l’économie de marché. Dans cette vision du travail social, le changement vise l’adaptation constante des politiques sociales et des services sociaux aux besoins des individus en difficultés dans une perspective de maintien de l’ordre social. La compréhension des problèmes sociaux dans cette vision du travail social s’inspire principalement des trois théories suivantes : la théorie du développement social, la théorie systémique et la théorie cognitive et comportementale. L’approche centrée sur les solutions est le modèle d’intervention privilégiée dans cette vision du travail social.

Selon Payne (2005), s’il existe trois visions du travail social, cela ne veut pas dire toutefois que les pratiques sur le terrain se limitent à l’une ou l’autre de ces trois visions. Comme celles-ci ne sont pas complètement contradictoires, il existerait plutôt sur le terrain des arènes du travail social une multitude de pratiques s’inspirant de l’une, de l’autre ou de plusieurs de ces visions.

Comme la pauvreté est l’un des problèmes sociaux auxquels le travail social cherche à s’attaquer, on peut conclure, à partir des travaux de Payne, qu’il existe aujourd’hui dans les arènes du travail social au moins trois visions du problème de la pauvreté: l’une insiste sur les causes individuelles (les manques et les incapacités) et privilégie une intervention individuelle et thérapeutique; l’autre fait ressortir les causes structurelles (les inégalités), privilégiant une intervention collective fondée sur le renforcement du pouvoir des groupes opprimés et visant des changements sociaux, et, enfin, une dernière vision met l’accent sur les conséquences de la pauvreté (les besoins) et privilégie une intervention axée sur la mise en place de politiques et de services visant à limiter ces conséquences sans questionner l’ordre social.

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