• Aucun résultat trouvé

Un sixième paradigme : l’oppression résultant de l’ordre de genre 73

CHAPITRE 3 – POSTURE ET ATTITUDE 21

3.4   Les théories et concepts centraux de cette thèse 26

3.4.5   Le genre 68

3.4.5.7   Un sixième paradigme : l’oppression résultant de l’ordre de genre 73

En 2001, la sociologue Caroline New, publiait dans la revue Sociology un texte intitulé « Oppressed and Oppressors? The Systematic Mistreatment of Men » où elle propose l’existence d’une oppression de genre dont les hommes et les femmes seraient victimes. Selon New, bien qu’il soit sous-théorisé, il existe dans la sociologie sur le genre deux principales définitions : une définition subjectiviste liant l’existence d’une oppression à la conscience d’un groupe d’être victime d’une oppression; la définition objectiviste ou réaliste, quant à elle, lie l’existence d’une oppression à l’existence d’une relation antagonique entre deux groupes : celui qui en tire des bénéfices et celui qui en subit les désavantages. Plusieurs auteurs se référant à cette définition mettent l’accent sur le jeu à somme nul (zero-sum) de ce rapport où les bénéfices des oppresseurs résultent de pertes chez les opprimés. D’autres auteurs font ressortir le caractère social et institutionnalisé des rapports d’oppression ne nécessitant pas nécessairement l’existence d’un groupe oppresseur.

New (2001) considère les deux définitions insatisfaisantes : pour elle la définition subjectiviste ne tient pas compte que la subjectivité est une construction sociale; et la définition réaliste présume quant à elle que tous les membres du groupe oppresseur en tirent des avantages alors qu’à l’intérieur de ce groupe certains peuvent n’en tirer aucun bénéfice et être même désavantagés. Voilà pourquoi elle propose une définition structurelle de l’oppression

74

A group X is oppressed if, in certain respects, its members are systematically mistreated in comparison to non-Xs in a given social context, and if this mistreatment is justified or excused in terms of some alleged or real characteristic of the group. (New, 2001: 731)

visant à permettre d’enrichir le concept d’oppression à somme nulle et d’y inclure des dimensions spécifiques à certains groupes, notamment les hommes et les femmes. Dans cette définition, il y a trois concepts clés : le concept de « systematically mistreated » soit que l’oppression est le résultat de pratiques sociales institutionnalisées; celui « in comparison to non-members » c’est-à-dire qu’un groupe X peut-être l’oppresseur sous plusieurs dimensions et dans un contexte social spécifique d’un groupe non-X, mais ce même groupe non-X peut-être opprimé sous d’autres aspects; et enfin le concept « justified or excused » voulant que la condition du groupe opprimé est légitimée par un traitement moins humain ou plus sévère et ne requérant pas de mesures particulières pour améliorer la condition de ce groupe.

Puis, New applique cette définition à la compréhension de l’oppression des femmes, et compare celle-ci aux théories de deux penseurs de l’école des masculinités, Connell et Messner, qui selon cette école, utilisent une définition de l’oppression de genre de jeu à somme nulle, où les hommes sont considérés comme un groupe oppresseur et les femmes le groupe opprimé par celui-ci. New s’inspire de sa définition de l’oppression de genre et des travaux menés par Pleck et d’autres auteurs démontrant l’existence d’une construction culturelle de l’identité des garçons et des hommes ayant pour conséquence d’inhiber le développement de leur plein potentiel humain, notamment de limiter le registre d’expression des émotions, la capacité d’empathie et le rapport à l’intimité. De plus, New interprète ces résultats comme étant un « mistreatment » des hommes résultant de la construction sociale de l’ordre de genre. Pour New,

[…] the social construction of such constricted selves does indeed produce subjects who can function well in capitalist, patriarchal organisations and who can take their places as agents of women’s oppression, nevertheless men’s loss of powers and the evidence of their suffering makes this mistreatment, and therefore oppression. (New, 2001: 740)

Puis, s’appuyant sur les travaux de féministes indiquant que les modèles de la « féminité » proposés aux femmes constituent une contrainte à leur épanouissement parce qu’ils limitent les options possibles, New avance qu’il existe des modèles de « masculinité » limitant également le plein développement des hommes :

75 Even if the subject retains ideas of their greater capacities and nature, they are adversely affected by being treated as other than what they are. It is hurtful to reduce women to their reproductive organs, or to interact with them while ignoring their subjectivity – girls’ development, women’s capacity to flourish, are arguably damaged by such practices (Miller 1978). Similarly, to treat males as ‘hands’ or ‘guns’ (or even ‘officers’), as disposable bodies, or as naturally violent, is a form of mistreatment likely to damage their development and relationships. If this is granted, when institutionalised such misrepresentations constitute a form of oppression. Further, masculinities are used to justify material practices which injure men, and to deny or to pathologise the resulting injuries (such as ‘shellshock’). (p.740)

Puis, à partir des travaux réalisés sur les masculinités, l’auteure en arrive au constat que bien que les hommes bénéficient d’une position de pouvoir de privilégié dans la société et qu’ils constituent comme groupe des agents oppresseurs des femmes, il existe un « systematic mistreatment of men » lorsqu’on prend en considération la place occupée dans la division du travail, la famille et comme citoyen par certains groupes d’hommes. Selon New, dans les pays riches, les hommes sont confrontés à quatre contraintes systémiques.

La première contrainte est celle d’être réduit à une force de travail soumis au but de l’organisation (tout particulièrement dans une société capitaliste) et obligé de faire du surtravail payé ou non au nom de l’idéologie de l’homme pourvoyeur ou gagne-pain et la peur du chômage (Willott and Griffin 1996, cité dans (New, 2001). Ce surtravail se retrouve principalement chez les hommes des classes moyenne et supérieure, alors que les emplois difficiles, dangereux et épuisants sont plutôt le lot des hommes de la classe ouvrière. Les valeurs de la force et de l’endurance véhiculées par l’idéologie masculine encouragent les hommes à accepter et à subir les effets destructeurs de ces conditions de travail et de leurs conséquences sur leur santé.

Une deuxième contrainte à laquelle les hommes sont soumis selon New, est celle d’être encouragé à tuer ou à être tué selon certaines circonstances en étant au service d’institutions de la nation, l’armée ou la police, sous peine, parfois, d’être pénalisé. Lorsqu’il y a des conflits, beaucoup d’hommes sont tués, injuriés et traumatisés par la guerre. Toutefois, ces formes de violence sont plutôt banalisées et ignorées, car celles-ci sont associées à la nature agressive et violente des hommes. Pour New, la mort et les blessures imposées aux hommes par la guerre, bien que considérées comme étant des conséquences normales de la guerre, sont une injustice qui devrait susciter l’indignation autant que la mort et les blessures imposées aux civils, notamment les femmes et les enfants.

76

La troisième contrainte à laquelle les hommes sont soumis, est, toujours selon New, celle d’être criminalisés plus facilement pour certains types de crime (notamment l’homosexualité) et plus durement lorsque condamnés à l’emprisonnement. Selon New, le système de justice criminel contribue à reproduire l’ordre de genre, ainsi que les classes sociales et les inégalités ethniques. Lorsqu’ils sont emprisonnés, les hommes sont plus souvent isolés, objectivés et considérés comme mauvais et dangereux. Plusieurs se suicident. Les violences entre détenus sont tenues pour acquises, acceptées ou punies par l'isolement, la privation et la violence officielle (Toch 1998, cité dans (New, 2001).

Enfin, dernière contrainte à laquelle les hommes sont soumis selon New, ces derniers vivent un problème de santé mentale sans que celui-ci soit diagnostiqué. Selon New, la souffrance ainsi que les problèmes de stress et de santé mentale se vivent de façon différente entre les hommes et les femmes. En présence de tels problèmes, les hommes auront plutôt tendance à recourir à l’alcool, à la drogue et au suicide :

Alcohol is often used by young working-class men as a compensation for exclusion from means of consumption, and by men of all classes as a means of escape from overwork, injuries and ill-health. Large numbers of men become dependent on these substances and impaired by their misuse (New, 2001: 743).

Les femmes, quant à elles, auront plutôt tendance à recourir aux psychotropes (Busfield 1996, cité dans (New, 2001).

En conclusion, New affirme que les hommes sont aussi opprimés par l’ordre de genre; que celui-ci a besoin d’eux comme agent oppresseur des femmes. Toutefois, pour celle-ci, il y a un prix à payer pour que les hommes deviennent des agents oppresseurs des femmes : être privés de leurs émotions, de leur capacité d’empathie et de leur intimité. Pour New il y a donc pour les hommes un intérêt objectif à se mobiliser pour contester l’ordre de genre. Enfin, les femmes et les hommes ont intérêt à faire alliance dans la contestation de l’ordre de genre et cette alliance est possible autour d’un projet d’émancipation fondée sur l’empathie et la réponse aux besoins de toutes et de tous. Selon Turcotte (2002), en accord avec New, l’oppression de l’ordre de genre impose aux hommes, par le biais de deux opérateurs culturels que sont l’homophobie (la peur de ne pas être différent de l’autre sexe) et le sexisme (le masculin est supérieur au féminin, socialement perçu comme faible), l’adoption de rôles sociaux proscrits et punis (par exemple, être homosexuel), et de rôles sociaux non

77 proscrits et récompensés (par exemple, être pourvoyeur, travailleur, protecteur). Toujours selon cet auteur, cette socialisation de genre s’exerce par la contrainte et prive les hommes d’une partie de leur humanité (non expression des émotions, la peur de l’intimité, l’isolement affectif et la non- demande d’aide).