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À l’échelle internationale 103

CHAPITRE 4 – PERTINENCE SOCIALE DU LIEN PAUVRETÉ ET MASCULINITÉS 81

4.2   Que savons-nous sur les liens entre pauvreté et masculinités 100

4.2.2   À l’échelle internationale 103

Étant donné le peu de recherche existant au Québec sur le sujet de la présente thèse, nous avons consulté la littérature produite ailleurs dans le monde dans le champ des « men’s studies ». Aux fins de cette recherche, nous avons consulté la base de données « PubMed » en utilisant les mots clés suivants : « gender and poverty », « gender and social class » et « gender and socioeconomic status ». Grâce à ces mots clés, il a été possible de consulter le sommaire d’un millier d’articles. Parmi ceux consultés, une dizaine d’articles ont fait l’objet d’une lecture plus approfondie pouvant avoir un lien direct avec notre objet de recherche. De ce nombre, six articles n’étaient pas nécessairement pertinents pour notre objet de recherche. Trois articles confirmaient l’existence d’un lien entre le statut socioéconomique ou la classe sociale et l’espérance de vie des hommes pauvres (Barnett, et coll., 1997; Smith, et coll., 1996; Steenland, et coll., 2004). Finalement, deux autres articles faisaient état de travaux de recherche s’étant intéressés à ce lien entre pauvreté et masculinités. Voici ce que nous avons retenu du contenu de chacun de ces deux articles.

4.2.2.1 Perception de la masculinité chez un groupe de chômeurs de longue durée

Au début des années 1990, dans la région de West Midlands en Angleterre, une région ayant un fort taux de chômage et de privation sociale à l’époque, Willot et Griffin ont réalisé une recherche auprès d’un groupe d’hommes sans emploi de longue durée (avoir été en chômage depuis au moins deux ans) afin de connaitre, à partir d’une analyse de leurs discours, leur perception de la masculinité. S’inscrivant dans une perspective féministe postructuraliste de construction du genre, de l’existence d’une pluralité de masculinités (Butler, 1990, cité dans (Willot & Griffin, 1997)), dont une masculinité hégémonique et de masculinités subordonnées (Connell, 1995, cité dans (Willot & Griffin, 1997), leur recherche vise à comprendre comment des hommes sans emploi, privés en partie ou en totalité des principaux attributs de la masculinité hégémonique (rôle de pourvoyeur de la famille, consacrant une bonne partie de son temps à l’extérieur du foyer familial, et ayant une grande liberté de mouvement entre l’espace public et l’espace domestique) composaient avec cette réalité. Pour mener à bien leur recherche, des groupes de discussion non structurés ont été menés avec des chômeurs de longue durée soumis par le service d’emploi à un cours obligatoire de deux semaines. Cinq groupes-cours ont été sollicités pour participer à la recherche : un seul groupe-cours a refusé d’y participer. En tout, 36 hommes et deux femmes ont participé aux quatre groupes-cours de discussion. Soulignons qu’à

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l’étape de l’analyse, seulement le contenu des discours tenus par les hommes a été considéré. Les résultats de l’analyse du discours de ces hommes sans emploi ont permis d’en apprendre davantage sur les dimensions suivantes : la vision de leur rôle, leur conception d’un bon travail, les contraintes découlant de leur statut de sans-emploi, les conséquences de leur plus grande présence dans la sphère domestique et les stratégies privilégiées pour survivre.

Vision de leur rôle

Selon les auteurs, l’analyse du discours des hommes rencontrés révèle que ceux-ci ont une vision traditionnelle de leur rôle : soit celui de pourvoyeur pour la famille et de consommateur dans l’espace public (Willot & Griffin, 1997: 114). Une conception traditionnelle de la division sexuelle du travail confinant les hommes dans la sphère publique du marché du travail et les femmes dans la sphère domestique (la famille et les enfants) (Willot & Griffin, 1997: 115). Une vision du « bon père de famille » comme étant celui qui réussit à subvenir aux besoins de sa femme et de ses enfants. Leur perception d’un bon travail

Les hommes rencontrés définissent un bon emploi comme étant celui qui permet à la fois de satisfaire les besoins matériels de la famille, de se payer des sorties au « pub », mais aussi de payer aux membres de la famille des gâteries, des cadeaux, et des vacances (Willot & Griffin, 1997: 116). Les contraintes découlant de leur statut de sans-emploi

En raison de leur statut de chômeur, les hommes rencontrés expriment qu’ils vivent une tension entre les deux rôles suivants : celui de subvenir aux besoins de leur famille et celui de se payer des sorties dans la sphère publique (Willot & Griffin, 1997: 117). Pour plusieurs hommes rencontrés, leur statut de chômeur constitue une contrainte à l’exercice de leur masculinité, notamment celle de répondre aux besoins de leur épouse perçue d’abord comme consommatrice de biens. Par exemple, l’un des participants rencontrés partagera avoir mis un frein à un projet de mariage parce que ne pouvant pas subvenir aux besoins d’une famille en raison du peu de revenus que procurent les allocations de chômage (Willot & Griffin, 1997: 118). Conscient des préjugés liés à leur statut, les hommes rencontrés refusent d’être étiquetés de paresseux ou de fraudeurs. (Willot & Griffin, 1997: 119). Ils se sentent également sous haute surveillance des agents de l’État qui peuvent à tout moment se présenter au domicile familial pour vérifier leur situation (Willot & Griffin, 1997: 120).

105 Les conséquences de leur plus grande présence dans la sphère domestique

La sphère domestique autrefois un lieu de refuge hors du marché du travail, devient, en situation de chômage, comme une prison où ils se sentent surveillés et qu’ils ont encore plus envie de fuir, mais dont ils sont de moins en moins capables. Elle devient aussi un lieu de tension dans le couple, les femmes, habituées d’exercer le pouvoir dans cette sphère, n’abandonnent pas nécessairement celui- ci pour le partager avec les hommes. (Willot & Griffin, 1997: 121)

Les stratégies privilégiées pour survivre

En réaction à leur situation de chômage, les hommes rencontrés privilégient davantage des stratégies individuelles de survie (notamment le travail au noir), un travail souvent sous-payé, ennuyeux, précaire et dangereux (MacDonald, 1994, cité dans (Willot & Griffin, 1997) plutôt que pour des stratégies d’actions collectives et coopératives. (Willot & Griffin, 1997: 122-123)

La masculinité hégémonique : une vision difficile à déconstruire

En conclusion de leur étude, les auteures constatent que si le chômage de longue durée a contribué dans les années 1980 et 1990 en Angleterre à une crise de la masculinité hégémonique celle-ci est demeurée résistante au changement, contribuant même à l’émergence d’un discours antiféministe (Willot & Griffin, 1997: 122).

4.2.2.2 Hommes, masculinités et pauvreté en Grande-Bretagne

En 2002, Oxfam Grande-Bretagne (GB) publiait un ouvrage ayant pour titre Men, masculinities and poverty in the UK (Ruxton, 2002). Par cette étude, Oxfam Grande-Bretagne (GB) qui a fait sienne l’analyse différenciée selon le genre visait à trouver des réponses aux trois questions suivantes : qui sont les hommes touchés par la pauvreté et dans quelles circonstances? quelles sont les organisations qui travaillent auprès des hommes et quelle est leur compréhension de l’analyse de genre? quels liens existe-t-il entre genre et pauvreté? Voici maintenant les principales conclusions de cette étude.

Si en général les femmes vivent davantage dans la pauvreté que les hommes en Grande-Bretagne, une des premières conclusions de l’étude indique que certains groupes d’hommes sont davantage

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touchés par la pauvreté, notamment les hommes sans emploi ou inactifs économiquement. Parmi ceux-ci, les hommes âgés entre 50-64 ans et ceux ayant entre 30-40 ans ont des taux de chômage beaucoup plus élevés que les autres groupes d’âge. De plus, les hommes appartenant à des minorités ethniques, notamment ceux d’origine caribéenne et africaine, ont des taux de chômage beaucoup plus élevés que les hommes blancs.

En matière de santé, au cours des 20 dernières années, l’espérance de vie des hommes est généralement inférieure à celle des femmes et les taux de mortalité chez les hommes sont également supérieurs à ceux des femmes, surtout parmi les populations les plus pauvres. Depuis 1990, les hommes, tout particulièrement les hommes pauvres et les hommes issus de minorités ethniques, sont de plus en plus affectés par les problèmes de santé suivants : maladies du cœur, cancer de la prostate, abus d’alcool et suicide.

Bien que la position des hommes en Grande-Bretagne demeure meilleure que celle des femmes sur le marché du travail, on constate depuis 1980 que la position relative de ceux-ci s’est détériorée comparativement à celle des femmes, notamment en raison du recul des industries traditionnelles. Les jeunes hommes, les hommes des minorités ethniques et les hommes âgés sont plus particulièrement affectés par ce recul. D’autre part, l’étude révèle que les hommes âgés sont plus affectés par des problèmes de santé chronique et d’incapacité que les jeunes. Beaucoup de ces problèmes sont attribuables à un environnement de travail dangereux et mauvais pour la santé lors de l’emploi antérieur.

Sur le plan des programmes d’aide à l’emploi développés pour lutter contre la pauvreté, le rapport d’Oxfam GB (Ruxton, 2002) constate que ceux-ci ne tiennent pas compte de la dimension de genre. Pourtant, selon les auteurs de l’étude, les stéréotypes constituent une barrière importante pour la participation des hommes à ce type de programme. Par exemple, les hommes âgés auraient beaucoup de résistance à participer à ces programmes pour différentes raisons : peur de vivre un nouvel échec parce que cela ne correspond pas au rôle dominant de l’homme pourvoyeur et parce qu’ils font face à des problèmes de santé ou à une incapacité. Les jeunes hommes quant à eux percevraient ces programmes comme ne correspondant pas au modèle de l’homme « macho ». Quant à l’intervention des organismes venant en aide aux hommes, l’étude d’Oxfam GB a interrogé les intervenants de 28 organisations d’aide travaillant auprès des hommes soit en violence, en

107 paternité, en santé des hommes et en aide à l’emploi afin d’évaluer si l’analyse différenciée selon le genre (ADG) était un cadre d’analyse pris en considération sur le plan de l’intervention auprès des hommes. Bien que l’échantillon était restreint et non représentatif de la diversité des groupes travaillant auprès des hommes en Grande-Bretagne, les auteurs de l’étude affirment que les résultats de l’analyse de ces 28 entrevues « provide a solid basis for clear conclusions and recommendations about the direction that work with men should take, it is to have a positive impact on poverty and social exclusion » (Ruxton, 2002: 97). Bien que la plupart des organismes travaillant auprès des hommes n’utilisent pas l’analyse différenciée selon le genre, l’étude constate que celle l’utilisant a donné lieu à de nouvelles pratiques ayant eu des impacts positifs pour combattre la pauvreté et l’exclusion des hommes pauvres. Voilà pourquoi l’une des principales recommandations de l’étude est de mieux faire connaître l’ADG dans les organismes qui travaillent auprès des hommes et, de façon plus large, que l’ADG devienne un cadre d’analyse tant pour l’analyse et le développement des politiques publiques que pour le recrutement et la formation du personnel.

En ce qui concerne la pauvreté des hommes, l’étude recommande que celle-ci devienne une cible dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Comme la pauvreté des hommes a souvent un lien avec les problématiques de santé, de violence, de paternité et de chômage, les auteurs proposent d’utiliser ces problématiques comme autant de portes d’entrée pour rejoindre les hommes pauvres. Toutefois, les auteurs de l’étude précisent que l’intervention développée dans ces domaines devrait être adaptée afin d’inclure et d’ébranler les stéréotypes rattachés à la masculinité traditionnelle, notamment la peur de l’échec, une faible estime de soi-même, l’isolement et la fermeture émotionnelle, sources d’angoisses profondes et obstacles à un processus de reprise de pouvoir sur sa vie.

4.3 Synthèse des connaissances sur les hommes en situation de pauvreté