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Des parcours d’hommes en situation de pauvreté sous l’influence de la

CHAPITRE 4 – PERTINENCE SOCIALE DU LIEN PAUVRETÉ ET MASCULINITÉS 81

4.1   Connaissances sur les hommes en situation de pauvreté 81

4.1.6   Des parcours d’hommes en situation de pauvreté sous l’influence de la

Entre 2002 et 2006, De Koninck (2008) mène une recherche sur les inégalités de santé en milieu de vie sur trois territoires de la région de Québec. Cette recherche fait ressortir la présence d’écarts appréciables au sein de deux sous-populations : les familles monoparentales ayant de jeunes enfants et les hommes de 45 à 64 ans d’un quartier urbain. Une seconde étude qualitative a été

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menée auprès de ces deux sous-groupes afin de repérer les facteurs structurels et sociaux pouvant être en jeu dans la production de ces inégalités dans la région de Québec. Les résultats de cette seconde étude, notamment ceux sur les hommes de 45-64 ans ont été présentés dans un article paru en 2012 et intitulé « Inégalités de santé et parcours de vie : réflexions sur quelques déterminants sociaux de l’expérience d’hommes considérés comme vulnérables » (Roy, De Koninck, Clément, & Couto, 2012). Parmi les résultats présentés dans cet article, nous nous sommes plus particulièrement attardés à ceux portant sur les parcours de travail, de santé, de résidence et l’évolution des liens sociaux.

Concernant les parcours de travail, la recherche nous apprend que

Le travail apparaît, en effet, comme une valeur dominante dans presque tous les récits recueillis. L’école est abandonnée rapidement et l’inscription sur le marché du travail suit immédiatement, souvent encouragée par les parents. Les hommes endosseront dès lors le rôle de pourvoyeur. (Roy, et coll., 2012: 41)

La majorité des hommes rencontrés ont eu plusieurs emplois au cours de leur vie. Seuls cinq sur vingt-quatre ont toujours travaillé dans le même domaine. Parmi les hommes rencontrés, quatre hommes ont dit avoir été victime d’accidents de travail dans leur parcours, dont un ayant mentionné avoir été victime d’épuisement professionnel. Selon les auteurs de l’étude, l’importance accordée au rôle de pourvoyeur par les hommes fait écho à ce que d’autres ont déjà mis en lumière en ce qui concerne la génération des hommes rencontrés :

En 1982, O’Neil affirmait que le travail et la carrière d’un homme étaient perçus, par les hommes eux-mêmes et par la société dans son ensemble, comme la mesure « étalon » de sa masculinité (succès, compétence, accomplissement). L’importance que les hommes accordaient au travail et au revenu qui l’accompagne pour se garantir possessions et sécurité constituait ce qu’O’Neil (1982) appelait le « syndrome du pourvoyeur ». En milieu de pauvreté à plus forte raison, l’homme pourvoyeur était le modèle de l’accomplissement de soi masculin. Les chercheurs australiens Paris et Vickers (2010) estiment que, encore aujourd’hui, dans plusieurs cultures occidentales, l’homme a toujours un rôle de pourvoyeur et que son entourage s’attend à ce qu’il subvienne aux besoins de sa famille. (Roy, et coll., 2012: 47)

Sur le plan de la santé, les auteurs de l’étude ont constaté que certains ont eu des traumatismes, d’autres subis des opérations, que certains souffrent de maladies chroniques (diabète, problème cardiaque). Mais c’est leur santé mentale qui les préoccupe le plus. La santé mentale se dégage en effet comme un lieu d’expériences difficiles pour plusieurs participants. Certains ont été confrontés

99 dans leur entourage (père, mère, frère) à des problèmes de maladie mentale qui les ont rejoints et qui ont marqué leur trajectoire. Les comportements de dépendance à l’alcool ou aux drogues sont ressortis dans au moins dix récits. Pour deux participants, cependant, ces épisodes sont circonscrits à leur jeunesse. Huit participants ont mentionné explicitement avoir vécu des épisodes de dépression. D’autres ont raconté avoir eu besoin d’aide à un moment ou l’autre. Le suicide est aussi une réalité évoquée dans les propos des hommes. Deux participants ont raconté avoir tenté de se suicider et quatre autres avoir été des témoins proches d’un suicide ou d’une tentative de suicide d’une mère ou de collègues de travail. Pour certains participants de cette recherche, leur parcours de santé a été marqué par de la violence. Deux participants ont mentionné avoir été victimes de violence et d’abus et plusieurs autres ont parlé de violence dans leur enfance : l’un a raconté avoir subi plusieurs viols, un autre a rapporté que sa mère a émis l’hypothèse qu’il ait été violé alors qu’il n’avait que quatre ou cinq ans; un participant a mentionné que son père était violent, un autre aurait été maltraité par ses frères au point de quitter la maison et deux disent avoir été victimes de violence à l’école, enfin, un participant a été témoin de la violence psychologique exercée par son père sur sa mère.

Concernant les parcours résidentiels, l’accès au logement est une question soulevée par les participants, principalement par ceux dont la situation financière se révèle précaire. « Dans les récits, l’accès au logement décent est évoqué comme un luxe, une chance ou un privilège. Cela s’avère particulièrement fondé pour les chambreurs pour qui un tel logement semble hors de portée » (Roy, et coll., 2012: 43). De plus, les « récits confirment en effet l’importance de l’accès au logement lors des périodes de fragilisation. Un des participants a, par exemple, raconté comment l’accès à un logement social avait déterminé sa trajectoire et celle de sa famille, leur offrant de la sécurité alors que ses enfants fréquentaient l’école. Pour cet homme, sans cette option, la situation se serait dégradée » (Roy, et coll., 2012: 42). Ce résultat confirme donc ce qui a été constaté dans d’autres études à savoir « qu’un logement stable constitue un déterminant social important qui a un impact sur la santé (Laurence, 2010, cité dans (Roy, et coll., 2012) et que l’accès à un logement permet d’alimenter et de soutenir un processus d’amélioration des conditions sociales et psychologiques (Halpern, 1995, cité (Roy, et coll., 2012)). »

Concernant le thème des liens sociaux, l’étude révèle que les hommes, de manière générale, ont relativement peu d’amis, car aucun d’entre eux n’a fait le récit d’une amitié profonde et actuelle. Il

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s’agit plutôt de liens de camaraderie. Sur le plan social, les hommes apparaissent donc plutôt seuls. Lorsqu’il y a présence de confident, c’est la conjointe, le plus souvent, qui assume ce rôle. Cette grande solitude correspond d’ailleurs aux déficits de l’intimité masculine constatés dans la littérature des années 1970 selon laquelle

[…] l’amitié masculine est exceptionnelle et que l’intimité est une expérience rare parmi les hommes américains. Certes, ces derniers forment un large réseau social, mais ils n’ont pas d’amis intimes comme à l’adolescence. (Levinson, 1978 : 335, cité dans (Dulac, 2003: 13).

Toutefois, cette solitude a quelque chose d’alarmant pour les auteurs de cette étude, car « dans sa forme la plus intense, elle contribue aux passages à l’acte suicidaire. Si les liens sociaux sont indispensables à la résilience, cet isolement des hommes, qui semble peu évoluer à travers le temps, ne peut qu’être déploré » (Roy, et coll., 2012: 49).

Sur la base des résultats mentionnés précédemment, Roy et coll. (2012) en arrivent à l’une des conclusions suivantes, soit que :

[…] la situation de défavorisation dans laquelle [les hommes] se retrouvent et les problèmes de santé éprouvés semblent être les résultats d’une construction sociale dans laquelle leurs représentations de la masculinité jouent un rôle déterminant. Véritable entrave à l’expression d’émotions, au développement de liens sociaux, les rôles masculins traditionnels sont souvent source de colère ou d’insatisfactions face à une vie qui ne permet pas de répondre à ses aspirations ni aux attentes des autres. (Roy, et coll., 2012: 49-50)