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Travail documentaire des professeurs

Dans le document Td corrigé Version de travail - Educmath pdf (Page 182-185)

Ressources du professeur et action didactique

15.4. Travail documentaire des professeurs

En nous situant dans le cadre de l’approche documentaire (Gueudet et Trouche Chap. 3), nous pouvons considérer l’élaboration des projets de séance par les professeurs comme un travail documentaire consistant à exploiter un ensemble des ressources à leur disposition (dont la copie d’élève et l’ensemble des problèmes). Les suites de problèmes proposés par les professeurs (qui sont de nouvelles ressources composées d’un ensemble des ressources sélectionnées, adaptées, modifiées…), si elles sont associées à un schème d’utilisation, pourront être vues comme des documents né de processus de genèses documentaires. Comme le précisent Gueudet et Trouche (ibid.), «[c]’est sur le temps long qu’on peut vraiment comprendre les genèses, repérer des trajectoires, situer des schèmes, identifier des invariants opératoires ». Cependant, il nous semble possible d’observer, dans l’élaboration de projets de séance, des genèses et la naissance de schèmes. D’après les auteurs (ibid.) « [u]n schème d’utilisation comporte en particulier des règles d’action et des invariants opératoires qui sont ici des connaissances professionnelles […] des professeurs » (ibid.). Essayons donc de dégager des éléments de genèses documentaires des deux professeurs. Comme le travail documentaire est toujours lié à une classe de situations, nous considérons que la classe de situations concernée est « concevoir un projet de séance relatif à la symétrie orthogonale ».

Nous avons vu que les professeurs n’ont pas exploité la copie d’élève de la même manière. Prof1 en a fait une analyse approfondie lui permettant d’identifier aussi bien des connaissances erronées à l’origine des réponses incorrectes, que des connaissances correctes. Le résultat de cette analyse a influencé de manière considérable son projet de séance puisque, comme on l’a vu (§ 15.3.1), les décisions didactiques de ce professeur visaient en particulier la déstabilisation des contrôles sous-jacents aux connaissances erronées et le renforcement de ceux sous-sous-jacents aux connaissances correctes. Il en résultait un projet adapté aux difficultés de l’élève. Prof2, qui n’a repéré dans la copie que des résultats erronés qu’il a attribués aux manques de connaissances, a proposé un projet de séance plutôt générique, s’adressant à un élève en début de l’apprentissage de la symétrie orthogonale. Face à une copie d’élève, les professeurs semblent donc mettre en œuvre des règles

d’action différentes. Pour Prof1, nous pouvons considérer la règle d’action « identifier, dans une copie d’élève, les connaissances, correctes et erronées, qui relèvent du savoir à enseigner », dont nous pouvons inférer un invariant opératoire « l’enseignement doit prendre en compte les connaissances de l’élève ». Cet invariant est lié à la pratique préconisée par l’institution scolaire, comme en témoigne l’extrait des programmes du collège (ressource au niveau +3) : « L’enseignement prend en compte les connaissances antérieures des élèves : mise en valeur des points forts et repérage des difficultés de chaque élève à partir d’évaluations diagnostiques »31. Dans le cas de Prof2, la règle d’action pourrait être « dans une copie d’élève, relever les réponses erronées » et un invariant opératoire sous-jacent

« comme les réponses erronées traduisent le manque de connaissances chez l’élève, il faut recommencer l’enseignement à zéro ». Par ailleurs, l’analyse d’une copie suppose, chez le professeur, des connaissances didactiques lui permettant d’identifier les erreurs et leur origine (-1).

Les projets de séance devaient s’appuyer sur un ensemble des problèmes fourni aux professeurs.

Analyser ces problèmes, en sélectionner certains pour les intégrer dans le projet de séance (processus d’instrumentation), les modifier, compléter, envisager leur mise en œuvre - quelles consignes ? quels instruments ? qui valide la réponse ? comment ? (processus d’instrumentalisation) faisait alors partie du travail documentaire des professeurs. Reprenons à nouveau le projet de Prof1.

Son choix d’utiliser le papier calque pour reprendre avec l’élève les exercices 1 et 2 de la copie peut relever de sa connaissance des programmes de la classe de 6e où la symétrie orthogonale est travaillée (+2). En effet, nous pouvons lire que « dans la continuité du travail entrepris à l’école élémentaire, les activités s’appuient encore sur un travail expérimental (pliage, papier calque) [ …] »32. Prof1 introduit l’effet-miroir de la symétrie comme moyen de validation, en disant que « c’est très visuel » et que « les élèves captent assez vite ce moyen de contrôle ». Ce choix peut être considéré comme une règle d’action dont nous pouvons inférer un invariant opératoire qui pourrait être « les élèves apprennent plus facilement la symétrie s’ils disposent de moyens de contrôle visuels ». Cet invariant témoigne d’une connaissance professionnelle concernant les élèves et leur fonctionnement cognitif développée au cours des années de pratique (-1). Le problème Pb01 proposé ensuite est jugé le mieux adapté pour amener l’élève à dégager les propriétés de la symétrie appelées

« fondamentales » par le professeur. Ce choix permet d’entrevoir les connaissances mathématiques du professeur concernant la symétrie orthogonale (+2). La sélection des problèmes restants est basée sur un jeu sur les variables didactiques : support (quadrillage, papier blanc), nature du problème (reconnaissance, construction de figures symétriques, construction de l’axe de symétrie), nature de la figure (point, polygone), ce qui témoigne des connaissances didactiques de Prof1 relatives à la symétrie (+2). Finalement, l’investigation au niveau +3 nous permet d’obtenir un aperçu de sa conception d’enseignement/apprentissage dont nous pouvons inférer quelques invariants opératoires qui peuvent se rapporter à une classe de situations plus générale du type « concevoir un projet de séance relatif à un savoir à enseigner » :

l’élève n’apprend pas de nouvelle connaissance tant qu’il n’a pas pris conscience de l’insuffisance de ses connaissances anciennes. Suivant ce principe, les décisions du professeur visent la déstabilisation des connaissances erronées chez l’élève avant d’en dégager de nouvelles ;

l’apprentissage doit être progressif et s’inscrire dans la durée. Nous avons vu en effet que le projet du professeur visait une évolution progressive vers une conception intermédiaire et que ce projet s’inscrivait dans un projet plus global ;

l’explicitation de connaissances favorise leur apprentissage. Le professeur exige à plusieurs reprises de formuler les propriétés ou de rédiger des programmes de construction.

Quant au projet de séance de Prof2, celui-ci débute par un travail « dialogué » sur l’aspect visuel de la symétrie, notamment le sens opposé des figures symétriques. Nous retrouvons ici une règle d’action similaire à celle de Prof1 concernant le développement chez l’élève de moyens de contrôle visuels. Le choix d’un travail « dialogué » s’appuie sur la conception de l’apprentissage/enseignement du professeur qui le mène à ne pas demander à écrire en début de l’apprentissage afin d’éviter qu’une erreur éventuelle ne « s’incruste dans la tête de l’élève ». Il s’agit ici d’une règle d’action dont on peut inférer un invariant opératoire du type « un travail à l’oral en début d’apprentissage permet d’éviter les erreurs chez les élèves » (+3). Cette conception a pu également amener Prof2 à supposer que l’élève a « la tête vide » en ce qui concerne la symétrie (« […] c’était une enfant qui avait vraiment de très grosses difficultés et qu’elle n’a pas du tout assimilé ce qu’était la symétrie. Donc, dans la mesure où

31 Programmes des collèges. Mathématiques. BO Hors série N°5, 9 septembre 2004, p. 5.

32 Ibid., p. 14.

il n’y avait plus rien, voire même quelque chose de faux […] ») et de choisir de « la remplir » rapidement au moyen du problème Pb01 permettant de dégager les propriétés jugées principales par le professeur : sens opposé des figures, orthogonalité et distance à l’axe (+2). Dans le choix des problèmes restants visant à renforcer la nouvelle conception ainsi développée nous pouvons identifier le jeu sur les variables didactiques (+2) : complexité de la figure (point, triangle, polygone à n sommets avec n>3), support (quadrillage, papier blanc), orientation de l’axe de symétrie (horizontale, verticale, oblique). Par ailleurs, Prof2 a organisé son projet en 2 phases : « phase des yeux » autour de problèmes de reconnaissances, puis phase de construction de figures symétriques. Nous retrouvons ici une règle d’action du type « il ne faut pas proposer de problèmes de construction en début de l’apprentissage de la symétrie orthogonale » dont on peut inférer un invariant opératoire « le travail sur des problèmes de reconnaissance permet d’identifier les propriétés de la symétrie à mettre en œuvre dans des problèmes de construction ». A plusieurs reprises, il sembler que les décisions de Prof2 soient influencées également par l’anticipation du déroulement effectif de la séance et notamment de la contrainte temporelle (0) : éviter l’écrit ou encore proposer un problème en devoir à la maison car cela exigerait beaucoup de temps. Enfin les propos de Prof2 recueillis dans son protocole écrit, ainsi que lors de l’entretien, nous permettent d’inférer quelques invariants opératoires se rapportant à une situation générale de projet de séance :

si les réponses de l’élève à des problèmes concernant une notion mathématique sont erronées, alors l’élève n’a pas assimilé cette notion et il faut « tout retravailler ». Le professeur propose en effet un projet de séance s’adressant à un élève au début de l’apprentissage de la notion en jeu ;

pour un apprentissage efficace, il faut éviter l’erreur. En effet, de nombreux choix du professeur ont été faits dans le but d’éviter que l’élève puisse commettre une erreur.

15.5 Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons étudié les décisions didactiques des professeurs de collège en situation très particulière de projet de séance autour de la symétrie orthogonale, s’adressant à un élève dont une copie leur a été fournie. Cette étude s’est appuyée d’une part sur le modèle de la situation du professeur qui nous a permis d’analyser les ressources et les connaissances sur lesquelles les professeurs fondaient leurs décisions, et d’autre part sur le modèle cK¢ nous permettant de décrire les projets de séance des professeurs en terme d’évolution des conceptions de l’élève. Nous avons ensuite essayé de mettre en parallèle le processus de prise de décisions avec le travail documentaire des professeurs, ce qui nous a permis d’identifier l’amorce de schèmes d’utilisation (règles d’actions, invariants opératoires) des ressources, conçues par ces professeurs, que sont leurs projets de séance.

Cette étude montre que le projet de séance mobilise de nombreuses ressources et connaissances professionnelles à tous les niveaux de la situation du professeur. Au niveau +3, c’est notamment la conception de l’enseignement/apprentissage qui semble déterminer les choix fondamentaux du projet tels que prendre en compte ou non les connaissances antérieures, éviter l’erreur ou au contraire la provoquer. Au niveau +2 interviennent notamment les connaissances du domaine des compétences mathématiques (qui se manifestent en particulier dans le choix d’aspects du savoir à enseigner jugés fondamentaux) et du domaine de la didactique pratique (ces connaissances permettent notamment l’identification des difficultés des élèves relevant du savoir à enseigner). Ces connaissances influencent directement les décisions didactiques des professeurs et par conséquent les choix des problèmes. Le niveau 0, contrairement à nos attentes, a eu un impact sur le projet de séance des professeurs dans la mesure où ceux-ci ne pouvaient pas s’empêcher d’anticiper le déroulement effectif de la séance, notamment la gestion du temps. Les connaissances du niveau -1 concernent en particulier les connaissances que les professeurs ont des élèves et de leur fonctionnement cognitif.

Quant à la copie de l’élève, c’est une ressource essentielle permettant au professeur de prendre des décisions didactiques ciblées à condition qu’il réussisse à la transformer en instrument de construction du projet de séance. C’était le cas de Prof1 qui, en s’appuyant à la fois sur des ressources institutionnelles (programmes) et sur ses connaissances professionnelles, a pu « augmenter » la copie d’un diagnostic de conceptions de l’élève et fonder son projet sur la prise en compte des connaissances antérieures de cet élève, aussi bien correctes qu’erronées. En revanche, le projet de Prof2 est resté à un niveau général et peu adapté aux difficultés de l’élève faute d’une analyse pertinente de la copie.

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