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La transnationalisation de l’action collective comme réponse à des changements structurels

Dans le document 2015 M S 18 N C P ’ - : S G ’ L U Q O D (Page 51-59)

CHAPITRE III LES DYNAMIQUES TRANSNATIONALES DES MOUVEMENTS

3.1 La transnationalisation de l’action collective comme réponse à des changements structurels

Dans l’acception la plus répandue chez les sociologues des mouvements sociaux, l’action collective est appréhendée comme étant une réponse stratégique d’acteurs collectifs qui choisissent de mener des actions à une échelle (locale, nationale, supranationale) ou à une autre en fonction de leur lecture de la structure d’opportunité politique qui prévaut à ces échelles (Smith, Chatfield, et al., 1997). Le concept de structure d’opportunité politique s’inscrit dans l’approche de recherche dite du « processus politique » développée à partir des années 1970 par un ensemble de chercheurs du domaine de la sociologie des mouvements sociaux (McAdam, McCarthy, et Zald, 1996; Tilly, 1995).

Dans l’approche du processus politique, l’émergence des mouvements sociaux est expliquée par une conjonction de trois facteurs structurels. Premièrement, les mobilisations collectives se produisent lorsqu’il y a une structure d’opportunité politique favorable à l’émergence et à l’action de mouvements sociaux. Tarrow (1998) identifie cinq formes d’opportunités politiques favorables à l’action collective des mouvements: 1) un accroissement de l’accès aux institutions politiques; 2) des « alignements politiques » instables (unstable political alignments)13; 3) des divisions entre les élites politiques; 4) la présence d’alliés influents dans la sphère politique; 5) une réduction de la répression des mobilisations sociales par les États (autoritaires).

Deuxièmement, les mobilisations collectives se produisent en présence de structures de mobilisation permettant le recrutement, la diffusion de l’information et la mobilisation de membres. En clair, pour que les mouvements soient en mesure de tirer profit de la dite structure des opportunités politiques, il faut qu’existent des structures de mobilisation préalables, c’est-à-dire des acteurs collectifs organisés et en réseaux (Ayres, 2001). McAdam, McCarthy et Zald (1996) définissent les structures de mobilisation comme étant les

« véhicules collectifs, formels et informels, par le biais desquels les individus se mobilisent et s’engagent dans l’action collective » (p.3).

Troisièmement, les mobilisations collectives se produisent lorsqu’il y a présence de leaders faisant appel à un cadre stratégique efficace pour la mobilisation des militants. En clair, pour qu’il y ait mobilisation, il faut que l’enjeu soit problématisé (ou « cadré », dans le jargon de l’approche du processus politique) de façon à mobiliser les militants (McAdam, et al., 1996).

Snow et Benford (1988) identifient trois types de processus de cadrage qui concernent la façon dont les acteurs d’un mouvement construisent intersubjectivement leurs revendications

13 On parle ici, essentiellement, de partis politiques dont les orientations de programme sur un sujet donné ne seraient pas encore fixées.

et donnent, de manière collective et interactive, du sens à leurs activités : 1) le processus diagnostique, soit l’identification d’un problème, l’attribution du blâme et l’identification d’une cible ; 2) le processus pronostique, soit le développement interactif de solutions et de stratégies d’action collective ; 3) le processus motivationnel, soit l’appel à la mobilisation à partir de 1 et 2. Ensemble, ces trois processus de cadrage traduisent des insatisfactions vaguement ressenties en objets de revendications et motivent d’autres individus à joindre le mouvement pour agir sur ces objets.

Les recherches effectuées à partir de l’approche du processus politique ont contribué à constituer un corpus de connaissances important sur la façon dont les transformations structurelles à l’échelle nationale affectaient les mouvements sociaux et sur la façon dont ces mouvements « répondaient » stratégiquement à ces transformations. Confrontés à l’émergence de mouvements sociaux transnationaux dans les années 1990, plusieurs sociologues des mouvements sociaux ont donc reproduit ce schème d’analyse en cherchant à adapter cette approche de façon à la rendre plus à même de rendre compte de la dimension transnationale des actions collectives des mouvements. C’est surtout sur la dimension transnationale du premier facteur explicatif (la structure des opportunités politiques) qu’ont porté les recherches jusqu’à présent.

Lorsque les sociologues des mouvements sociaux ont observé le phénomène de la transnationalisation des actions collectives, nombre d’entre eux ont appréhendé la question en s’intéressant aux structures des opportunités politiques transnationales. Ces chercheurs ont ainsi montré que les opportunités offertes par les institutions supranationales (et/ou les contraintes exercées par les institutions nationales) exercent une influence non négligeable sur la nature des actions collectives menées par les mouvements – et, par extension, sur l’échelle de mobilisation choisie par les militants. Des recherches se sont ainsi intéressés au rôle de certaines institutions internationales, telle l’ONU, dans la création d’un contexte favorable à l’action collective transnationale (Della Porta, et al., 1999; Smith, 2005; Tarrow, 2000). D’autre recherches se sont intéressés aux évènements internationaux organisés par les institutions internationales (Sommets sur les femmes, l’environnement, etc.) en proposant

notamment que le degré d’ouverture de ces institutions à la « participation de la société civile » est un facteur explicatif important pour comprendre la transnationalisation de l’action collective des mouvements (Resnick et Birner, 2008; Wiest, 2006). D’autres recherches encore se sont intéressées à la façon dont des transformations globales telles l’intégration économique (accords de libre-échange, etc.), l’émergence d’enjeux transnationaux (les problèmes environnementaux, etc.), la prolifération d’institutions interétatiques (ONU, etc.), de conférences et de traités internationaux, ou encore la diffusion des technologies de l’information ont contribué à transformer la structure des opportunités politiques à l’échelle supranationale et ce faisant, auraient favorisé l’émergence et le développement de mouvements sociaux transnationaux (Tarrow, 2005).

Dans le même ordre d’idées, mais sur une autre tengeante, un certain nombre de recherches se sont penchées sur l’articulation des contextes internationaux et nationaux (Della Porta et Tarrow, 2005; Tarrow, 2005) en postulant que la nouvelle structure d’opportunité politique offerte par les transformations globales influait à la fois sur les mobilisations nationales (en transformant les institutions et la teneur des politiques à cette échelle) et sur les mobilisations transnationales (en créant de nouveaux problèmes et de nouvelles institutions) (Della Porta, et al., 1999). Des recherches se sont ainsi intéressées aux actions collectives menées dans des espaces supranationaux et ciblant des institutions supranationales, mais ayant pour objectif de faire pression, par ce biais, sur les États nationaux. Par exemple, lorsque des institutions internationales, telle l’ONU, produisent des normes internationales qui peuvent être utilisées pour renforcer et légitimer les revendications nationales des mouvements sociaux (Risse, Ropp, et Sikkink, 1999; Smith, Chatfield, et al., 1997). Ce courant de recherche s’articule autour d’une approche fondée sur la notion de structure d’opportunité politique multiniveaux (multilevel opportunity structure), qui combine une analyse centrée sur la structure des opportunités politiques (SOP) transnationale et les SOP nationales. Les opportunités politiques sont alors appréhendées comme se situant dans des contextes de « gouvernance multiniveaux » (multilevel governance) où se chevauchent, se croisent et s’entremêlent des opportunités (et des contraintes) à l’échelle nationale, macrorégionale et internationale.

Keck et Sikkink (1998) ont proposé les concepts d’« effet boomerang » et de « modèle de la spirale » pour caractériser des stratégies politiques par le biais desquelles des acteurs collectifs opérant dans une SOP « fermée » à l’échelle nationale (par la répression ou l’exclusion du système de représentation) cherchent des alliés internationaux au sein de SOP internationales plus « ouvertes » et ce, afin de faire pression sur leurs gouvernements nationaux sur des enjeux qui demeurent toutefois fortement ancrés dans les réalités nationales. Par contre, des recherches en Europe ont aussi montré que plusieurs activités protestataires qui ciblaient les gouvernements nationaux concernaient en fait des enjeux ou des débats qui étaient menés à l’échelle européenne; c’est-à-dire que même si les acteurs collectifs prenaient pour cible les États nationaux, le conflit concernait des décisions qui devaient être prises à l’échelle européenne (Imig et Tarrow, 1999, 2001, 2002; Rootes, 2002).

Il est à noter que dans la foulée des critiques nourries issues du courant culturel de l’analyse des mouvements sociaux14 à partir de la fin des années 1990, les chercheurs se situant dans le courant du processus politique ont largement reconnu que le phénomène de l’action collective ne pouvait pas être expliqué uniquement comme une réponse mécanique à un contexte institutionnel qui serait plus ou moins favorable ou contraignant et que les opportunités et/ou les contraintes structurelles et institutionnelles, à elles seules, ne permettaient pas d’expliquer de manière satisfaisante le phénomène de l’action collective. Des recherches ont ainsi démontré que pour qu’il y ait mobilisation, il fallait non seulement que la structure des opportunités politiques y soit propice, mais il fallait aussi que les dites opportunités (ou menaces) soient perçues comme telles par les militants et que ceux-ci décident de s’en saisir (Kurzman, 1996; McAdam, et al., 2001).

14 Ces critiques arguaient que l’approche du processus politique mettait une emphase démesurée sur les facteurs structurels au détriment des facteurs non-structurels d’émergence des mouvements sociaux (Goodwin et Jasper, 1999; 2004a; 2004b; Meyer, Whittier, et Robnett, 2002).

Ces idées sont au cœur de l’approche des dynamiques contestataires (Dynamics of Contention) proposée au tournant du siècle par des ténors de l’approche du processus politique (McAdam, Tarrow, et Tilly, 2001). L’approche des dynamiques contestataires vise à atténuer le structuralisme de l’approche du processus politique en accordant analytiquement davantage d’attention à la façon dont les acteurs perçoivent, interprètent et se saisissent des opportunités politiques. C’est dans cette foulée qu’un certain nombre de chercheurs s’intéressant aux mouvements sociaux transnationaux ont abandonné l’idée de trouver l’équivalent transnational du concept de structure des opportunités politiques utilisé pour les recherches à l’échelle nationale et ont plutôt cherché à identifier et à analyser des

« mécanismes » et des « processus » de transnationalisation des actions collectives qui seraient comparables par-delà les contextes spécifiques.

Considérant le processus de changement d’échelle (scale shift) comme « l’extension d’une lutte au-delà des frontières d’émergence de la lutte » (p.125, traduction libre) Tarrow et McAdam (2005) avancent ainsi que le changement d’échelle se fait par le biais de trois mécanismes (p.127) :

1) la diffusion non-relationnelle, c’est-à-dire le transfert d’information par des moyens impersonnels, tel les médias de masse;

2) la diffusion relationnelle, c’est-à-dire le transfert des idées, des pratiques, des formes organisationnelles et des cadres de mobilisation d’un mouvement d’un pays donné à un ou des mouvements d’autres pays par le biais de réseaux sociaux (et militants) préexistants et;

3) le courtage (brokerage), c’est-à-dire le mécanisme par le biais duquel des individus ou des groupes (les brokers) établissent délibérément des liens entre acteurs de sites de contestations différents qui ne se connaissent pas.

L’approche des dynamiques contestataires a reçu un accueil mitigé dans la communauté des chercheurs s’inscrivant dans l’approche du processus politique (voir notamment Koopmans,

2003). Il n’y a par ailleurs encore que peu de travaux de recherche qui ont présentés des résultats à partir de cette approche, malgré certaines exceptions notables (Reitan, 2006).

Si la question des opportunités offertes par les nouveaux espaces politiques demeure la question centrale occupant les chercheurs s’intéressant aux mouvements sociaux transnationaux, certaines recherches se sont aussi intéressées au deuxième facteur explicatif de l’approche du processus politique, les structures de mobilisation. Certains chercheurs ont ainsi proposé de transnationaliser ou d’internationaliser le concept de structures de mobilisation en se demandant, par exemple, quelles ressources internes et externes étaient mobilisées par les organisations de mouvement social pour l’action collective à l’échelle transnationale (McCarthy, 1997). Smith, Chatfield et Pagnucco (1997) ont aussi cherché à internationaliser ce concept en proposant une catégorisation des structures ayant une influence sur la mobilisation transnationale. Cette catégorisation inclut des structures de mobilisation « formelles » (organisations de mouvement social transnationales et nationales, Églises, syndicats, associations professionnelles, etc.) et « informelles » (réseaux militants, professionnels, d’affinités, etc.).

Certaines recherches ont aussi cherché à adapter le troisième facteur explicatif de l’approche du processus politique, les « cadres » de mobilisation, à l’étude des actions collectives transnationales. Ce sont alors les mécanismes de diffusion de certains cadres de mobilisation par-delà les frontières nationales qui ont retenu l’attention des chercheurs (Edelman, 2001;

Keck et Sikkink, 1998). Des chercheurs se sont ainsi demandé quels cadres avaient été mobilisés par des acteurs collectifs à l’échelle transnationale et comment ces « cadres » s’étaient diffusés et avaient été adaptés au contact entre organisations (voir par exemple l'analyse de Pagnucco, 1997, des processus de cadrage des campagnes transnationales pour les droits humains).

En résumé, les approches structuralistes de l’analyse des mouvements sociaux s’intéressent centralement aux dimensions rationnelles des mobilisations et à la capacité des organisations

de mouvement social de mobiliser les ressources nécessaires afin de tirer profit des ouvertures dans les structures d’opportunité politique. Le point de départ de l’analyse est la mobilisation elle-même. Il s’agit d’identifier, à rebours, les causes des mobilisations sociales en les mettant en relation avec les transformations structurelles des sociétés, ainsi qu’avec les ressources matérielles, organisationnelles et discursives des organisations de mouvement social menant lesdites mobilisations.

3.1.2 Les « points aveugles » des approches structuralistes

La recension des écrits s’inscrivant dans des approches structuralistes de l’analyse des mouvements sociaux transnationaux a permis de relever deux points aveugles de la recherche.

Le premier est un constat empirique : celui de la marginalité du continent africain comme aire de recherche. Dans le domaine de la sociologie des mouvements sociaux, la recherche est plus qu’abondante sur un certain nombre mouvements occidentaux (mouvement des droits civiques, écologiste, féministe, etc.), mais l’est beaucoup moins en ce qui concerne les mouvements non-occidentaux, y compris dans la recherche récente sur l’action collective transnationale. Cela est d’ailleurs souligné par Tarrow et Della Porta (2005) dans la conclusion de l’ouvrage collectif qu’ils ont dirigé.15

Le second est un constat théorique : la recherche ne s’appuie pas sur une problématisation approfondie des échelles de l’action collective. Les travaux effectués dans l’approche du processus politique cherchent centralement à révéler les facteurs structurels ou les mécanismes sociaux qui permettent de comprendre pourquoi la transnationalisation des

15 « …un problème récurrent – typique aussi de la recherche sur les mouvements sociaux nationaux – est l’absence persistante du Sud dans la recherche sur les mouvements sociaux transnationaux »15 (Tarrow et Della Porta, 2005, p.243, traduction libre).

actions collectives émerge à un moment plutôt qu’à un autre. Les questions posées au phénomène concernent alors principalement l’utilisation faite par les acteurs collectifs des (nouvelles) opportunités politiques et institutionnelles qui s’offrent à eux. Le phénomène de transnationalisation de l’action collective est, dans cette perspective, appréhendé essentiellement comme étant le passage d’un niveau d’action à un autre et, plus particulièrement, à un changement de cible institutionnelle par les acteurs collectifs. C’est le scale-shift : les acteurs collectifs choisissent (théorie du choix rationnel) de cibler une institution internationale donnée au lieu – ou en plus – d’un État national afin d’atteindre leurs objectifs (Della Porta, Andretta, Mosca, et Reiter, 2006; Keck et Sikkink, 1998;

McAdam, et al., 2001; Tarrow, 2005). Les échelles sont, dans cette perspective, assimilées à des niveaux institutionnels, des espaces géographiques déterminés par des découpages administratifs ou des modes prédéfinis d’ordonnancement territorial (local, régional, national, supranational). Dans une telle perspective, les espaces et les échelles des mobilisations sont appréhendées implicitement comme étant les « contenants » dans lesquels se déploient les réactions des mouvements à des processus qui leurs sont externes : les processus structurels dans le cas des approches du processus politique. Dans cette perspective, les mouvements sociaux qui mènent des actions collectives à différentes échelles sont implicitement considérés comme n’ayant pas de dynamiques sociospatiales autonomes, mais uniquement des dynamiques sociospatiales réactives.

Malgré les contributions importantes des approches structuralistes à la connaissance sur les mouvements sociaux et l’action collective contestataire, ces approches apparaissent insuffisantes pour l’encadrement de notre recherche empirique. Notre exploration théorique s’est donc orientée vers la recherche sur les mouvements sociaux s’appuyant sur les apports du paradigme de la résistance à la domination.

3.2 La transnationalisation de la résistance comme réponse à la globalisation de la

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