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Une transmission de savoirs dans tous les domaines de la vie 69

5.   Regards croisés sur l’accompagnement 61

5.2.   Des axes et des modalités d’intervention très variés 66

5.2.3.   Une transmission de savoirs dans tous les domaines de la vie 69

Pour l’ensemble des situations étudiées, les contacts sont bien plus fréquents en début d’accompagnement (plusieurs fois par semaine, en comptant les visites à domicile des différent.e.s professionnel.le.s, et les passages au service de la famille), et s’espacent lorsque la famille est présente depuis longtemps. Toutes les dimensions de la vie des personnes hébergées peuvent être concernées : gestion du quotidien, mais aussi insertion sociale et professionnelle, démarches administratives, tenue d’un budget, aménagement d’un logement, éducation des enfants, relation dans le couple, hygiène, santé, rythmes du quotidien, sexualité… Ces apprentissages ne passent pas que par la transmission d’information, ou par l’orientation vers des partenaires, mais aussi par le fait de faire avec les personnes.

Les parents rencontrés font fréquemment référence au fait d’avoir été en position d’apprentissage avec les travailleurs/euses sociaux/ales, pour de nombreuses actions de la vie courante : se rendre dans les services de l’administration pour faire une déclaration d’impôts, cuisiner, faire un CV, faire fonctionner des appareils électroménagers, évaluer à quel moment faire appel à un médecin pour son bébé…

« Madame : Parce que regarde (EJE) de ses connaissances, elle a su m'apprendre des choses que je ne savais pas faire avec (enfant) parce qu'au début moi et la cuisine ça faisait deux, même faire des pâtes, je ne savais pas le faire ; donc même quand elle venait, que j'avais besoin d'aide pour quoi que ce soit, elle savait venir m'aider. »

« Madame : On apprend tous les jours avec le centre parental, je vous donne un exemple : je n’avais pas fait ma déclaration d’impôt. Comme j’étais au foyer, j’avais complètement oublié et j’étais avec (référente), on l’avait fait, mais ce n’est pas qu’on l’a fait et puis ensuite on est rentrés chez nous, non. On est partis le faire, (référente) m’a montrée, c’est moi qui ai rempli les papiers et puis après, elle m’a montré le métro, elle m’a dit, « la prochaine fois, si vous voulez venir, voici le métro, vous prenez le bus ». On en apprenait tous les jours ».

« Monsieur : C'est que c'est logique quoi, enfin une fois qu'on a un enfant, on est adulte ; je veux dire qu’après il faut prendre ses responsabilités. C'est vrai qu'au début, quand ils viennent de commencer avec la personne, ils forcent, ils forcent, enfin ils poussent à bouger et tout, donc c'est dans un mouvement comme ça, on n'est pas habitués donc on ne veut pas rentrer dans le jeu, en fait c'est ça le truc. Mais une fois que tout est lancé, après ça va tout seul, enfin il suffit juste de leur faire confiance des deux côtés parce qu’ils ont de l'âge, ils ont vécu des choses aussi »

Adopter une position d’apprenant auprès de personnes expertes en raison de leur formation ou de leur âge permet aux parents de se distancier du statut d’assisté qui peut leur être renvoyé. Plusieurs jeunes hommes ont d’ailleurs été fiers de mentionner l’aide qu’ils sont en mesure d’apporter à des membres de leur famille ou à des amis, dans leurs démarches administratives.

«Monsieur : maintenant, c’est moi qui aide les gens au niveau des papiers. Je me fais passer pour un éducateur. Cent fois moins cher ! Il n’y a pas très longtemps, j’ai aidé un ami pendant trois mois. C’est un jeune. Il a 19 ans. Il n’y connaissait rien du tout et c’est moi qui l’ai aidé. Tout ce que le centre parental m’a appris, maintenant je l’apprends. »

Cette transmission de savoirs quotidiens et sociaux n’a pas pu s’opérer dans un cadre familial en raison des ruptures connues par les parents accueillis (placements, ruptures familiales, parcours migratoires…). Pour les personnes ayant les parcours et les conditions de vie antérieures les plus chaotiques, les premiers apprentissages concernent le respect de rythmes quotidiens de sommeil et d’alimentation, comme l’exprime cette jeune femme vivant auparavant en squat :

« Intervieweuse : Qu’est ce que ça a apporté le centre parental ?

« Madame : Beaucoup de choses. A nous en sortir, à gérer, tout, notre vie de couple, nos sorties. En fait on ne mangeait qu’une fois par jour. On se levait à pas d’heure. A trouver un rythme en fait. Même là avec le travail, ça nous fait trouver un rythme, parce que sinon, on dort jusqu’à midi, 13 heures. On se couche, il est 2, 3, 4 heures du matin. »

De leur côté, les référent.e.s font également part de la diversité des sujets abordés avec les parents, dans l’ensemble des structures. Des questions très intimes peuvent également être abordées à la demande des personnes : désir d’enfant, évolution du corps de la femme enceinte, sexualité…

« Ils avaient aussi réfléchi à l’idée d’un second enfant. Donc voilà, donc ça, c’est l’occasion aussi de parler contraception, sexualité. Voilà donc, ça… ça a pu être travaillé aussi ça. » « Je me souviens du tout début de l’accueil, elle avait des questions sur des sujets qu’elle n’avait jamais abordés avec sa propre mère sur des questions très basiques, sur l’accouchement, son corps, comment on le lui fabriquait, comment ça va se passer et je me disais, « oh mon dieu ». Il n’y a pas eu de discussion du fait de devenir femme, du corps qui change, qui évolue. »

Les missions et les modalités d’intervention des référent.e.s exerçant dans ces structures sont donc particulièrement larges, ce qui nécessite un engagement important, crée une relation particulière avec les familles, et occasionne, comme on le verra par la suite, de nombreux questionnements de leur part autour de leur cadre d’intervention.

L’aspect global de l’accompagnement conduit les référent.e.s à effectuer de très nombreuses démarches et actions en lien avec des partenaires variés. Ce travail avec des partenaires extérieurs est développé dans tous les centres parentaux. Les partenaires cités appartiennent au champ de l’insertion (régie de quartier, structure d’insertion par l’économique, missions locales…), du logement (bailleurs sociaux, association d’accompagnement spécialisées dans le logement, structures d’hébergement), du soin (Centre médico-psychologique, Centre d’action médico-sociale précoce, centre de thérapie familiale) et de l’enfance (Protection maternelle et infantile, crèches et halte-garderie, ludothèque, lieux d’accueil parents- enfants…).

Si les professionnel.le.s ont cité de très nombreux partenaires au cours des entretiens menés, c’est nettement moins le cas des parents. Ce travail en partenariat se concrétise surtout pour eux par le fait qu’ils aient un logement ou une place en crèche grâce au centre parental.

5.2.4. Des propositions de soutien psychologique ancrées dans la vie concrète des familles  

Les pratiques des quatre psychologues rencontrées (une au sein de chaque structure), telles qu’elles les ont décrites en entretien mais également telles qu’elles sont perçues par les parents, couvrent également des modalités d’intervention plus large que ce que l’on retrouve habituellement dans d’autres institutions sociales.

Chacune pense son intervention de manière spécifique, avec des références théoriques qui sont variées et souvent plurielles : observation du jeune enfant, psychologie cognitive, approche systémique, psychanalyse, haptonomie… Dans deux structures, les psychologues rencontrent systématiquement l’ensemble des familles accueillies pour se présenter, soit au moment de l’admission, soit dans les semaines qui suivent. L’une d’entre elle rencontre les couples une fois par mois au cours des premiers mois, pour un rendez-vous au service, centré sur l’enfant. Les deux autres psychologues sont amenées à rencontrer les familles sur des temps informels, lors de leur passage au service, ou à la demande des parents ou sur proposition des référent.e.s.

Trois psychologues se déplacent au domicile des familles, ou sur des temps d’accompagnement physique (trajet entre le lieu de garde de l’enfant et le domicile, démarches vers des lieux de soins de psychiques, visite à l’hôpital…), et peuvent également intervenir en binôme avec les référent.e.s. Ces manières d’intervenir peuvent conduire à des actions très concrètes, sur l’aménagement de l’espace familial, l’accompagnement d’un enfant, comme on le verra par la suite.

Toutes soulignent la nécessite des contacts informels pour établir un lien avec les parents :

« Je les vois ou je peux les voir parce que je maintiens que ce qui compte, c’est la relation, ce n’est pas l’endroit. Je suis allée boire des pots, je suis allée en prison, je vais là où je pense qu’il est bien que je sois. Un psychologue qui ne se déplace pas, vraiment pour cette population là, ce n’est pas possible, ce sont des ados encore, donc si on ne se met pas à leur portée, dans leur manière d’être, dans leur manière de faire, si on ne leur apporte pas beaucoup de bienveillance, on ne travaille pas avec eux et dans ce cas là, on ne leur permet pas d’avancer, parce qu’ils ont besoin de nous, ça c’est clair. »

Cette modalité de travail est rendue nécessaire en raison du parcours des parents accueillis, et contraste fortement avec les modalités d’intervention des psychologues que certains parents ont pu connaître dans d’autres structures sociales :

« Je les croise dans les bureaux et à ces occasions là, s’ils veulent dire quelque chose, ils vont le dire l’air de rien et donc je vais leur répondre l’air de rien. Et à ce moment là, il peut y avoir une accroche. C’est tout le temps l’histoire du petit prince est du renard. Ces jeunes gens ont besoin d’être apprivoisés et en particulier par des psy parce que les psy, ils en ont un passé ! Ils ont l’obligation d’aller voir un psy et le psy qui lui demande ci et qui leur demande ça. Si moi, je ne m’extrais pas de ça, je ne travaille pas. »

Du côté des parents, certains ont en effet été amenés à rencontrer cette catégorie de professionnel.le.s dans leur passé, et ceux pour qui l’expérience n’a pas été satisfaisante sont réticents à l’éventualité d’un nouveau suivi.

« Monsieur : Ils voulaient nous faire rencontrer la psy et moi, j’en ai tellement rencontré quand j’étais petit que maintenant, je n’en n’ai plus besoin. Je leur disais clairement que je sais comment fonctionne un psy, que pour moi, le psy pose les questions, je ne mets pas tous les psys dans le même sac, mais en général, les psys que j’ai vus, ils posent les questions et ils t’observent. C’est tout ! Ils ne veulent pas entamer la conversation pour t’aider à trouver une solution. »