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5.   Regards croisés sur l’accompagnement 61

5.5.   Le moment difficile de la fin de l’accompagnement 89

5.5.2.   Une séparation difficile 90

Donc, là je me suis vraiment énervé. »

Familles et professionnel.le.s sont également confronté.e.s aux contraintes imposées par les bailleurs sociaux liées au niveau de ressources, mais aussi à une forme de stabilité et de conformité de la cellule familiale. Ainsi, la décision de décohabitation de ce couple vient compromettre l’aboutissement du dossier de relogement monté par la référente, alors qu’aucune prolongation d’accompagnement n’est administrativement envisageable :

« Monsieur : On avait l’impression, à la fin d’être comme si on fallait qu’on rentre dans les cases. Comme on était un couple, il fallait absolument qu’on vive ensemble, que, voilà, mais moi, non.

Madame : Du coup, c’était conflictuel entre lui et moi parce que moi j’écoutais mon éducatrice et je lui disais il faut qu’on se mette ensemble, il faut ceci, il faut cela, mais du coup, ça a donné des conflits dans le couple.

Monsieur: Moi, je le sentais pas, et eux ils ne comprenaient pas. Et j’ai dit si vous ne comprenez pas c’est comme ça c’est tout. (…) Je le sentais pas et eux ils comprenaient pas, donc j’ai dit si on n’a pas le caractère qu’on puisse s’accorder et qu’on est tout le temps, constamment à deux.

Madame : C’est vrai que dès qu’on est fort ensemble, dès qu’on est trop ensemble on s’étouffe, ça va pas.

Monsieur : Il faut le comprendre »

Les divergences de points de vue crispent les relations, soulignant le rapport entre l’engagement locatif et les choix conjugaux :

« Madame : Parce que à moment donné aussi, il y a (référente) qui avait dit, ça non plus j’ai pas oublié, il y a (référente) qui avait dit devant la directrice, de mon nouveau compagnon : « Ah ben donnez-moi ses fiches de paie, comme ça, ça va passer vite ». J’ai dit : « Non, je ne veux pas habiter avec lui ». »

Dans d’autres cas, à l’inverse, la concrétisation de la possibilité d’obtenir un bail « aux deux noms » précipite la séparation, comme l’évoque une professionnelle :

« C’était aux deux noms normalement puisqu’ils étaient pas encore séparés, ils se disputaient. Elle, elle faisait des breaks, elle partait 15 jours chez sa mère, trois semaines. Et lui, à ce moment-là, on l’avait tous les jours au téléphone, extrêmement mal... (…) J’avais dû dire : « Ecoutez, à partir de telle date, nous, on arrête de faire le dossier, parce qu’à un moment donné, s’il y a pas les pièces et que vous voulez pas que le bail glisse, on pourra pas le faire .» Et du coup, ils ont amené le dossier ce jour-là, et il manquait des pièces et en fait, le couple s’est séparé très peu de temps avant le glissement de bail. Parce que je pense que le glissement de bail venait consolider le fait qu’ils allaient rester ensemble. Et c’était pas possible, surtout pour elle, de rester avec lui. Donc ils se sont séparés.»

Même lorsque la famille obtient un logement qui lui convient, ou lorsque, dans l’hypothèse la plus favorable, le bail « glisse » et qu’elle peut rester dans le logement, le moment de la séparation peut être difficile, et du côté des familles et du côté des professionnel.le.s.

5.5.2. Une séparation difficile  

En effet, la fin d’accompagnement amène à reconsidérer le devenir du lien fort instauré entre familles et professionnel.le.s. pour les uns comme pour les autres.

« Co-référent : C’est difficile à deux niveaux, c’est difficile pour quitter le logement pour des tas de raisons, y compris financières aussi de sortir d’un logement où on paye une participation locative pour aller sur un autre logement où on paye un loyer, ça va les mettre

dedans et après il y a la difficulté quand on accompagne pendant trois ans de quitter les éducateurs aussi.

Co-référente : Et inversement pour être honnête, nous, il y a des moments et c’est très bien finalement que l’on soit deux en binôme et des équipes, parce qu’on peut se renvoyer ça « tu te souviens, ils ont encore besoin de nous » et comment on se dit au revoir, comment on prépare le moment de se dire au revoir. Ce n’est pas toujours simple. »

Plusieurs familles évoquent ce moment comme une séparation avec des personnes qui ont compté dans leur vie, un moment difficile à vivre d’un point de vue affectif.

« Madame : Pour nous l'horreur ! On ne pensait pas que ça se serait arrêté comme ça.

Monsieur : Parce que malgré tout ce sont quand même des personnes qu'on a vues trois ans de notre vie. On est jeunes, on a 20 ans donc à cet âge-là, trois ans pour nous c'est beaucoup dans une vie.

Madame : C'est la toute vie de (enfant).

Monsieur : Oui voilà. Quand on a 40 ans, on ne fait plus attention, trois ans ça va vite. Mais à 20 ans, trois ans c'est long, enfin c'est beaucoup quand même. Donc oui on s'est un peu attachés quand même. »

Certains parents évoquent également le lien des enfants aux professionnel.le.s :

« De plus voir (référente) et (psychologue), parce que le grand les a vues en moyenne une fois par semaine pendant un an… Un enfant, tu peux pas lui enlever quelqu’un. Il disait leurs noms… Après il a oublié. »

Même dans les situations où la famille accède à un logement autonome et où les relations subsistent avec les professionnels et le service, la transition apparaît brutale. Et lorsqu’il y a eu des tensions sur la fin, celle-ci est vécu un peu comme un abandon : « je sentais qu’il fallait que je laisse la place ». Pour autant, on constate que le relais par d’autres services sociaux n’est pas toujours souhaité par les parents :

« Madame : en fait, je les ai vus deux fois parce que la plupart du temps quand ils venaient, en fait ils sont venus une fois voir et je leur avais fait visiter l’appartement, puis après moi je n’aime pas. Quand je fais ma vie, je ne m’occupe plus de rien. J’avais envie d’être autonome. Ils ont vu que le suivi ne se faisait plus, donc en fait ils ont demandé à arrêter le suivi. Là, je vais peut-être voir une assistante sociale pour refaire le dossier d’HLM, mais autrement pour le reste, je fais ma petite vie dans mon petit coin »

Soit ils aspirent à vivre sans l’aide des services sociaux, soit ils ne parviennent pas à retrouver les caractéristiques d’accompagnement qu’ils ont appréciées, le même type de relation qu’avec les professionnel.le.s du centre parental. Le passage de relais avec d’autres intervenant.e.s, lorsqu’il apparaît nécessaire, est d’ailleurs identifié comme un point de questionnement, voire de difficulté, dans l’ensemble des services de type centre parental que nous avons investigués.

« Madame : (Directrice) m’appelle pour avoir des nouvelles et moi aussi j’appelle quand j’ai des soucis, ça ne s’est pas cassé net et heureusement, mais sinon tout ce qui est financier, c’est progressif. Maintenant j’ai encore besoin d’un soutien moral et elle est toujours là. Si j’ai un souci, je peux toujours aller les voir pour parler. Surtout que je suis à côté, j’y vais et surtout que dernièrement il y a eu des soucis avec ma famille, donc j’ai eu besoin d’en parler avec (directrice), des choses qui se sont passées pendant mon enfance qui font que j’en ai parlé à (directrice), et actuellement j’en ai parlé à ma famille donc j’ai eu besoin de (directrice) en soutien pour qu’elle soit là en fait. Donc je l’ai souvent appelée pour pleurer et lui dire comment ça se passe. Ils me disent d’aller voir une autre assistante sociale, mais je n’y arrive pas.

Madame : C’est l’attachement, je confie mes choses les plus personnelles et le fait de revoir quelqu’un et de raconter encore ma vie, ça ne me dit rien. »

La fin de l’accompagnement est souvent marquée symboliquement, par exemple par un moment convivial où les professionnel.le.s sont invité.e.s au domicile, afin de partager un repas en famille. Des cadeaux peuvent également leur être offerts, en signe de gratitude, mais aussi pour laisser une trace du lien :

« Monsieur : Je leur ai offert une photo de mon mariage où on me voyait moi, (Madame) et (enfant), comme ça j’ai dit « vous nous oublierez jamais » ! ».

« Monsieur : On a pris vraiment le temps, on était venus avec une grosse boite de chocolats pour tout le monde. On a vraiment pris le temps de partir. On n’a pas fait « bon merci et au revoir » ».

« Madame : J’avais fait des desserts et j’avais préparé des cadeaux pour la directrice, la psychologue, (réferente), la remplaçante et (référent), les cinq. (…) En plus j’avais fait un sac cadeau pour les cinq avec des serviettes turques. On décore les serviettes, on les fait mains en dentelle avec des dessins et des écritures dessus. Une serviette pour le visage avec un gant de toilette que l’on fait nous-même. Il y avait des chaussettes pour l’hiver que l’on fait nous- même et un foulard je crois aussi pour chacun. C’était un petit remerciement. »

Comme mentionné plus haut, pour une famille la clinique de concertation a clôturé la prise en charge en présence de ses proches et des différents intervenants sociaux.

Et dans certains cas, l’entretien de recherche a eu valeur de contre-don. Le fait d’être passé par l’institution pour solliciter l’accord des personnes a bien sûr renforcé cet effet, comme le relate certain.e.s référent.e.s : « c’était difficile pour elle d’accepter. La première réponse qu’elle a donnée, c’est non. Après elle a dit « je le fais parce que c’est vous ». »

5.5.3. Le devenir des liens après la fin de l’accompagnement  

Au fils du temps les contacts s’espacent, les familles appellent de temps à autre, ou font une visite au centre parental pour donner des nouvelles, informer des évènements importants (grossesse, naissance, obtention du permis de conduire, emploi…). De menues attentions viennent rappeler le lien, tels les SMS envoyés pour les fêtes de fin d’année ou la fête des mères :

« Monsieur : ça a fait bizarre. Madame : Oui bizarre.

Monsieur : On est quand même restés trois ans ici.

Madame : J’avais peur, c’est comme si tu t’envoles tout seul. Tu n’as plus d’accompagnement, ni rien.

Monsieur : On l’a été encore un petit peu. Après, quand le contrat s’est arrêté, on a demandé qu’on soit encore un peu suivis pour les débuts dans notre appartement pour les papiers, donc on a été suivis pendant encore peut-être six mois et puis ça s’est arrêté. On se téléphone encore. Il n’y a pas longtemps, je les ai appelés pour faire un petit coucou et pour parler un peu de notre situation. Ça leur fait plaisir, mais ça nous fait plaisir aussi.

Madame : Ca leur fait plaisir aussi de savoir que les familles ont évolué et que grâce à eux, elles s’en sortent. « Ah ben ils ont déménagé, ah ben le petit va bien, ah c’est bien. » »

Certaines situations peuvent être sources de confusion comme celle de cette femme accompagnée par un service d’accompagnement lié au logement, dans les mêmes locaux que le centre parental.