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5.   Regards croisés sur l’accompagnement 61

5.5.   Le moment difficile de la fin de l’accompagnement 89

5.5.3.   Le devenir des liens après la fin de l’accompagnement 92

quelqu’un et de raconter encore ma vie, ça ne me dit rien. »

La fin de l’accompagnement est souvent marquée symboliquement, par exemple par un moment convivial où les professionnel.le.s sont invité.e.s au domicile, afin de partager un repas en famille. Des cadeaux peuvent également leur être offerts, en signe de gratitude, mais aussi pour laisser une trace du lien :

« Monsieur : Je leur ai offert une photo de mon mariage où on me voyait moi, (Madame) et (enfant), comme ça j’ai dit « vous nous oublierez jamais » ! ».

« Monsieur : On a pris vraiment le temps, on était venus avec une grosse boite de chocolats pour tout le monde. On a vraiment pris le temps de partir. On n’a pas fait « bon merci et au revoir » ».

« Madame : J’avais fait des desserts et j’avais préparé des cadeaux pour la directrice, la psychologue, (réferente), la remplaçante et (référent), les cinq. (…) En plus j’avais fait un sac cadeau pour les cinq avec des serviettes turques. On décore les serviettes, on les fait mains en dentelle avec des dessins et des écritures dessus. Une serviette pour le visage avec un gant de toilette que l’on fait nous-même. Il y avait des chaussettes pour l’hiver que l’on fait nous- même et un foulard je crois aussi pour chacun. C’était un petit remerciement. »

Comme mentionné plus haut, pour une famille la clinique de concertation a clôturé la prise en charge en présence de ses proches et des différents intervenants sociaux.

Et dans certains cas, l’entretien de recherche a eu valeur de contre-don. Le fait d’être passé par l’institution pour solliciter l’accord des personnes a bien sûr renforcé cet effet, comme le relate certain.e.s référent.e.s : « c’était difficile pour elle d’accepter. La première réponse qu’elle a donnée, c’est non. Après elle a dit « je le fais parce que c’est vous ». »

5.5.3. Le devenir des liens après la fin de l’accompagnement  

Au fils du temps les contacts s’espacent, les familles appellent de temps à autre, ou font une visite au centre parental pour donner des nouvelles, informer des évènements importants (grossesse, naissance, obtention du permis de conduire, emploi…). De menues attentions viennent rappeler le lien, tels les SMS envoyés pour les fêtes de fin d’année ou la fête des mères :

« Monsieur : ça a fait bizarre. Madame : Oui bizarre.

Monsieur : On est quand même restés trois ans ici.

Madame : J’avais peur, c’est comme si tu t’envoles tout seul. Tu n’as plus d’accompagnement, ni rien.

Monsieur : On l’a été encore un petit peu. Après, quand le contrat s’est arrêté, on a demandé qu’on soit encore un peu suivis pour les débuts dans notre appartement pour les papiers, donc on a été suivis pendant encore peut-être six mois et puis ça s’est arrêté. On se téléphone encore. Il n’y a pas longtemps, je les ai appelés pour faire un petit coucou et pour parler un peu de notre situation. Ça leur fait plaisir, mais ça nous fait plaisir aussi.

Madame : Ca leur fait plaisir aussi de savoir que les familles ont évolué et que grâce à eux, elles s’en sortent. « Ah ben ils ont déménagé, ah ben le petit va bien, ah c’est bien. » »

Certaines situations peuvent être sources de confusion comme celle de cette femme accompagnée par un service d’accompagnement lié au logement, dans les mêmes locaux que le centre parental.

« L’assistance sociale de (bailleur social), je la voyais parce que l’accompagnement est fini, je la voyais toutes les deux semaines pendant un an et demi. Après ça aurait pu être plus court, ça aurait pu être plus espacé, moins souvent sur un temps plus court. (…) Moi, j’ai demandé à ce que ce soit comme ça parce que j’en avais besoin, parce que ça me rassurait. Je ne voulais pas partir du centre parental. Ils ont dit « Vous êtes prête, vous n’avez plus besoin de nous », « Mais si j’ai encore besoin !». « Mais non, vous n’avez plus besoin !» (rire). Je ne voulais pas partir et le fait de me dire « Oui, mais vous savez, vous avez une assistante sociale qui va venir souvent, qui va vous aider ». Ça a aidé, ça a adouci un petit peu.

« On ne veut plus vous voir, vous n’avez plus besoin de nous ». Voilà c’est comme Nanny McPhee Vous connaissez le film Nanny McPhee ? C’est ça : « Tant que vous ne voulez pas de moi, mais que vous avez besoin de moi, je reste et du jour où vous voulez de moi, mais que vous n’avez plus besoin de moi, c’est fini ». C’est exactement ça. »

Dans l’une des structures, en raison de difficulté liées au relogement, quelques familles restent dans le logement loué par le service au-delà de la prise en charge administrative, en attendant le relogement. Dans ces situations, les professionnel.le.s questionnent le statut de leurs interventions.

« La prise en charge s’est arrêtée depuis un moment, voilà. Donc, on est aussi dans un dilemme où on les a pas lâchés malgré… on a fait du bénévolat là ces derniers mois. On fait du bénévolat, même actuellement, je monte un dossier FSL — on n’est pas payés pour ça, on n’a plus de prise en charge — depuis longtemps ».

Dans d’autres situations, les personnes accompagnées elles-mêmes s’interrogent sur le devenir des relations établies et sur ce qu’elles autorisent, comme le rapporte cette psychologue à propos d’un père ayant des difficultés à investir un nouveau suivi :

« Donc ça nous arrive et c’est ce qui s’est passé là, de pouvoir discuter encore avec lui et je pense que c’est nécessaire. Après, pour moi, ce n’est pas parce qu’il y a un accord de prise en charge qui s’est arrêté que je me refuse d’écouter. Je ne veux surtout pas, peut-être faire des entretiens ici, même si je peux en avoir un occasionnellement, mais (père) tout à l’heure me parlait et me disait « je ne comprends pas que vous nous ayez invité demain à la fête des familles » alors, je lui ai dit « mais pourquoi tu ne comprends pas, explique moi. », « ben parce que la prise en charge est terminée » et je lui dis « mais vous êtes des êtres humains et c’est un moment convivial, c’est un moment où on peut parler de votre évolution, de ce qui s’est passé, donc il y a eu une prise en charge, un travail qui a été fait, mais rien ne nous empêche de pouvoir maintenir du lien entre adulte et puis dès fois des conseils, ça peut arriver. »».

Ce que la fin d’accompagnement vient interroger, au-delà d’une autonomie matérielle (accéder à un logement, s’y maintenir en payant son loyer) et quotidienne (être en capacité de gérer la vie quotidienne et de solliciter les services pertinents en cas de besoin), c’est l’existence d’un réseau de soutien social et affectif, et l’autonomie psychique et relationnelle. L’accès à cette forme d’autonomie est parfois difficile pour les personnes accompagnées en centre parental, fussent-elles en couple. Ce constat rejoint celui fait par Séverac et Moisset concernant des jeunes adultes sortant de famille d’accueil : « Définir sa propre trajectoire n’implique pas d’être seul, mais au contraire une capacité de dialogue qui s’exerce d’abord en lien avec des proches, avant de pouvoir être mise en œuvre dans son for intérieur. Si les jeunes sortants de l’ASE sont défavorisés dans cet apprentissage, ce n’est pas seulement parce qu’on exige d’eux une indépendance précoce, mais aussi parce que la prise en charge les soumet à des incertitudes particulières, consistant en aléas et en conditionnalité quant aux liens susceptibles d’être noués et conservés. » (Séverac & Moisset, 2015) Les parents ont eu besoin d’un lien solide pour se construire comme parents avec leur enfant. L’engagement des professionnel.le.s dans la relation leur a permis de cheminer vers une autonomie en tant que

parents et jeunes adultes. Si les liens noués lors de l’accompagnement sont conditionnés à la prise en charge, sur quels liens les personnes pourront-elles s’appuyer par la suite ?

Dans la plupart des familles, il y a des grands-parents, des oncles, des tantes, quand on a un souci, une question, on peut en parler et se sentir soutenu. Comme l’ont exprimé certains parents, il est plus délicat de parler de l’éducation des enfants ou de son couple avec des amis qu’avec la famille. Le besoin de se sentir soutenu affectivement et socialement est bien présent après la fin de l’accompagnement. Les relais vers des services institutionnels traditionnels comme les centres de Protection maternelle et infantile, les Centres médico- psychologiques, ne remplissent pas cette fonction et sont souvent voués à l’échec, les parents ne retrouvant pas le type de relation qu’ils recherchent.

Cela vient finalement interroger le statut des relations fortes tissées entre les parents et les professionnel.le.s au cours d’accompagnement longs, globaux et en grande proximité. Les professionnel.le.s des centres parentaux ne proposent pas une simple prestation de service, mais, dans certaines situations, remplissent une véritable fonction de suppléance familiale (Durning, 1995), non pas à destination des mineurs qui seraient pris en charge, mais en direction de jeunes couples vivant une transition à la parentalité. Ainsi, plus l’accompagnement est mis en œuvre dans une situation qui se rapproche du droit commun, de la situation ordinaire de toutes les familles, plus on met en évidence la carence ou la faiblesse du réseau de soutien social et affectif des personnes accompagnées, et en particulier la difficulté (voire la rupture totale) des relations avec les familles d’origine.

6. Accompagner des couples dans la transition à la parentalité :