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Des liens forts qui suscitent des émotions et interrogent le cadre de

5.   Regards croisés sur l’accompagnement 61

5.4.   Un engagement fort des acteurs 83

5.4.4.   Des liens forts qui suscitent des émotions et interrogent le cadre de

Ce type d’accompagnement expose les professionnel.le.s à de nombreuses émotions, également évoquées dans les entretiens. Leur travail quotidien s’apparente ainsi à un « travail émotionnel », où les émotions ressenties servent de matériau de travail (Amadio & Bringout, 2011). Le partage et l’expression de ces émotions, avec les collègues ou avec les familles, permettent de réaliser un travail d’aide à la relation, qui est finalement l’enjeu même de l’accompagnement de ces familles.

Les émotions ressenties en cours d’accompagnement sont variées, positives et négatives. Dans certains cas, l’accompagnement est vécu comme gratifiant, intéressant, enrichissant :

« Et puis, et puis en fait, eh ben assez vite, et puis, c’est une évolution fabuleuse, enfin, c’est vraiment fabuleux d’avoir… C’est un parcours fabuleux. »

« C’était très enrichissant parce que c’était très complexe. »

« C’était très intéressant, du coup, il y a un lien qui s’est fait assez rapidement, quoi. Enfin, le lien avec Madame a été assez rapide parce que des échanges intéressants, parce qu’elle comprenait les choses. »

Certains hommes, souvent en grandes difficultés, sont qualifiés de « touchants » par les professionnelles :

« Il était très touchant quand il parlait de ses filles. »

« C’est un homme qui m’a toujours touchée, c’est-à-dire, même si il a pu être horrible par moment, mais je sais bien que c’est toutes ses angoisses qui l’envahissaient et qu’à ce moment-là, tout ce qu’il dit, il ne le pense pas et voilà. Il n’arrive pas à se contrôler »

« On se souvient de lui arrivant avec ses deux gros sacs, tous ses papiers, toute son histoire. Il était touchant. »

En cours d’accompagnement, des sentiments d’inquiétude, de peur, de stress, de colère, de malaise, de déception… peuvent également être ressentis.

« En fait, c’est une famille qui, particulièrement lui, terrorisait. Il terrorisait par tout d’un coup, son emballement, pris par ses angoisses qu’il pouvait avoir vis-à-vis de l’équipe. »

Ces émotions peuvent être contradictoires puisque les professionnel.le.s sont confronté.e.s au moins à trois personnes différentes (l’enfant, la mère, le père), voire davantage lorsqu’il y a plusieurs enfants. Les questionnements des professionnel.le.s sur le fait d’être resté.e.s ou non « dans le cadre » de l’accompagnement sont très nombreux, et se retrouvent dans toutes les structures :

« C’est un peu un accompagnement sur mesure. Je le dis un peu comme ça, mais… Ouais, on n’a pas été dans ce qu’on peut exiger aux autres familles. »

« C’est-à-dire qu’en plus qu’ils étaient séparés, il fallait aller la chercher, autrement on la voyait pas, ce qu’a beaucoup fait ma collègue. Elle allait vers elle, elle ne venait jamais vers nous. Donc, très, très régulièrement, c’était le sujet : «  Doit-on continuer ou pas  ?  ». J’ai connu ça pendant deux ans : «  Doit-on continuer ou pas  ?  » N’empêche qu’on continuait. »

Ces questionnements et ces émotions sont mis au travail dans le cadre d’échanges au sein de l’équipe :

« Des fois, ça c’est compliqué de dire et de réagir avec ses émotions, parce que monsieur comme il est parti voir une autre femme, c’était un peu compliqué aussi de ne pas réagir de façon à prendre partie, parce que la situation fait qu’on se dit « mais quel salaud quand même ». Ça il faut travailler sur soi, parce que ce n’est pas forcément évident ça. Tout l’intérêt de l’équipe quand on a ce genre de situation, on peut se lâcher et se dire « mais merde quand même, ce n’est pas honnête de sa part ».

Les référent.e.s unique.s que nous avons recontré.e.s ont souvent d’ailleurs mentionné la difficulté à intervenir seul.e.s au sein d’une famille. Ils et elles s’appuient entre autre sur les psychologues, mais font également plus souvent intervenir les chef.fe.s de service dans le cadre des accompagnements que leurs collègues intervenant en binôme.

Trois équipes sur quatre bénéficient de supervisions ou d’analyses des pratiques régulières avec un intervenant extérieur. Dans deux structures, des références théoriques communes permettent de donner un cadre à ces échanges, néanmoins, au cours des entretiens, ce ne sont pas ces références qui sont mobilisées par les professionnel.le.s pour expliquer leur travail émotionnel, mais plutôt la manière dont ils ou elles s’appuient sur ces moments de supervision pour communiquer ensuite avec les parents accompagnés sur leur propre vulnérabilité :

« Je me souviens lui avoir dit ça un jour de visite à domicile où j’arrive et où je me refais embarquer « est ce que vous pourriez faire ci, est ce que vous pourriez faire ça » et je lui dis

« il faut que je vous raconte quelque chose » et je lui ai raconté cette analyse des pratiques et cette impression que j’avais d’être prise pour une imbécile, je lui ai dit « je ne peux pas vous le dire autrement, j’ai vraiment l’impression que vous me prenez pour une imbécile » et ça a changé plein de choses. Ça m’a changée moi, dans ma posture, mais du coup ça a changé la relation que l’on a eue avec cette dame et après tous ces évènements les uns derrière les autres, c’est une des familles avec laquelle on est allés vraiment loin et dans l’exploration de la relation parent / enfant et dans ce qu’on a vraiment pu travailler avec eux. »

Ce partage des ressentis avec les familles est alors ce qui permet de créer l’authenticité de la relation évoquée plus haut, mais également de développer chez les parents accompagnés la reconnaissance et la prise en compte de leur propres émotions, enjeu important pour le soutien à l’ensemble de la dynamique familiale, parentale comme conjugale.