I. INTRODUCTION :
7. Modalité de la TME et impact de la variabilité virale :
7.3. Transmission post-partum :
Dans les pays industrialisés, depuis 1985, l’allaitement est déconseillé aux femmes
séropositives pour le VIH (206). Dans les pays en développement, il est difficile de conseiller
aux mères séropositives de ne pas pratiquer l’allaitement, essentiellement parce que le
colostrum et le lait maternel protègent le nouveau-né contre la plupart des maladies infantiles
(207), mais aussi à cause du coût des aliments de substitution et de la stigmatisation générée
par l’allaitement artificiel (208). Par ailleurs, la transmission postnatale précoce est importante
et 1/5 des enfants non infectés à la naissance pourrait être infecté dans les six premiers mois
de vie s’ils sont allaités par une femme infectée par le VIH (209).
Cependant, la transmission par l’allaitement maternel peut survenir pendant toute la
durée de l’allaitement et la transmission postnatale tardive doit être prise en compte dans
l’élaboration des interventions de PTME (210, 211). Une méta-analyse menée par le groupe
de Gand incluant huit études de cohortes a estimé que le risque de transmission postnatal
tardif (après 2,5 mois de vie) était de 3,5 cas par an pour cent enfants allaités par une mère
infectée pour le VIH (212). Il est plus élevé en cas de séroconversion pendant l’allaitement
(213), en cas d’immunodéficience maternelle (CD4 bas et charge virale élevée), en cas de
mastite, même subclinique, d’abcès ou de crevasses (15, 213) (cfr infra).
7.3.1. Histologie de la glande mammaire :
Le sein comporte quatre types de tissus : glandulaire, adipeux, vasculaire, et tissu de
soutien fibreux. Le tissu glandulaire est composé de 10 à 20 lobes, eux-même composés de
lobules bordés de cellules épithéliales sécrétoires responsables de la sécrétion lactée. Les acini
sont entourés de cellules myoépithéliales, qui se contractent pour éjecter le lait dans les
canaux lactifères, jusqu'au mamelon. Mamelon et aréole sont situés dans une région riche en
Figure 8 : coupes histologiques des tissus mammaires :
Acinus mammaire avec cellules épithéliales à activité sécrétrice apocrine ; des extrusions cytoplasmiques sont observables vers la lumière. Une couche de cellules myoépithéliales dont certaines sont vacuolées est visible.
Coloration des cellules myoépithéliales autour de l’acinus mammaire. Ces cellules sont contractiles et très sensibles à l’ocytocine.
muscles annulaires, dont la contraction provoquera l'érection du mamelon et l'éjection du lait
hors des sinus lactifères (figure 8).
7.3.2. Variabilité virale et transmission par l’allaitement :
Concernant la variabilité virale et la transmission par l’allaitement sensu stricto, très
peu d’études ont été réalisées. Une étude qui portait sur trois couples mère-enfant, dont les
mères avaient séroconverti durant la période post-partum a cependant démontré que les
variants présents chez les enfants étaient des variants mineurs dont la diversité génétique
s’accroissait au cours du temps, dans les gènes des protéines env (boucle V3) et gag (p17)
(215). Mais le même groupe, après une étude élargie à un effectif plus important, a mis en
évidence un couple mère-enfant dont la population virale était hétérogène (1,4 à 2,8% pour la
boucle V3 et 1,0 à 1,9% pour la P17) (216).
Une étude récente réalisée par Pierre Becquart et ses collaborateurs a comparé la
diversité des séquences de l’enveloppe VIH dans le sang et le lait de trois femmes infectées.
Deux d’entre elles avaient dans leur lait un variant majeur qui était peu présent dans le sang.
Deux femmes exprimaient, parmi les variants libres du lait maternel, un virus qui n’était pas
retrouvé du tout dans le sang. De même, les variants libres (ARN) du colostrum des trois
mères étaient différents des variants ADN proviraux. Ceci démontre que les pressions
exercées à l’intérieur du compartiment de la glande mammaire sont différentes de celles
exercées dans le sang, vraisemblablement à cause d’une différence immunitaire locale,
notamment dans la production d’Ac (124).
7.3. 3. Virus libres ou formes provirales :
Par ailleurs, il a été estimé par PCR, que 0,1 à 30% des cellules du lait étaient
infectées par le VIH (217). Il a également été démontré in vitro que ce serait plus
vraisemblablement les formes virales cellulaires qui seraient responsables de la transmission
par l’allaitement. Cependant, plusieurs études ont montré que les formes virales libres sont
associées avec la TME (121, 218, 219). Il semble donc vraisemblable qu’à l’intérieur même
des glandes mammaires, une activation des cellules porteuses du virus aient lieu.
Il a été évalué que, globalement, les macrophages sont les cellules les plus infectées
parmi le pool de cellules présentes dans le lait maternel. Dans le colostrum et le premier lait
se trouvent 0,1 à 1% de macrophages et de cellules T capables de produire du virus en culture
in vitro. Cependant, lorsque ces cellules sont mélangées à de la salive, elles éclatent (220),
vraisemblablement à cause des propriétés d’hypotonicité de la salive (221).
L’origine même du VIH dans les glandes mammaires est sujette à différentes
hypothèses. Du virus libre peut provenir du compartiment systémique, surtout en cas
d’inflammation de la glande mammaire (cfr infra). Cette hypothèse a été proposée en raison
de l’infectiosité accrue du lait maternel en période de primo-infection maternelle (217).
Cependant, le polytropisme du VIH est compatible avec une production virale par des cellules
non lymphoïdes, comme les cellules épithéliales de la glande mammaire. In vitro, les cellules
ductales et alvéolaires de l’épithélium mammaire humain peuvent être infectées et produire du
VIH-1 (220). Ce phénomène est modulé par l’action de certaines hormones comme la
tri-iodothyronine, le β-oestradiol et la prolactine. Certains variants auraient-ils un tropisme
particulier pour ce type de cellules ? Quoi qu’il en soit, il apparaît que certains variants libres
ou cellulaires ont la propriété de franchir les membranes mammaires, de pénétrer les canaux
galactophores et d’être transmis à l’enfant.
7.3.4. Immunologie du compartiment mammaire associée au VIH et à la TME :
Contrairement à ce qui se passe chez l’animal (222), les Ac maternels provenant du
lait ne pénètrent pas la circulation sanguine du nouveau-né chez les humains (223). L’effet
protecteur du lait provient essentiellement des IgA sécrétoires générées par l’environnement
pathogène de la mère, et qui servent de premières défenses des muqueuses de l’enfant comme
de l’animal (223, 224).
Dès lors, deux axes majeurs peuvent être déterminés dans le transfert de cette
immunité spécifique: l’axe entéro-mammaire (à partir du GALT) et l’axe broncho-mammaire
(ou respiratoire) (à partir du MALT) (225). Les cellules M y jouent un rôle important dans
l’induction de l’immunité spécifique à partir des sites muqueux effecteurs (226). Elles
représentent environ 2% des cellules épithéliales des plaques de Peyer et sont présentes
également dans le tissu lymphoïde nasal et les amygdales (225). Elles induisent une réponse
spécifique via l’un et/ou l’autre des deux axes majeurs par la « présentation » des bactéries,
virus ou vaccins aux cellules T et B. Ces dernières produisent des IgA dimériques et des IgM
pentamériques qui migrent et se fixent (« homing ») vers les surfaces basolatérales des
cellules épithéliales de la glande mammaire pour s’y lier à des récepteurs polymériques
(pIgR), grâce à la présence de chaîne « J » (226, 227). Un transport actif des Ig liées au pIgR
via des endosomes a lieu jusqu’à la surface apicale. Le passage vers la lumière a lieu après le
clivage du pIgR dont un résidu de 80 kDa forme un « composant sécrétoire » lié de manière
covalente aux Ig qui les protége de la dégradation par des enzymes protéolytiques (228, 229).
Les S IgA sont les immunoglobulines les plus présentes dans le lait maternel, suivies des S
IgM et IgG. La concentration en S IgA est plus importante dans le colostrum (12 mg/ml) que
dans le lait mature (1 mg/ml) et un enfant allaité dans des conditions normales ingère 0,5 à 1
g/J de S IgA (223). Leur rôle majeur est de réaliser l’exclusion immune. Cependant, dans une
étude réalisée au Rwanda auprès de 208 mères infectées par le VIH, Van de Perre et al ont
démontré que les S IgA spécifiques du VIH n’étaient pas prédominantes dans le lait maternel.
Les IgG anti-VIH probablement originaires du compartiment systémique de même que des
IgM sécrétoires (S IgM) étaient les plus présentes (217). Néanmoins, la transmission la plus
importante fut corrélée d’une part à la présence virale et d’autre part, à la déficience en S IgA
spécifiques du VIH. A l’opposé, l’absence d’infection était associée à la persistance d’une
réponse de type S IgM spécifique du VIH-1.
Mais, dans le contexte de l’infection par le VIH et de la TME, le paradoxe est que le
transfert de l’immunité protectrice est également une voie d’infection du virus (217).
Dans le document
ETUDE DE DETERMINANTS DE LA TRANSMISSION DU VIH DE LA MERE A L’ENFANT AU BURKINA FASO
(Page 77-83)