I. INTRODUCTION :
7. Modalité de la TME et impact de la variabilité virale :
7.1. Transmission in utero :
7.1.1. Modulation des mécanismes immunitaires maternels durant la grossesse :
Les cellules maternelles et fœtales s’échangent au-travers de la membrane placentaire
durant la grossesse (125, 126, 120), ce qui signifie que des mécanismes qui bloquent la
réponse immunitaire contre les alloantigènes fœtaux doivent se développer. Ces mécanismes
affectent aussi bien la réponse immunitaire innée non spécifique que les réponses adaptatives
spécifiques (127). Globalement, le nombre de granulocytes augmente (128), le nombre de
lymphocytes diminue et les monocytes restent en nombre constant (129). Cependant, ces
derniers sont activés et expriment en surface un grand nombre de molécules d’adhérence
(CD11a, CD11b, CD54) qui jouent un rôle important dans la médiation leucocytaire aux
stimuli inflammatoires et dans les interactions de cellules à cellules (129, 130). De même,
l’expression du récepteur Fc des IgG (FcγR-1, CD64) sur les monocytes, qui génère la
phagocytose et la destruction des microorganismes, est augmentée. MIC-1 (macrophage
inhibitory cytokine 1) et la néoptérine, des marqueurs de l’activation des monocytes, sont
également en augmentation (131, 132). Ces molécules pourrait aussi être des activateurs de
NF-κB qui est un activateur de la transcription du VIH (127).
Par ailleurs, la susceptibilité accrue à certaines infections virales durant la grossesse, et
à des agents pathogènes intra-cellulaires, comme Listeria – qui est résistant à la phagocytose
par les monocytes – serait due à une baisse de l’activité des cellules T (133-135). Au
contraire, les cellules B restent fonctionnelles ainsi que la production d’anticorps (134),
vraisemblablement, par l’augmentation d’IL4, IL5 et IL10, qui renforcent la réponse
humorale. Ceci engendre un switch de la réponse immunitaire de type 1 (production d’IFN-γ,
de TNF-α, et d’IL2) au profit de la réponse de type 2. Ceci inhibe la réponse immunitaire
cellulaire T qui pourrait être destructrice pour le fœtus (136, 137), bien qu’il ait été démontré
que l’IFN-γ est indispensable pour le développement des tissus placentaires et la défense
contre certains pathogènes létaux pour le fœtus (138, 139). Par ailleurs, la présence de
facteurs immunosuppressifs dans le sérum de femmes enceintes a été démontrée (140).
Globalement, il apparaît donc que l’équilibre de l’homéostasie durant la grossesse est
rompu au profit de l’activation des capacités monocytaires, et au dépens de la réponse T et
NK qui pourtant sont en grand nombre à l’interface materno-fœtal (125).
7.1.2. Timing de la transmission in utero :
La transmission précoce in utero du VIH-1 semble rare comme l’a montrée une étude
de l’infection des thymus de cent fœtus provenant de mères infectées et ayant avorté
spontanément, où seuls deux fœtus avaient été détectés positifs par PCR au deuxième
trimestre de la grossesse (141). Parmi les enfants non allaités au sein, infectés par le VIH-1, il
semble qu’environ un tiers ait acquis l’infection in utero (principalement pendant le 3
èmetrimestre de la grossesse) et 2/3 pendant le travail et l’accouchement (142).
7.1.2. Histologie du placenta :
Le placenta est un organe spécialisé dans les échanges entre la circulation maternelle
et le fœtus (figure 6). La barrière placentaire qui sépare le sang maternel et fœtal est composée
de deux couches de trophoblastes, du tissu conjonctif du villus chorionique et de
l’endothélium du vaisseau sanguin fœtal. Elle est très fine surtout en début de grossesse, et
s’étend au cours de la grossesse. Les trophoblastes sont des cellules qui ne possèdent pas
d’antigène du CMH de classe II ce qui permet la « tolérance » du placenta par la mère. Les
syncytiotrophoblastes n’expriment pas d’antigène du CMH de classe I ni II (143).
7.1.3. Mécanismes potentiels de la transmission in utero :
Potentiellement, l’infection du fœtus peut survenir selon quatre modes différents : par
l’infection des trophoblastes, par l’infection des cellules du stroma après transcytose, à cause
de lésions placentaires ou à cause d’une chorioamnionite (infection ascendante).
Comme pour les autres compartiments physiologiques, peu de choses sont connues sur
les mécanismes de passage du virus dans l’utérus. On ne sait pas avec certitude si le virus
libre infecte plus particulièrement certaines cellules, ou si un contact de cellule à cellule est
nécessaire, bien que du virus ait été détecté in situ dans les cellules syncytiotrophoblastiques
du placenta, dans les cellules de Hofbauer et dans les macrophages placentaires (144-148),
mais d’autres études ont présenté des résultats contradictoires (149, 150). Vraisemblablement,
l’identification cellulaire représente une étape cruciale et des contaminations par des cellules
maternelles infectées ont pu biaiser les études mettant en évidence des cellules
trophoblastiques infectées (150). De plus, les trophoblastes n’expriment pas de récepteur CD4
(151-153), ni les corécepteurs CCR5, CXCR4, CCR3, CR2b et Bonzo lorsqu’on approche du
terme de la grossesse (154), au moment auquel se font les transmissions materno-fœtales.
Il semble donc que la transmission pourrait préférentiellement se dérouler selon un
principe indépendant des CD4 comme la transcytose, après fixation à un récepteur Fc d’un
complexe immun, par exemple. La présence de tels récepteurs sur les trophoblastes a été
documentée (155), et la transcytose de virus cellulaire, mais pas de virus libre, au-travers
d’une barrière trophoblastique a été démontrée in vitro. Le virus pourrait alors se propager
vers les cellules du stroma, comme les cellules de Hofbauer, des macrophages placentaires qui
expriment les récepteurs CD14 et CD4, mais pas CCR5 ou CXCR4 (156-158).
Par ailleurs, il a été démontré que les lésions placentaires ne constituent pas un facteur
indépendant significativement associé à la transmission materno-fœtale (159). De même, la
chorioamnionite, une inflammation des membranes extraplacentaires, du chorion et du cordon
ombilical, est plus fréquente chez les femmes infectées par le VIH (43% versus 20% au sein
d’un groupe de femmes non infectées par le VIH), mais aucune association formelle avec la
TME du VIH n’a été mise en évidence (160).
Cependant, l’incapacité du placenta à préserver l’intégrité totale du fœtus et la
démonstration de passage de cellules entre la mère et le fœtus a été faite à plusieurs reprises
(148). Il est donc possible que des cellules infectées par le VIH profitent de lésions dans la
couche syncytiotrophoblastique pour gagner le fœtus (159).
7.1.4. Transmission de souches SI versus NSI :
Une sélection négative semble avoir lieu au niveau du placenta qui permet à certains
variants de franchir la membrane placentaire et d’infecter le fœtus (162). Plus
vraisemblablement, il s’agit de variants à tropisme macrophagique R5 – souches NSI qui
utilisent le corécepteur CCR-5 – qui seraient capables de traverser la membrane et d’infecter
le fœtus (163-167), bien que trois études italiennes aient montré la transmission d’un
phénotype SI (ou X4, c’est-à-dire utilisant le co-récepteur CXCR4 favorisant le tropisme
lymphocytaire), qui fut associée avec une évolution plus rapide de la maladie de l’enfant (8,
168-169). Mais, dans ces études bien souvent, aucune distinction en fonction du « timing » de
la transmission n’a été réalisée (pas de distinction entre transmission in utero, peri-partum et
post-partum). Dans un travail qui tenait compte du timing de la transmission,
Tscherning-Casper et son équipe ont proposé l’hypothèse d’une transmission préférentielle via des lésions
placentaires. Selon eux, il n’y aurait pas de sélection de virus au niveau du placenta. Cette
sélection s’opérerait plutôt chez le fœtus où il semble que seuls des virus R5 se multiplient
dans un premier temps, bien que des virus X4 soient probablement présents sous forme de
populations minoritaires (170).
7.1.5. Passage de variants mineurs ?
Pour certains, il semble que ce soit un variant « mineur » parmi le pool de variants
maternels, qui soit capable d’infecter et/ou de se multiplier dans le fœtus (116-118, 165)
comme démontré dans plusieurs études sur des effectifs très réduits (dix couples
mères-enfants au total). Par ailleurs, plusieurs études ont présenté des résultats contradictoires, où
des variants multiples ont été transmis, mais à nouveau, ces études portaient sur des effectifs
réduits, de quatre couples mère-enfant pour deux d’entre elles, d’une mère et deux de ses
enfants infectés, de trois couples mère-enfant (171-173).
Seule une étude thaïlandaise a porté sur des effectifs plus importants, à savoir 17
couples mère-enfant et cette étude a mis en évidence la transmission de variants mineurs,
comme de variants multiples (174).
Figure 7 : Présentation des variations histologiques du cervix, potentiellement
impliquées dans une différentiation de l’infectiosité du VIH :
Zone de jonction et de transformation du cervix (transition entre un épithélium pavimenteux stratifié en épithélium simple)
L’exocervix ou ectocervix (ex), est recouvert par une extension vaginale de l’épithélium pavimenteux stratifié. Oscj (original squamocolumnar junction) représente la transition entre cet épithélium et un epithelium monocouche de l’endocervix (en) extrêmement fin.
Des cryptes invaginées abritent des cellules secrétrices de mucines (tubular-branching glands tbg) à production maximale juste avant ovulation. Le stroma du cervix est composé de tissu collagène et de nombreux
lymphocytes CD8+ et CD4+ et de cellules inflammatoires. Des hormones et d’autres facteurs altèrent la forme et le volume du cervix ce qui peut faire s’étendre la zone épithéliale mono cellulaire à l’exocervix pour former ce qu’on appelle l’ectropion (ect). Ce phénomène se déroule notamment durant la grossesse, après l’accouchement pour les femmes au terme d’une première grossesse avec une zone de transformation cervicale particulièrement immature qui peut persister de longues périodes. L’ectopie est associée au risque de transmission du VIH. [immature metaplasia (im), cervical transformation zone (ctz), new squamocolumnar junction (nscj), mucous (Nabothian) cysts (nc)]
Des phénomènes d’inflammation peuvent avoir lieu dans des zones érodées de l’épithélium submuqueux [shallow ulcerations (su)] provoquant une cervicite. Par exemple, l’infection herpétique est associée à de profonds ulcères [herpetic epithelial ulcers (huc)] avec infiltrations lymphocytaires. Les infections Chlamydia trachomatis génèrent des lymphoid germinal centers (lgc) et érodent la membrane basale exposant les mononucléaires inflammatoires à la lumière vaginale. [epithelial erosions (er), chlamydial inclusions (ci),
microabscesses (ma)]
D’après Jacobson DL, Peralta L, Farmer M, Graham NM, Wright TC, Zenilman J. Cervical ectopy and the transformation zone measured by computerized planimetry in adolescents.Int J Gynaecol Obstet1999, 66:7-17.