• Aucun résultat trouvé

transitions et limites entre domaines bioclimatiques

Les paysages végétaux à partir desquels le modèle zonal s’est construit sont trompeurs ; à tout le moins, ils laissent le plus souvent perplexes sur la fidélité avec laquelle ils traduisent la correspondance climat - végétation. Pour le montrer, je m’appuierai sur quelques exemples qui bousculent nos vérités cartographiées. La signification écologique prêtée à bon nombre de physionomies de la végétation prend, en effet, mal en compte l’ampleur des transformations liées à l’utilisation directe ou indirecte de la ressource végétale ou, tout simplement, du pays, par les sociétés humaines. Du coup, les limites des biomes et les limites bioclimatiques qui se superposent dans le modèle zonal « idéal » présenté dans le chapitre 1 divergent plus ou moins radicalement au point que la plus grande incertitude règne (2.1.1). L’écart peut être, suivant les cas, infime ou porter sur des décalages de plusieurs centaines de kilomètres, ce qui est tout de même bien embêtant lorsque les cartes servent de référence pour prendre des décisions en matière d’aménagement, de gestion de la biodiversité, etc. Cela invite à remettre sur l’ouvrage cette question des limites bioclimatiques en l’envisageant sous d’autres formes que l’habituelle approche par les paysages végétaux. L’exercice est d’autant plus difficile que même les plus sévères vis-à-vis de l’approche physionomique42 finissent toujours par y revenir, ne serait-ce que, à l’amont, pour fonder leur échantillonnage ou, à l’aval, pour dessiner des contours sur les cartes de végétation.

L’homogénéité supposée des biomes doit, par ailleurs, être interrogée tant paraissent arbitraires certaines limites qui tranchent au sein d’ensembles de physionomie proche sinon identique alors que, dans le même temps, des formations végétales aussi dissemblables que les écosystèmes dont ils constituent l’émergence spatiale se trouvent assemblées (2.1.2). On me rétorquera qu’il s’agit là d’un simple effet de l’échelle considérée, que le simplisme des subdivisions du modèle zonal est à seule visée pédagogique et qu’il suffit de rentrer plus dans le détail pour que les nuances réapparaissent. Délaisser ainsi les échelles petites et moyennes me paraît une erreur ou plutôt une fuite devant un problème complexe auquel il a été donné une réponse trop simple : il y a bien une question régionale en biogéographie et en écologie et il est bon de l’aborder de front. Sur quelles bases peut-on opérer une régionalisation de l’espace bio-physique ? Une première réponse à cette question sera : certainement pas en considérant des régions écologiques homogènes. La mesure, la description et l’étude de l’hétérogénéité doivent être placées au cœur de cette régionalisation.

La remise en cause d’une démarche phytoclimatique fondée, à petite échelle, sur la physionomie de la végétation se fonde enfin sur la discussion du caractère statique des représentations cartographiques du modèle zonal. Ce qui est cartographié est tantôt le paysage observé, tantôt le paysage « potentiel », terme climacique de la dynamique de la végétation … Cette

42 Les phytosociologues par exemple (G

51

dynamique n’est vraiment envisagée que sur le temps court des successions végétales alors que la structure spatiale d’ensemble change sur un tout autre temps et selon des modalités très différentes (ALEXANDRE et GENIN, 2005). Les travaux qui commencent à aborder ces questions, notamment pour envisager les conséquences du changement climatique global sur la biosphère, y répondent généralement en déplaçant les ensembles paysagers en latitude ce qui ne me paraît guère satisfaisant et je montrerai pourquoi à partir de l’exemple des paysages forestiers français au contact de plusieurs domaines bioclimatiques (2.1.3).

Le recours à la flore, au contenu botanique de la végétation, apparaît dès lors inévitable. Il est classique, on l’a vu en introduction générale, d’accorder à la composition floristique le rôle de « reflet » du milieu. Dans son application géographique, cela signifie que la flore varie en même temps que varient les conditions écologiques. Toutefois, elle a surtout été étudiée, suivant une règle plus ou moins explicite, aux échelles fines qui emboîtent les groupements végétaux au sein des grands ensembles physionomiques : en somme, aux petites échelles, le paysage, aux échelles grandes, la flore ; le découpage en biomes identifiables à leur physionomie d’un côté, de l’autre la mosaïque des unités de végétation caractérisées par des ensembles d’espèces indicatrices. Singulier paradoxe qui confère au paysage une valeur générale alors qu’il est d’abord affaire d’appréhension visuelle et que celle-ci se place plutôt à l’échelle kilométrique. J’aurais ainsi tendance à inverser la perspective en réservant le paysage pour les analyses à l’échelle locale ou micro-régionale et en réhabilitant l’emploi de la flore pour les études régionales.

Ces échelles moyennes ont, de fait, été un peu délaissées après avoir beaucoup inspiré les auteurs classiques, de Louis EMBERGER (1930,1939,1943,1955) à Théodore MONOD (1973), de Carl TROLL (1939,1964) à Paul OZENDA (1985,1995,2002,2004), d’Henri GAUSSEN (1954) à Frank WHITE

(1986), pour ne citer que quelques noms et quelques ouvrages ou articles auprès desquels j’ai l’habitude de me ressourcer. En revanche, aux très petites échelles, la chorologie et la biogéographie historique ont beaucoup produit pour préciser, sur le temps long, la mise en place des flores. On notera ici le passage au pluriel. Le détail de cette histoire ne nous intéresse ici qu’indirectement ; en revanche, la manière dont les ensembles floristiques entrent en contact, en interaction dynamique, est l’une de mes interrogations majeures. Ainsi sera-t-il proposé, en se repositionnant à une échelle intermédiaire, de faire converger l’approche floristico-écologique et l’approche chorologique pour renouveler l’étude des limites et des transitions entre domaines bioclimatiques (2.2).

Encore faut-il s’assurer de la qualité de l’information floristique. Sa capacité à indiquer les variations du milieu doit être discutée. La notion d’espèce est, par ailleurs, au cœur de l’approche par la flore ; or, elle est entourée de bien des incertitudes, sans compter les difficultés propres à la reconnaissance botanique sur le terrain. Une clarification de la façon dont les espèces occupent l’espace géographique doit ainsi être menée dans ce chapitre.

2.1- Les insuffisances du découpage zonal

2.1.1 - Le paysage, indicateur médiocre du lien climat-végétation

Deux exemples des incertitudes liées à l’utilisation des paysages végétaux comme indicateurs d’un certain état du climat sont donnés ci-dessous. Ils concernent, l’un et l’autre, le statut des formations herbacées des domaines semi-arides. Ce ne sont pas là des exceptions qui confirmeraient la règle. Les paysages considérés sont simplement particulièrement pédagogiques pour poser la question du statut écologique de la végétation : les grands espaces vides qu’ils ouvrent au regard les font considérer dans l’imaginaire social comme une des représentations les plus fortes de la Nature dans ce qu’elle peut avoir de plus grandiose et d’austère ; pourtant, ils sont aussi le produit d’activités humaines que les faibles densités font parfois oublier mais dont l’emprise spatiale est considérable, l’élevage extensif notamment.

52

(a)- La steppe d’Alfa de l’Oriental marocain

En apparence, quoi de plus symptomatique de la plongée vers le désert que la traversée des hauts plateaux de l’Oriental marocain, par exemple en suivant la route d’Oujda à Figuig43. La diminution des précipitations moyennes annuelles de 340 mm à Oujda à 100 mm à Figuig avec une décroissance assez régulière passant par 190 mm à Aït Bni Mathar (anciennement Berguent : fig. 7) et 130 mm à Bouarfa. Les formations végétales s’accordent bien, en apparence, au passage du domaine bioclimatique méditerranéen au semi-aride et à l’aride, passage que la Carte phytogéographique du Maroc au 1:1 500 000e, dressée en 1939 par EMBERGER, restitue (fig. 7). Les contrastes thermiques restant forts avec un hiver qui interdit à la plupart des espèces tropicales de s’installer (hiver d’autant plus marqué par des coups de froid que l’on se situe à des altitudes déjà élevées : jamais au-dessous de 800 m et souvent au-dessus de 1 000 m). En quittant le bassin d’Oujda pour monter les pentes des monts de Jerada, les boisements à Pin d’Alep (Pinus halepensis) ou à

43

Route suivie lors du stage de l’UE Acteurs de l’environnement du Master professionnel Espace et Milieux (direction : Gilles BENEST, représentant l’UFR de Biologie et des Sciences du Vivant, et Frédéric ALEXANDRE,représentant l’UFR Géographie, Histoire et Sciences de la Société) en février 2008.

Figure 7 : Extrait de la carte

phytogéographique du Maroc au

1 : 1 500 000e (EMBERGER, 1939)

Groupements végétaux* représentés

(identifiés par les espèces dominantes) : (1)- (jaune clair) : Végétation désertique à flore saharienne

(2)- (jaune foncé) : Au Maroc oriental, Ziziphus lotus – Pistacia atlantica ou Stipa tenacissima – Artemisia herba-alba (4)- Quercus ilex (6)- Quercus suber (12)- Juniperus phoenicea (13)- Pinus halepensis (19)- Végétation halophile

Les signes surajoutés désignent les essences en mélange : autour de Melilla, Pinus halepensis ; autour de Taourirt, Tetraclinis articulata. *Emberger emploie l’expression dans un sens physionomique

53

Genévrier rouge (Juniperus phoenicea) sont souvent très dégradés en matorral mais on restitue assez bien, par l’esprit, les mosaïques sempervirentes méditerranéennes de la carte d’Henri ELHAÏ (op. cit.) ou le biome de la forêt sclérophylle de la liste de DANSEREAU (op. cit.). En abordant l’immensité des hauts plateaux, la steppe à Alfa (Stipa tenacissima) a, d’évidence, une forte puissance évocatrice (fig. 8). L’uniformité des nappes d’Alfa y est à peine tranchée, lorsqu’une pluie intervient44, par l’acheb, tapis fugace d’espèces à cycle végétatif court. Plus au sud, le tapis herbacé est de plus en plus discontinu et seuls les végétaux du désert résistent : xérophytes épineux comme Launea arborescens ou plantes en coussinet comme le « chou-fleur de Bou Amama » (Fredolia aretioides), espèce endémique du « golfe » saharien oranais (OZENDA, 2004).

Confirmant son caractère de formation zonale, BENABID (2000) décrit la steppe à Alfa comme le climax des Hauts Plateaux comme suit :

« L’Alfa est une graminée vivace qui organise des écosystèmes pratiquement sans arbres, et sur d’immenses étendues du Maroc oriental aride. Dans leur ensemble, ces steppes à Alfa se développent sur des sols bien drainés et plus ou moins rocheux (EMBERGER, 1939 ; BENABID et FENNANE, 1994). Les associations à Alfa sont essentiellement climaciques. Rares sont celles qui dérivent par dégradation des formations présteppiques à Genévrier rouge (Juniperus phoenicea ssp. turbinata), à Pin d’Alep (Pinus halepensis) ou à Thuya de Barbarie (Tetraclinis articulata). Les massifs à Alfa ont beaucoup régressé à cause de la dégradation (surpâturage, défrichements, incendies, …). »

Ce caractère « essentiellement climacique » de la steppe à Alfa est-il si évident ? La dominance de l’Alfa a été fortement favorisée par les hommes : d’abord utilisée par les populations locales pour la confection de nattes, de couffins, de cordages, la plante fit l’objet d’une véritable exploitation, durant la période coloniale, pour la fabrication du papier (GUITOUNI, in TROIN éd., 2002). L’Alfa a alors occupé une grande partie de l’espace régional, comme plante industrielle. Les alfatières sont aujourd’hui du domaine privé de l’Etat, la population locale ayant droit d’usage pour le parcours des ovins et pour les besoins domestiques. Ces dernières années, l’exploitation des terrains alfatiers a eu tendance à se réduire à ces usages, la demande sur le marché international ayant chuté. Si l’on suit Mohammed EL RHAZI (2002), la régression actuelle des steppes à Alfa est autant due au non entretien des alfatières qu’au pâturage excessif (dans une région où la présence d’un cheptel d’un million de têtes de petit bétail exerce une réelle pression sur la ressource végétale). Parallèlement, la

44 Ce qui était le cas le jour où nous y sommes passés.

Figure 8 : Entre Aït Bni Mathar

et Bouarfa, dans la traversée

des Hauts Plateaux de

l’Oriental marocain, la steppe d’Alfa (Alfa tenacissima) se mêle de plantes en coussinet du désert (Frediola aretioides)

54

réussite des plantations en Pin d’Alep, en dépit d’une succession d’années de faible pluviosité, peut faire douter du caractère radicalement asylvatique de la partie la moins aride de ces espaces.

Au fond, tout invite à en revenir aux formulations prudentes d’EMBERGER (1939) qui se bornait à opposer la steppe d’Alfa, présente sur sols rocheux et bien drainés, à la steppe d’Armoise blanche, le Chih (Artemisia herba-alba) qui « supporte d’avoir les pieds mouillés » et est, pour cela, dominant dans les dépressions argileuses. EMBERGER ajoutait :

« La steppe d’Alfa et l’Artémisiaie de Chih ne sont pas toujours climatiques45. La destruction des forêts sèches au voisinage des régions alfatières a favorisé l’extension de la Graminée et de l’Armoise. Les prairies d’Alfa peuvent ainsi représenter d’anciennes forêts de Juniperus phoenicea, parfois même de Callitris46 et même de Quercus ilex. L’étude de la composition floristique peut, dans ces cas, aider à résoudre le problème du caractère artificiel ou naturel de la nappe d’Alfa envisagée. »

Les signes qui ont subsisté et qui permettraient de trancher sont peu nombreux : EMBERGER

rappelle toutefois qu’il suffit de trouver ça et là « une souche de Chêne-liège, un moignon de Pistacia atlantica, indicateurs infaillibles de l’ancien état ». D’un point de vue bioclimatique, il interprétait ces régions semi-arides et arides comme appartenant au domaine méditerranéen dans la mesure où, même sévèrement réduite, la pluviosité restait centrée sur la saison froide. Il distinguait, dans ce qui est cartographié de façon homogène sur la figure 7, des étages47 méditerranéens semi-aride, aride et saharien, présageant l’existence de groupements intermédiaires entre la steppe climacique et la forêt. Derrière l’uniformité voire la monotonie d’un paysage, monotonie largement provoquée par l’exploitation de l’Alfa puis par le pâturage extensif, la flore (du moins ce qu’il en reste) enregistrerait la lente transition de la Méditerranée au Sahara.

En tout état de cause, le découpage sur la base du paysage n’est pas aussi évident qu’il y paraissait. En admettant même que des limites puissent être tracées sur des cartes à petite échelle, celles-ci apparaissent significatives … avec une marge d’erreur énorme de plusieurs centaines de kilomètres, la signification bioclimatique des formations étant sujette à des interprétations fort divergentes. De telles incertitudes rendent évidemment d’un intérêt réduit les cartes écologiques fondées sur la seule physionomie de la végétation.

(b)- Steppes de la Dobroudja

Un deuxième exemple permet de s’en convaincre pleinement ; il porte sur les steppes de la Dobroudja au sud-est de la Roumanie48 : à mesure que l’on s’enfonce vers le sud-est, dans le continent eurasiatique, les précipitations diminuent et l’on passe par paliers du biome de la forêt décidue tempérée à la prairie puis à la steppe (on dénomme ici steppe également les formations à tapis herbacé continu, la présence du genre Stipa étant déterminante). En fonction du climat, les botanistes et les phytosociologues roumains estiment, dans leur majorité, que la Dobroudja du centre est bien steppique (coll., 1975, coll., 1992, SANDA et ARCUS, 1995, SANDA, 2002). La transition entre les formations forestières serait réduite au minimum. Un des sites où ce contact a été le mieux étudié se situe à proximité du bourg de Babadagh (fig. 9). Le massif de Babadagh est présenté comme situé sur la limite phytoclimatique elle-même. La diversité des physionomies végétales, en accord ici avec la diversité des groupements végétaux, apparaît, de fait, remarquablement

45

C’est-à-dire, il s’en explique, des climax climatiques.

46 Callitris articulata = Tetraclinis articulata. 47

Sur l’emploi de ce terme par EMBERGER, voir chapitre 3.

48 Observations effectuées au cours d’un stage de février 2002 du DESS Espace et Milieux organisé dans le Delta du Danube et la

Dobroudja. Les informations sur lesquelles ce paragraphe s’appuie nous ont été données par Mihail PETRESCU de l’Institut de Recherches pour le Danube au cours de visites d’un terrain dont il est un remarquable connaisseur ; il a bien voulu aussi nous traduire et nous résumer les extraits les plus intéressants des ouvrages en langue roumaine, cités dans le texte.

55

pédagogique avec, se succédant, le long d’un gradient allant, sur quelques centaines de mètres, du mésophile au xérique (qui se dessine sur l’image reproduite à la figure 9) :

- sur le versant nord de l’élément de plateau qui domine le village et sur la partie sommitale de ce plateau (entre 200 et 300 m), ou bien s’insinuant, à l’inverse, dans les vallées plus humides et plus froides, la forêt mésophile de feuillus à Frêne (Fraxinus excelsior), Tilleul (Tilia platiphyllos) et à Charme (Carpinus betulus ) connaît un beau développement avec des arbres hauts, en relation, semble-t-il, avec des conditions hydriques plus favorables que dans le reste de la Dobroudja ;

- la forêt change beaucoup d’aspect dès que les conditions hydriques lui sont moins favorables, ce qui se traduit avec l’apparition d’espèces balkaniques, appartenant souvent aux mêmes genres mais de plus petite taille : Frêne à feuilles de corroyère (Fraxinus coriarifolia), Tilleul argenté (Tilia tomentosa) et Chênes (Quercus dalechampi, proche de Quercus petræa, et Quercus pedunculiflora, proche de Quercus robur);

- un pas supplémentaire dans la péjoration du bilan hydrique est franchi sur le versant sud, où la formation forestière est dominée par les espèces subméditerranéennes dont bon nombre appartiennent à l’élément macédono-thrace : le Chêne pubescent (Quercus pubescens) y côtoie le Chêne de Virgile (Quercus virgiliana), le Charme d’Orient (Carpinus orientalis) et le Frêne-orne (Fraxinus ornus) ;

- à cette chênaie subméditerranéenne succèdent des forêts basses et claires, dites sylvo- steppes, où Carpinus orientalis est de plus en plus disséminé et le Chêne pubescent de plus en plus dominant, avec un sous-bois à Cotinus coggygria ; ces forêts sont très clairiérées (la végétation steppique apparaissant en clairière) et forment un écotone entre forêt compacte et steppe ; de ce fait, la formation est très riche en espèces avec à la fois des espèces forestières, des espèces des steppes et des espèces particulières à ces conditions du milieu ;

-

Figure 9 : La forêt de

Babadagh et la steppe de la Dobroudja. (Image satellite fournie par Google Earth)

Le parcellaire, la rectitude des limites font douter que l’on soit là sur une limite bioclimatique séparant les forêts balkaniques et la steppe.

56

- en contrebas de la colline de Babadagh, en versant sud, on entrerait enfin dans le vaste domaine des steppes pontiques et sub-sibériennes, biome dont l’extension est considérable, des plateaux de l’Anatolie à ceux d’Asie centrale, de l’Ukraine à la Sibérie méridionale ; on entre aussi dans le domaine des sols noirs, les fameux tchernozioms ; la formation herbacée, dense et fermée ici, est aussi très riche floristiquement : environ 200 espèces dont Stipa ucrainica est l’espèce caractéristique ; c’est dire si la limite botanique ici franchie serait majeure.

Or, quand on interroge l’histoire de la Dobroudja, cette limite, à cet endroit, devient plus discutable. Des analyses anthracologiques effectuées non loin de là montrent que, au Néolithique, il y a 6 000 ans, la région était entièrement boisée, les Pins dominant. Les transformations ont été fortes au cours des derniers siècles, sous domination turque, le couvert forestier ayant alors subi une forte régression. Seuls quelques massifs ont été préservés par le pouvoir ottoman dont justement celui qui couvrait le plateau de grès calcaire de Babadagh. Cette forêt constituait le « jardin du Sultan », gardé militairement pour la qualité du bois de Chêne qu’elle fournissait. Le miel de Tilleul y était aussi récolté. Le recul de la forêt s’est ensuite accéléré au cours des 150 dernières années, pour la fourniture de traverses de chemin de fer ou du fait de la colonisation agricole, notamment avec l’arrivée de populations tcherkesses. Il faut aussi compter avec le pâturage qui s’est insinué jusque sous forêt entraînant un processus de steppisation du paysage et la disparition de certains faciès dans les lambeaux de forêt (la hêtraie par exemple). Autrement dit, l’extension actuelle de la steppe correspond ici à l’extension d’un certain mode d’occupation de l’espace. Retrouver, derrière ce paysage fortement anthropisé, la limite bioclimatique relève de la gageure …

Il est possible, bien entendu, de multiplier les exemples qui montreraient ainsi les insuffisances du paysage végétal comme informateur écologique. Si la configuration spatiale de l’espace bio-physique en telle ou telle région ne peut être beaucoup précisée en ayant recours au paysage, il permet en revanche d’évaluer la part respective du milieu et de l’anthropisation dans son aspect actuel, évaluation qui peut reposer sur la mesure et la quantification. L’étude du paysage, si elle n’est pas à même de répondre à la question de l’écologie de la végétation à l’échelle régionale,