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AUTRES ESPECES (ubiquistes ou très

DOMAINE, Secteur,

AUTRES ESPECES (ubiquistes ou très

disséminées)

Le problème se situe malheureusement aussi à la base de la classification où il est souvent bien difficile de trouver un ensemble caractéristique pour chacune des nuances du milieu ; la coïncidence station-association ne s’impose pas, là encore, d’évidence. On ne retrouve en fait d’espèces très spécialisées que dans des biotopes bien particuliers où de fortes contraintes ont éliminé les espèces de valence écologique plus ample. Ce sont ainsi bien souvent les milieux azonaux qui sont bien décrits par la méthode sigmatiste mais ils ne constituent qu’une petite partie de l’espace bio-physique. Cette différence est remarquable sur l’exemple du secteur de Pontarlier

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cartographié ci-dessus (figure 29) où une station de tourbière porte une dizaine d’associations tandis qu’un chaînon montagneux n’en porte qu’une. Les associations correspondraient ainsi suivant les cas soit à un niveau infra-stationnel, soit à un niveau supra-stationnel. La solution qui consiste à considérer les groupements qui transgressent les stations comme représentatifs non d’une association mais d’une alliance n’est qu’un leurre car elle masque l’abandon de toute une partie de l’information : incapables de faire coïncider l’hétérogénéité de la végétation avec le modèle de la mosaïque, on lui substitue une entité homogène … Quitte d’ailleurs à corriger les choses par un texte : ainsi, dans la notice sommaire qui accompagne la carte de Pontarlier, GUINOCHET consacre-t-il un très long paragraphe aux différents faciès de la hêtraie-sapinière (Fagetum praealpino- jurassicum), faciès entre lesquels il y a des différences floristiques mais pas suffisamment tranchées pour se matérialiser en ensembles caractéristiques d’associations. Au fond, dans tout cela, c’est bien le modèle de la mosaïque qui est en cause s’avérant trop rigide et univoque.

4.4 – Rendre compte de l’hétérogénéité de la biosphère en général et de la végétation en particulier

4.4.1 - A grande échelle, la mosaïque est un cas de figure non la règle

Je ne comprends pas bien, en fait, l’intransigeance des auteurs qui se font les partisans résolus d’une biosphère structurée par le maillage dense des limites entre les biocénoses (identifiées par leur composante végétale) : celle-ci ne correspond guère à ce qui est observé. Pourquoi ne pas plus simplement reconnaître le caractère conventionnel de certaines césures : les mathématiciens ne s’y prennent pas autrement lorsqu’ils opèrent une discrétisation au sein d’une série continue (à charge pour eux de justifier les critères de discrétisation) ? Un découpage de convenance, destiné à faire comprendre la réalité, est acceptable … S’il est complété par d’autres analyses qui s’intéressent à l’information qui a été mise « entre parenthèses ».

D’autre part, il me semble qu’il faut remettre en cause la coïncidence entre la structure spatiale des biocénoses et celle des facteurs physiques dont celles-ci dépendent :

« A partir du moment où sont admises l’existence de discontinuités floristiques, et leur coïncidence au moins partielle avec des discontinuités écologiques, l’établissement d’une typologie des groupements végétaux reflétant les variations du milieu devient possible et nécessaire. » (BRAQUE, 1988)

Dans le domaine des paramètres écologiques organisateurs de la biosphère plus encore que pour la végétation, à toute échelle, le discontinu est plus l’exception que la règle, les variations progressives l’emportant le plus souvent (paramètres climatiques, paramètres édaphiques dépendant des systèmes de pentes, …). Encore faut-il préciser que les discontinuités qui peuvent être reconnues, sont moins des limites séparant des unités homogènes, que des changements de rythme dans des variations graduelles : ces discontinuités séparent donc le plus souvent des ensembles spatiaux hétérogènes. Au sein de ces unités, ce sont des changements réguliers qui créent, au-delà de certains seuils, un changement plus net, conformément à la théorie des discontinuités de Roger BRUNET (1967) pour qui la croissance graduelle d’un des paramètres du système peut engendrer des discontinuités dans l’évolution ou la distribution spatiale d’un élément de ce système (point 2 de sa théorie qui en comporte 17). Pour reprendre l’exemple du Languedoc étudié au cours de ma thèse) :

« Le changement de flore observé en quelques kilomètres lorsque l’on descend le rebord méridional du Massif Central peut être interprété comme le franchissement d’un seuil biologique au-delà duquel les besoins hydriques des espèces mésophiles de la flore atlantique ne sont plus satisfaits : il s’agit bien d’un seuil d’extinction de cette flore et d’un seuil de manifestation de la flore méditerranéenne qui s’y substitue. » (ALEXANDRE et GENIN, 2008a)

Il serait plus sage de considérer qu’il n’y a pas, dans la biosphère, de « postulat » : ni postulat du continuum, ni postulat de l’existence généralisée d’unités discrètes. Je ferai du terme de

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continuum un autre usage (cf. introduction de la deuxième partie) que celui de modèle descriptif ; suffisamment englobant pour saisir toutes les figures possibles, il est un bon modèle de travail. Pour étudier l’organisation spatiale de la biosphère, il convient donc d’améliorer la qualité des observations géographiques pour mieux capter la subtile information que nous livrent les structures spatiales plus complexes et variées que dans les modèles : il existe ainsi, sur le terrain, une infinité de gradations entre la limite nette entre deux unités homogènes et la transition progressive parfois étalée sur des centaines de kilomètres. Quant à la question de la coïncidence entre structure spatiale des biocénoses et structures spatiales des paramètres écologiques, il faut admettre là-aussi que tous les cas de figures peuvent exister : un état suffisamment contraignant d’un paramètre ne laissant subsister qu’un nombre restreint d’espèces très spécialisées (formant donc une biocénose homogène), un paramètre dont la variation est continue mais provoquant, au-delà d’un certain seuil, un des changements majeurs dans la biosphère, un paramètre présentant des discontinuités passant inaperçues des êtres vivants, etc.

4.4.2 – Flore et végétation : un problème d’échelle

Quel(s) modèle(s) pour décrire la biosphère aux différentes échelles ? La question est somme toute une question de morphologie spatiale (GRASLAND, 2008) ce qui renvoie à certains aspects de la théorie du mathématicien René THOM, théorie dont il est d’ailleurs fait grand usage chez les géographes (in ALEXANDRE et GENIN éds., 2008) comme chez les écologues (AUGER, BAUDRY, FOURNIER

éds., 1992, GODRON et JOLY, 2008). Des règles de la genèse des formes qu’établit René THOM (1981), il peut être retenu l’idée générale selon laquelle des structures fortes apparaissent à certaines échelles. Ces structures sont assez faciles à identifier (visuellement) si l’on se réfère au paysage [échelle entre l’hectomètre et le kilomètre] comme le font GODRON et JOLY (2008) :

« Les types de paysage [échelle entre le kilomètre et la dizaine de kilomètres] s’inscrivent essentiellement dans le cadre des activités humaines à l’échelle locale, les familles de paysage [échelle de la dizaine de kilomètres à la centaine de kilomètres] sont liées à la géomorphologie et aux secteurs écologiques, les ordres de paysage [échelle de la centaine de kilomètres au millier de kilomètres] dépendent des climats régionaux et les classes de paysage sont à l’échelle du continent. »

Des correspondances peuvent être trouvées avec les échelles de grandeur de l’analyse géographique proposée par Yves LACOSTE (2003). Cependant, on vient de le voir, le paysage entretient avec la composition floristique de la végétation des relations ambigües et complexes qui invite à envisager, dans un premier temps, le problème séparément (il faudra bien, au bout du compte, revenir à l’articulation physionomie / flore : cf. 3e partie). Pour la flore, les choses sont moins simples et les structures spatiales ne s’imposent pas d’elles-mêmes, correspondant parfois aux structures visuelles du paysage et parfois non : il faut, en somme, partir à leur recherche. Oui mais à quelle échelle doit- on placer son analyse puisque cette échelle n’est pas connue d’avance ? Prosaïquement, quelle taille le relevé sur lequel les informations seront collectées doit-il avoir ?

Pour le savoir, il faut dans une dimension de l’espace, expérimentalement faire varier la maille et voir pour lesquelles d’entre elles une structure spatiale surgit. L’expérience a été tentée par Hacène AREZKI90 sur un des transects qu’il a suivi dans le Haut-Atlas marocain. Partant du constat que les variations de détail de la flore n’étaient plus perceptibles si l’on effectuait des relevés d’une taille supérieure à 50 m, il a augmenté peu à peu la maille : jusqu’à une longueur de relevés de 500 m, la même structure spatiale apparaît. Elle s’estompe au-delà, les différences entre relevés étant progressivement gommées si l’on passe à des relevés de 1 kilomètre de long. Ainsi deux niveaux d’organisation apparaissent-ils : l’un à grande échelle, observable par des relevés de 50 m ou moins,

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Thèse à soutenir sous la direction de F. ALEXANDRE et M. COHEN. Les résultats de cette expérience n’ont pas encore été publiés, mais font l’objet d’un article en cours d’élaboration (auteurs : AREZKI, ALEXANDRE et GODRON).

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l’autre à plus petite échelle que des relevés de quelques centaines de mètres de long permettent d’analyser. Deux niveaux d’hétérogénéité sont ainsi mis en évidence. Cependant, ce résultat obtenu dans la montagne marocaine est-il généralisable ?

Cette expérience (lourde à mener) semble correspondre aux observations menées un peu partout dans le domaine méditerranéen et tempéré de « l’ancien monde ». Elle invite à adopter la distinction opérée par GODRON (in GODRON et JOLY, 2008) entre micro-hétérogénéité et macro- hétérogénéité. En adaptant un peu son point de vue, les deux échelles d’analyse définissent en quelque sorte une hétérogénéité infra-paysagère et une hétérogénéité supra-paysagère. Suivant les végétations, l’une l’emportera ou l’autre. Une autre manière d’exprimer les choses est de faire référence à la taille moyenne des éléments (pas obligatoirement homogènes) définissant le grain de la végétation (GODRON, 1982), à rapporter au grain du milieu et au grain du paysage (« les anglophones attentifs qui évitent d’employer les expressions "small scale" et "large scale" parce qu’elles ne correspondent pas à la grandeur réelle des échelles cartographiques, disent qu’un paysage est "fine grained" ou "coarse grained" », GODRON et JOLY, 2008). Ceci ouvre la voie vers d’autres manières d’explorer la végétation dans ses rapports avec le milieu et avec l’occupation humaine. Pour citer à nouveau Michel GODRON :

« Le grain se mesure facilement grâce à des transects constitués de quelques dizaines de segments consécutifs de taille égale suivis de calculs de quantités d’information. »

Les propositions contenues dans le chapitre 6 tentent de mettre en œuvre à l’échelle régionale cette préconisation. Les chapitres qui suivent en montrent ensuite quelques exemples de mise en application qui dessinent une morphologie spatiale du couvert végétal.

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Chapitre 5