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CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE

Cette première partie avait pour premier objectif d’aider à mesurer la richesse et la complexité de l’histoire de la géographie des plantes. Cette discipline dont Alexandre DE HUMBOLDT

disait dans son discours de 1805 qu’il n’en existait jusqu’alors « que le nom » a eu son heure de gloire en donnant naissance tout à la fois à la géographie moderne et à l’écologie. Elle semble pourtant parfois avoir livré tous ses secrets, au point qu’on pourrait presque dire qu’il n’en reste plus aujourd’hui que le nom, un peu désuet. Tout se passe comme si la question de la répartition spatiale de la végétation n’avait plus qu’un intérêt secondaire, puisque les grands traits et les grandes règles en sont connus. Or ces grands traits s’avèrent plus incertains qu’il n’y paraît et les modèles spatiaux hérités, pris au pied de la lettre, sont sources d’imprécisions, voire de contresens.

Etablis dans d’autres contextes, avec d’autres schémas de pensée et d’autres objectifs que ceux que nous poursuivons en ce début du XXIe siècle, ces modèles spatiaux méritent pourtant d’être sérieusement dépoussiérés, adaptés ou transformés pour répondre aux questions sur lesquelles nous sommes interpellés depuis que l’inquiétude a saisi nos sociétés sur l’état de l’environnement terrestre. On peut en effet sérieusement s’interroger sur l’utilité de conserver en l’état un planisphère des grands biomes terrestres qui n’est, ni plus ni moins, que la reconstitution d’un mythe puisqu’il représente les paysages végétaux tels qu’ils auraient existé si l’humanité n’avait pas été là … et si le climat était resté fixe depuis qu’elle est apparue … et si la liste de ces paysages végétaux avait été arrêtée une fois pour toutes il y a quelques milliers d’années. Les études de paléobiogéographie disent avec certitude que ce passé mythique n’a pas existé. Et je prends sans risque un pari : à l’avenir, même si l’humanité disparaissait, jamais la biosphère ne prendra ce visage. Il est aussi bien difficile de continuer à rendre compte de l’organisation de la végétation en montagne avec un modèle qui cherchait à traduire la complémentarité des terroirs et l’ingéniosité avec laquelle des sociétés rurales aujourd’hui en grande partie démantelées exploitaient les différences d’altitude. Faut-il enfin continuer à rechercher dans une classification des groupements végétaux des réponses à des questions pour lesquelles elle n’a pas été conçue ? Etablie pour contribuer, par les potentialités ou les contraintes que la végétation révèle, à une mise en valeur rationnelle (à court terme du moins) agricole et forestière du pays, est-elle la mieux placée pour aider à répondre aux nouveaux enjeux de l’aménagement des territoires ?

L’organisation spatiale de la végétation doit être repensée pour aider à répondre aux questions suivantes :

- la question de la biodiversité, de l’étude et de la mesure de son érosion, que ce soit au niveau de la richesse spécifique des biocénoses dont la végétation constitue une fraction essentielle, ou au niveau de la dynamique des éléments qui la constituent ;

- la question des fluctuations et des changements du climat, de la possibilité de les étudier à travers l’indicateur que constitue la distribution géographique des espèces, d’envisager aussi les conséquences que pourront avoir ces changements sur la composition de la végétation ; - la question des ressources, de leur disponibilité et de leur renouvelabilité pour lesquelles là

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La qualité de la caractérisation des formes spatiales prises par la végétation ne donnera évidemment qu’un élément de réponse à ces questions. Cependant, comme il s’agit d’un point qui a été un peu négligé, puisque considéré comme réglé, il me semble essentiel de contribuer à le renouveler afin de mieux prendre en compte ce qu’est la réalité du couvert végétal telle que nous l’observons : le résultat très transitoire de dynamiques entrecroisées. Sur quelles bases, dès lors, contribuer à améliorer la qualité de notre représentation de la végétation ?

En repartant de ce qu’un observateur perçoit, c’est-à-dire le paysage, au sens le plus commun du terme (« étendue de pays qu’une personne peut observer », dit ainsi le dictionnaire joint à l’Encyclopaedia Universalis), deux niveaux d’hétérogénéité dans la composition du couvert végétal qui constitue généralement un des éléments majeurs de ce paysage (non le seul) vont devoir être pris en compte. Le premier niveau est d’échelle régionale et supra-paysager (macro-hétérogénéité). Les modifications à l’échelle régionale du paysage végétal que l’œil ou même les images de télédétection permettent de déceler sont, on l’a vu, parfois trompeuses et toujours très simplifiées par rapport aux indications livrées par la flore, même par une fraction de celle-ci. La deuxième partie est consacrée à l’analyse de la macro-hétérogénéité de la végétation. Les résultats et les réflexions qui en seront tirées ne sont pas généralisables, je le dis d’emblée, à l’autre niveau d’hétérogénéité de la végétation. Cet autre niveau est d’échelle locale et infra-paysager : c’est celui de la mosaïque (souvent forcée) des stations et des groupements végétaux. Cette échelle est, de loin, la plus couramment étudiée et, si j’ai exprimé quelques réserves sur le modèle sur lequel repose son étude, je ne l’ai guère pratiquée de façon concrète, depuis mes années d’étude. Aussi n’irai-je pas plus loin dans ce volume sur l’analyse de la micro-hétérogénéité de la végétation

Il restera, dans la troisième partie, à revenir sur le paysage, là où les deux niveaux d’hétérogénéité s’articulent. On l’a dit en introduction, on l’a vu à travers plusieurs exemples dans la première partie, cette étude n’est pas évidente car l’analyse objective qui peut être faite de la structure et de la dynamique du paysage doit constamment être confrontée à la perception qu’ont les individus de ce qu’ils voient du pays et aux représentations que la société véhicule. Un travail (passionnant mais risqué) de dialogue entre les sciences de la nature et les sciences sociales doit alors être mené.

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