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Chapitre 1 « Voilà une vraie cueca ! » : Portée du sujet

1.1 Les cuecas

1.1.3. Transformation du texte

La forme musicale, il faut le dire, est un aspect moins exploré dans la bibliographie universitaire, si on le compare avec d’autres sujets tels que l’histoire, les origines et les significations culturelles. Pourtant, on trouve des exceptions, dont les textes

Forma de la cueca chilena (1947) et « Música folklórica de Chile » (1959), tous deux

de Carlos Vega, qui exposent en détail, entre autres, la conversion des vers poétiques en vers aptes pour concorder avec les phrases musicales (et simultanément avec la chorégraphie). Plusieurs auteurs écrivent sur les façons dont le texte poétique se transforme en texte chanté, en étant l’élément le plus étudié en ce qui concerne la dimension musicale. Au contraire, les études sur la métrique, le rythme et l’harmonie sont assez rares.

Dans son texte devenu classique, publié dans les années 1940, Carlos Vega identifie huit formes obtenues grâce aux différentes procédures de « déformation et recréation », auxquelles la copla et la seguidilla peuvent se soumettre. Selon lui, le chanteur qui commence est celui qui « répartit les vers, ajoute des interjections et refrains, duplique des syllabes ou voyelles, répète des morceaux ; enfin, il déforme les éléments constitués conformés de façon traditionnelle ». L’intervention du chanteur, alors, consiste en l’altération du texte, mais, poursuit Vega, « cette

désintégration obéit à un processus de construction, puisqu’il s’agit seulement de recréer les nouvelles formes poétiques qui s’ajusteront aux phrases musicales »16

(1947, 19).

Les trois procédures principales qui s’opèrent sur les vers sont : la division, l’ajout et la répétition. D’un côté, la « déformation » de vers poétiques en vers chantés se produit moyennant la division de certains d’entre eux. Cette subdivision donnerait lieu, en termes de Vega, à la conversion de la copla de quatre vers en une

octava17, soit une strophe de huit vers. Afin qu’elle apparaisse, l’extrait issu de la

subdivision se réitère. Voyons un exemple dans le tableau 1.2.

Tableau 1.2 Transformationde la copla18 en octava, selon Carlos Vega

Central Única de Chile Maciza como el acero Que vela por las conquistas Del trabajador chileno

Central Ú

Central Única de Chile maciza

maciza como el acero que vela

que vela por las conquistas del traba

del trabajador chileno

De l’autre côté, le texte s’élargit au cours du chant par le biais de l’ajout de mots. De véritables « cellules » appelées muletillas ou ripios, s’insèrent au début, au milieu ou à la fin des vers, comme le montre le tableau 1.3.

Tableau 1.3 Copla avec ajout de la muletilla « ay morena » Buenos días mi casera

Le traigo la fruta fresca Chirimoyas de Quillota Y los plátanos de Lima

Buenos días mi casera

Le traigo la fruta fresca, ay morena Chirimoyas de Quillota

Y los plátanos de Lima, ay morena

Le but des muletillas serait de remplir les espaces nécessaires pour faire concorder la longueur du texte avec celle de la mélodie, sachant que n’importe quel texte poétique est susceptible d’être chanté avec n’importe quelle mélodie de cueca. Selon Gastón Soublette, « les chanteurs populaires ont l’habitude de chanter avec une seule mélodie ou “entonación” plusieurs textes différents, et cette coutume est tellement installée chez eux qu’il est pratiquement impossible de déterminer quel texte correspondait originellement à quelle mélodie »19 (1959, 101).

L’exemple d’une copla « déformée » par la division de ses vers et par l’ajout de muletillas est présenté dans le tableau 1.4.

Tableau 1.4 Copla avec division de vers et ajout de la muletilla « allá

va »

A la una nací yo

A las dos me bautizaron A las tres me enamoré A las cuatro me casaron

A la u, A la una nací yo

allá va, y a las dos, A las dos me bautizaron

a las tres, A las tres me enamoré

allá va, y a las cua, A las cuatro me casaron

Finalement, la répétition concerne quelques vers, selon des modèles préétablis. L’éventail d’exemples que les savants réussissent à identifier est compris comme une série de modèles qui relèvent d’une variété succincte de formes musicales. Ainsi, Pablo Garrido en reconnaît trois, se basant lui aussi sur l’observation de la transformation de la copla ([1943] 1976). Pour leur part, les

folkloristes Margot Loyola et Osvaldo Cádiz en ajoutent quelques autres (2010). Dans le tableau 1.5, une copla est développée de six façons différentes, selon six modèles distincts de répétitions de ses quatre vers (1), (2), (3) et (4).

Tableau 1.5 Différents modèles pour la répétition de vers dans la copla

A) 1 1 2 2 3 4 1 B) 1 1 2 3 4 1 C) 1 2 2 3 4 1

Central Única de Chile Central Única de Chile maciza como el acero maciza como el acero que velas por las conquistas del trabajador chileno Central Única de Chile

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D) 1 2 2 3 4 1 1 E) 1 1 2 2 3 4 F) 1 2 2 3 4 4

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Loyola et Cádiz proposent également des variantes issues de la transformation de la seguidilla (2010, 113-116). Celle-ci, divisée en deux moitiés, subirait aussi des modifications quand elle serait exécutée. La première moitié s’étend du vers (5) au (8), qui se chantent d’abord en ordre consécutif. Ensuite, une paire de vers est répétée, tantôt la paire (5) et (6), tantôt la paire (7) et (8). Il est aussi admissible qu’aucun vers ne soit répétés. Quant à la seconde moitié, qui s’étend du vers (9) au (12), ces vers sont chantés dans l’ordre des numéros respectifs, et s’ajoute parfois, à la fin, la répétition des deux derniers. Finalement, la section du remate qui comprend

principales de cueca, celle de 48 et celle de 52 mesures. Loyola et Cádiz en ajoutent une de 56 mesures (2010, 155), tandis que Vega parle de cuecas de 44, 48, 52, 56 ou 60 mesures (1947, 45). Plutôt que fixer un nombre quelconque de mesures, ce qui m’intéresse ici c’est d’établir le rapport entre la transformation du vers poétique en vers chanté avec la durée de la cueca. En outre, la durée est aussi déterminée par le nombre de mesures des phrases mélodiques qui subissent, elles aussi, des répétitions. Rappelons l’observation de Gastón Soublette qui signalait que n’importe quel texte poétique peut être chanté avec n’importe quelle mélodie de cueca. Ceci implique que la mélodie de la cueca est, de nos jours, également standardisée. Examinons maintenant la forme musicale qui résulte de la prestation chantée d’un texte transformé, selon des modèles de répétitions mélodiques.