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Enjeux de la cueca chilienne : vocalité et représentations sociales

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Academic year: 2021

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Enjeux de la cueca chilienne :

Vocalité et représentations sociales

Thèse

Laura Francisca Jordán González

Doctorat en musique (musicologie)

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

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Résumé

Cette recherche aborde le chant de la cueca chilienne à travers le spectre de la voix dans la construction de représentations sociales, et ce, sur la base d’une méthodologie mixte qui combine la recherche bibliographique, l’observation participante, les entrevues et l’analyse musicale. Comme point de départ, on remarque la pratique d’une cueca surnommée urbana, brava ou chilenera, caractérisée par un timbre vocal singulier associé au milieu « populaire » des chanteurs. Remontant aux premières traces de la cueca, au Chili, le chapitre 2 aborde les descriptions de la voix de la

zamacueca au XIXe siècle publié dans des récits de voyage. L’analyse du contexte dans lequel ces récits se publient permet de constater que l’idée du caractère nasal de la cueca s’associe à la constitution d’altérité. Le chapitre 3 aborde la façon dont une théorie spécifique sur l’origine de la cueca chilienne contribue aux conceptions de la voix dans le genre. Le sujet de la nasalité apparaît encore, cette fois-ci imbriqué dans l’imagination de l’origine arabo-andalouse de la cueca. S’intéressant à la représentation du sujet populaire, le chapitre 4 expose deux figures centrales de la culture chilienne : le huaso et le roto, représentants du paysan et du sujet urbain, tous deux entremêlés avec des discours nationalistes. Le « parler populaire » apparaît représenté dans divers styles de cueca, en produisant des vocalités affectées par l’imagination de la classe sociale, et ce dans le contexte de débats sur l’authenticité. Le chapitre 5 aborde finalement l’expérience vécue par de jeunes chanteurs actifs sur une scène de revitalisation. Leurs dynamiques de chant en groupe soulignent l’impact de la compétition sur le déploiement de la voix. La pratique structurée selon le chant en ronde - chant à la rueda – montrera que la production d’un « bon pito », soit d’une voix adéquate à la cueca, révèle la nécessité d’adapter les voix aux besoins du groupe. La conclusion met en lumière que le rapport entre voix et style se présente comme une correlation cruciale pour comprendre non seulement la diversité des variantes de

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caractéristiques ethniques, du genre et de classe des chanteurs, y compris les différentes voix d’un même sujet qui chante.

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Abstract

This thesis studies the singing of Chilean cueca by examining the relationship between voice and social representations through a mixed methodology that combines bibliographical research, participant observation, interviews and music analysis. It starts out by teasing apart the type of cueca dubbed urbana, brava or

chilenera, whose singular vocal sound is linked to the singers’ belonging to “popular”

sectors of society. Next, by returning to the earliest roots of the cueca in Chile, Chapter 2, analyses several depictions of voice in zamacueca found in travelogues during the nineteenth century. Through an analysis of the context in which such depictions were produced, it shows how the propsed nasal sound of zamacueca is articulated as creating otherness. Chapter 3, explores the impact that one specific theory on the origins of Chilean cueca has had on the way in which voice in this genre is conceived. Nasality reemerges here, this time endowed with the imagination of the Arab-Andalusian. With regard to the representation of the popular subject, Chapter 4, exposes two of the main figures in Chilean culture—the huaso and the

roto—each one respectively representing the rural and the urban subject intertwined

with nationalist discourses. In the context of debates on authenticity, representations of “popular speaking” surface across different styles of cueca, producing vocalities affected by the imagination of social class. The final chapter focuses on the experiences of young singers active in the current revival scene. Their collective dynamics increase the impact of competition on vocal practices. Specifically, singing

a la rueda, or taking turns singing in a circle, demonstrates how having a “good pito”—an adequate cueca voice—requires adapting one’s own voice to the needs of

the group. The conclusion confirms that the relationship between voice and style is a crucial for understanding, not only a variety of cueca renditions, but also their transformations over time, through processes of stylization. Moreover, the diverse

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... v

Table des matières ... vii

Liste des tableaux ... xi

Liste des figures ... xiii

Liste des exemples ... xv

Avant-propos ... xvii

Introduction ... 1

0.1. Présentation ... 1

0.2. État de la recherche ... 2

0.2.1. Les origines, la nation, le populaire ... 2

0.2.2. Le chant de la cueca ... 5

0.3. Problématique et objectifs ... 9

0.3.1. Problématique ... 9

0.3.2. Objectifs ... 11

0.4. Cadre théorique et approche... 12

0.5. Méthodologie ... 16

0.6. Présentation des parties de la thèse ... 21

Chapitre 1 « Voilà une vraie cueca ! » : Portée du sujet ... 23

1.1 Les cuecas ... 23

1.1.1. Les cuecas ... 23

1.1.2. Forme du texte poétique ... 24

1.1.3. Transformation du texte ... 26

1.1.4. Mélodie et forme musicale ... 30

1.1.5. Le complexe cueca ... 36

1.2. Chanter la cueca urbana... 38

1.2.1. Approche historique ... 38

1.2.2. Adaptation du modèle de Los Chileneros ... 46

1.3 Apprendre à chanter la cueca ... 57

1.3.1. Le cadre du folklore ... 57

1.3.2. Ensembles, écoles, naturalité ... 62

1.4. Sommaire du chapitre 1 ... 75 Chapitre 2 Les récits de voyage et le son de l’altérité : la nasalité de la zamacueca77

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2.2.2. Jugements de valeur et écoute ... 96

2.3. Écoute, voix et nasalité ... 101

2.3.1. Les voix de la zamacueca ... 101

2.3.2. Nasalité, langue et altérité ... 111

2.4. Sommaire du chapitre 2 ... 123

Chapitre 3 Voix arabo-andalouse et cueca : imaginer le mélisme et faire sonner le gorgoreo 125 3.1. Introduction ... 125

3.2. Culture chilienne et andalucismo ... 126

3.3. La voix arabo-andalouse et la cueca ... 135

3.4. Nasalité ... 140

3.5. Mélisme ... 145

3.6. Gorgoreo ... 150

3.7. Le gorgoreo dans la cueca de nos jours ... 157

3.8. Défense de l’hispanisme et traces de l’andalucismo ... 168

3.9. Sommaire du chapitre 3 ... 173

Chapitre 4 Représentations du sujet populaire ... 175

4.1. Introduction : représentation et voix ... 175

4.2. Le huaso et le roto, figures de la cueca ... 177

4.3. La voix chilienne, la voix populaire ... 185

4.4. Voix de la cueca dans les magazines ... 187

4.5. Voix afiatada : les ensembles de huasos ... 193

4.6. Cueca chora, cueca urbaine ... 206

4.7. Fausse note : Los Perlas... 215

4.8. La fausseté et le débat (décalé) sur l’authenticité ... 221

4.8. Sommaire du chapitre 4 ... 226

Chapitre 5 Chanter ensemble à la rueda, projeter le pito loin du cri ... 229

5.1 Rueda ... 229

5.1.1. Lotes, compétition et apprentissage vocal ... 229

5.1.2. Chant à la rueda ... 236

5.2 Pito ... 242

5.2.1. Le pito chez Los Chileneros ... 242

5.2.2. Le pito chez les musicologues ... 247

5.2.3. Le pito chez les chanteurs actuels... 251

5.3. Cri ... 254

5.3.1. Pito et grito ... 254

5.3.2. Cri et imposture ... 260

5.4. Sommaire du chapitre 5 ... 268

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b) Bibliographie ... 283

c) Médiagraphie ... 319

d) Interviews... 321

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Liste des tableaux

Tableau 1.1 Texte poétique de la cueca ... 25

Tableau 1.2 Transformationde la copla en octava, selon Carlos Vega ... 27

Tableau 1.3 Copla avec ajout de la muletilla « ay morena » ... 28

Tableau 1.4 Copla avec division de vers et ajout de la muletilla « allá va » ... 28

Tableau 1.5 Différents modèles pour la répétition de vers dans la copla ... 29

Tableau 5.1 Extrait des vers autobiographiques de Nano Núñez ... 230

Tableau 5.2 Alternance de deux segments de la mélodie (A et B) ... 237

Tableau 5.3 Alternance de chanteurs qui portent la mélodie ... 237

Tableau 5.4 Illustration du jeu d’alternances ... 238

Tableau 5.5 Paroles de la cueca « Los chileneros » ... 243

Tableau 5.6 Paroles de la cueca « Pego el grito en cualquier parte » ... 244

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Liste des figures

Figure 2.1 « Officer and Girl Dancing » (Walpole 1849, 106) ... 96

Figure 2.2 « La zamacueca » (1873), du peintre Manuel Antonio Caro ... 110

Figure 3.1 Seguidilla de « Rosa, Rosa », Mario Catalán ... 158

Figure 3.2 Remate de « Rosa, Rosa », Mario Catalán... 159

Figure 3.3 Copla de « Quién se fue con mi sombrero », René Alfaro ... 159

Figure 3.4 Seguidilla de « Dicen que llegó de oriente », Jaime Ramírez ... 160

Figure 3.5 Copla de « Despierta pues cuadrinito », Luis Castro ... 162

Figure 3.6 Remate de « Despierta pues cuadrinito », René Alfaro ... 162

Figure 3.7 Seguidilla de« Son las diez formas del canto », Pablo Guzmán ... 163

Figure 3.8 Phrase « El solazo de Arabia, la ardiente arena, ay morena »………..165

Figure 3.9 Phrase « De la chilena, sí, dile y redile, ay morena » ... 165

Figure 3.10 Extrait de « María Eugenia Farfán »... 167

Figure 4.1 « El Verdejo bailando cueca » (Alhué 1958, 3)... 182

Figure 4.2 « El roto » (Plath 1965, 29) ... 183

Figure 4.3 Duo León-Ríos (El Musiquero 1974c, 12) ... 201

Figure 4.4 Oscar Olivares et Luis Castillo (El Musiquero 1970c, 6) ... 219

Figure 4.5 Perla grande et Perla chico (El Musiquero 1970c, 7) ... 219

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Liste des exemples

Exemple 1.1 Mélodie de cueca (Soublette 1959, 101)... 30

Exemple 1.2 Mélodie de cueca (Vega 1959, 5) ... 31

Exemple 1.3 Mélodie de cueca (Pérez Ortega 1983, 36) ... 32

Exemple 1.4 Mélodie de cueca (Loyola et Cádiz 2010, 192) ... 32

Exemple 1.5 Mélodie de cueca (Garrido 1943, 132-133) ... 33

Exemple 1.6 Mélodie de cueca (Claro Valdés et al. 1994, 61) ... 35

Exemple 3.1 Mélodie de la seguidilla de « Dicen que llegó de oriente » ... 160

Exemple 3.2 Mélodie de la copla de « Son las diez formas del canto » ... 163

Exemple 3.3 Mélodie de la copla de « Yo soy de abolengo moro » ... 164

Exemple 3.4 Mélodie de la seguidilla de « Yo soy de abolengo moro » ... 164

Exemple 5.1 Ma notation de la cueca « La flor de la verbena », chant à la rueda 239 Exemple 5.2 Segments A et B de la mélodie de « La flor de la verbena » ... 240

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Avant-propos

Le germe de cette recherche remonte au temps de mes études de licence en musique à la Pontificia Universidad Católica de Chile, quand, habituée au son de la cueca que j’entendais dès mon enfance à la radio chaque mois de septembre, j’étais surprise par la sonorité singulière d’une cueca chantée par mes collègues d’école Felipe Bórquez et Diego Rammsy. Ils apprenaient et se réjouissaient de la connaissance passée « de vive voix » par Fernando González Marabolí, encore vivant. Ils « criaient » dans les couloirs, et notre professeure de solfège, Gina Allende, s’intéressait à leur façon si spéciale d’entonner des mélodies qui semblaient accordées selon une autre échelle. Plus ou moins à la même époque, l’ensemble Los Trukeros promouvait ses concerts partout à Santiago et je me découvrais auditrice et timide dansante au sein de la nouvelle scène de cueca urbana. Ma plus chère amie, Araucaria Rojas, publiait ses premiers écrits sur la cueca et la « chiliennité », et notre envie de rédiger quelque chose ensemble nous a conduites à travailler « à deux voix » un petit texte sur cette musique en dictature et son rapport aux cassettes clandestines. J’allais devoir attendre encore quelques années pour enjoliver tous ces filons et arriver finalement au sujet de cette thèse. C’était dans le cadre de ma maîtrise en musicologie à l’Université de Montréal que j’ai choisi de préparer mon travail final pour le cours d’Organologie et acoustique instrumentale, enseigné alors par Vincent Verfaille, sur la voix de la cueca chilienne. J’ai eu la chance de compter sur l’aide du chanteur René Alfaro, qui enregistra pour moi des extraits sonores qui serviraient à mes premières analyses du

gorgoreo. La dernière trame s’ajoute lors de mon contact avec le directeur de cette

recherche, Serge Lacasse, que j’ai approché avec l’intention claire de poursuivre ma quête sur la voix de la cueca. « Il me semble que ton intérêt touche aussi à l’idéologie », je crois me souvenir qu’il m’a dit, « ce n’est pas tout simplement le son vocal ». Effectivement, le rapport aux représentations sociales reliait mon intérêt

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prennent forme au cours de ce texte se sont posés lors des semaines que j’ai passées en visite au Centre for Ethnomusicology à la Columbia University en 2014. La période de rédaction, répartie entre Montréal et Valparaiso, s’est alimentée de conversations significatives avec plusieurs compagnons que je n’aurai pas la place de mentionner. Mon plus grand remerciement à tous les cuequeros ayant participé à cette recherche.

Doug Smith a été l’interlocuteur primordial, je le remercie pour sa compagnie soutenue. Merci à ma famille au Chili et au Québec. Je remercie de tout mon cœur mes amis montréalais Daniel Añez, David Amorocho, Elani Mejía, Nadia Hausfather, Stéphanie Vaudry, Sam Bick, Oula Hajjar, Jorge Pemjean, Laurent Corbeil, l’ensemble Acalanto. Je remercie spécialement ma grande amie Jessica Roda, avec qui j’ai discuté plusieurs aspects de ma recherche, en plus de partager les plus beaux moments de mon stage au Canada. Je remercie également Sandria P. Bouliane, Catherine Lefrançois, Flavia Gervasi, Méi-Ra Saint-Laurent et Anne-Claire Riznar qui m’ont encouragées à divers moments tout au long du chemin. Merci à Philip Tagg de travailler sur le lien inébranlable entre la musique et le social. À Javier Rodríguez pour son aide bibliographique à Paris et à Felipe Solís pour son appui discographique à Santiago. Merci à Rodrigo Sandoval et l’Archivo de Música Popular de l’Universidad Católica (AMPUC).

La lecture / audition attentive de plusieurs extraits et des commentaires précieux ont été faits par Alejandro Vera, José Manuel Izquierdo, Rodrigo Torres, Araucaria Rojas et Nicolás Lema. Merci à Florence et à Jacqueline pour la révision du manuscrit. J’en ai présenté des avances lors des conférences de IASPM-Canada à Ottawa (2015), de IASPM International à Sao Paulo (2015), de l’Association Canadienne des Études d’Amérique latine et des Caraïbes à Québec (2014), de IASPM-Canada à Québec (2014), de la Sociedad Chilena de Musicología à Concepción (2013), ainsi qu’au colloque « La Voz conference » à New York (2014), le 81e congrès de l’ACFAS,

colloque 341, à Québec (2013), et les journées d’études « Le rôle et la place du corps en esthétique et dans la définition stylistique des musiques » à Montréal (2013) et

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musicológica en Chile y la región » à Santiago (2015). Une version préliminaire de certaines idées présentées au chapitre 3 fait partie du collectif Quand la musique

prend corps (Desroches et al. 2014). Quelques idées développées au chapitre 1 sont

ébauchées dans un article paru dans le livre The Militant Song Movement in Latin

America : Chile, Uruguay, and Argentina (Vila ed. 2014).

Ce projet a été effectué grâce au financement de la Bourse Doctorale (2012-2015) de l’Observatoire Interdisciplinaire de Création et de Recherche en Musique (OICRM).

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Introduction

0.1. Présentation

Largement considérée comme étant la « danse nationale » du Chili, la cueca est un genre musical, chorégraphique et poétique qui a suscité l’attention récurrente des intellectuels du pays depuis le XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui. Intrigués, pour la

plupart d’entre eux par son caractère « chilien », leur quête d’une origine s’est située au cœur des écrits qui l’exposent. Ainsi, la cueca a souvent été étudiée par rapport aux identités qu’on lui attribue, notamment reliées aux valeurs « nationales » et « populaires ». Bien qu’un bon nombre de musicologues se soient penchés sur les arcanes de la cueca, l’insistance sur les questions identitaires paraît avoir entraîné une relative mise à l’écart des réflexions sur le son.

Cette recherche aborde le chant de la cueca chilienne à travers le spectre de la participation de la voix dans la construction de représentations sociales ; et ce, sur la base d’une méthodologie mixte qui combine la recherche bibliographique, l’observation participante, les entrevues et l’analyse musicale.

Cette introduction débute avec l’état de la recherche en soulignant l’importance des thématiques du national et du populaire dans l’histoire de la cueca. Cette section expose également les principales contributions concernant la musique de la cueca et démontre le manque d’attention accordé à la voix chantée. L’identification de la problématique, la formulation de la question de la recherche et la déclaration des objectifs précèdent la présentation du cadre théorique sur lequel cette thèse se construit. Par la suite, la méthodologie utilisée est expliquée, en comprenant un rapport détaillé des sources étudiées. Finalement, le plan du corps de la thèse est révélé, tout en offrant un aperçu des thématiques par chapitre.

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0.2. État de la recherche

De nombreux auteurs se sont penchés sur la cueca, essayant de dévoiler ses origines et son parcours historique en tant que « danse nationale » du Chili. Ainsi, on constate leur intérêt, d’une part, envers les circonstances de l’arrivée de la cueca au pays ainsi que de sa diffusion à travers le territoire national. D’autre part, des intellectuels ont abordé la question identitaire qui entoure la cueca en mettant l’accent sur les attributions raciales et de classe sociale, en étudiant également la participation de la cueca dans la construction d’une certaine chilenidad (« chiliennité ») ; s’inscrivant en même temps dans un débat continental qui touche à une variété de musiques populaires et folkloriques latino-américaines : « Le bambuco colombien, le tango argentin, la cueca chilienne, la samba brésilienne, le pasillo équatorien sont tous des genres musicaux qui ont accompli le rôle de représenter l’ « essence sonore » de la nation. Pourtant, dès les trois dernières décennies du XXe siècle, cette idée a commencé fortement à se craqueler »1 (Ochoa et Cragnolini 2001, 8).

Plus récemment, on trouve des recherches aux sujets plus variés portant sur diverses dimensions du populaire dans la cueca, en diversifiant les débats auparavant concentrés sur le national. En revanche, un nombre mineur de textes examinent des structures musicales, bien qu’on retrouve souvent des chapitres à ce sujet à l’intérieur de textes plus larges concentrés sur l’histoire et l’identité.

0.2.1. Les origines, la nation, le populaire

Tout au long du XXe siècle, approximativement jusqu’aux années 1960, deux

hypothèses principales ont été avancées sur les origines de la cueca chilienne. Celle qui est la plus acceptée suggère que sa provenance soit liée à la zamacueca pratiquée à Lima, ancien centre de la vice-royauté qui comprenait le territoire du Chili pendant la période coloniale. La zamacueca aurait été amenée au Chili par l’armée de libération vers 1824, selon les mémoires du musicien José Zapiola (1872-1874),

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source la plus précoce de sa présence au Chili, citée par la suite dans l’historiographie musicale chilienne (Pereira Salas 1941 ; Claro Valdés et Urrutia Blondel 1973). Peu de temps après son arrivée, la zamacueca aurait été nommée cueca par abréviation, et rapidement considérée comme étant une danse proprement chilienne, dans le contexte de la naissance de la République. Cette hypothèse sera ultérieurement soutenue par le musicologue argentin Carlos Vega (1947), adepte du diffusionnisme et défenseur de l’idée selon laquelle toutes les danses folkloriques auraient leur origine au sein d’anciennes pratiques aristocratiques en désuétude. D’autres partisans de l’hypothèse liménienne soutiennent que la cueca aurait une origine arabo-andalouse, projetant ainsi ses racines à la nauba andalouse (Claro Valdés et al. 1994, 35).

La seconde hypothèse soutient que la cueca proviendrait du lariate, soit une danse africaine ayant été amenée au Chili par des esclaves originaires de la Guinée, qui la pratiquaient spécifiquement à Quillota, centre agraire proche des villes de Valparaiso et Santiago. On retrouve sa source dans les écrits de l’intellectuel Benjamín Vicuña Mackenna ([1886] 1909), qui a été ensuite cité par Pablo Garrido ([1943] 1976). Une réaffirmation différente de l’origine « noire » relie la zamacueca à un réseau de danses répandues à travers le continent américain, dont le lundú (Assunçao 1970). D’autres hypothèses ont été occasionnellement explorées, dont celle d’une origine indigène (Kilapan 1996) et la thèse portoricaine (Cadilla de Martínez 1950), bien qu’elles aient un très faible impact sur la littérature subséquente. Dernièrement, Christian Spencer Espinosa a révisé les différentes positions en lien avec l’origine du genre, remarquant l’idée sous-jacente d’une « apologie du métissage » et allouant que toutes mènent à l’idée de la nature métisse de la cueca et, conséquemment, à l’emblème national (2009b). Dans un texte plus récent, Spencer Espinosa a revisité ce qu’il appelle le « canon discursif » de la cueca, pour y souligner la récurrence des concepts d’origine, de race et de nation dans les textes les plus influents sur le genre (2013a).

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temps, ces nouvelles recherches portent un regard critique sur les récits historiques de la cueca, en contribuant à la déconstruction de certaines des idées installées par les intellectuels dans le passé. En ce sens, Araucaria Rojas Sotoconil a discuté l’idée de « chilenidad » (« chiliennité ») imbriquée aux discours canoniques sur la cueca. Elle a signalé que, malgré le déploiement des dichotomies utilisées chez les intellectuels pour rendre compte des cuecas selon des distinctions par couches sociales – des cuecas du salon de l’élite à celles de la chingana2 du peuple –, toutes les cuecas

pratiquées seraient systématiquement reliées par leur caractère national et chilien. En particulier, cette auteure observe la façon dont les textes historiques de la cueca ont traité les figures du « huaso » et du « roto », archétypes respectivement du paysan et du pauvre urbain. À ce sujet, elle explique que, malgré leur mutuelle inscription aux territoires du populaire, le « huaso » et le « roto » y ont été iniquement présentés comme des pôles opposés (2010). En revanche, Rojas Sotoconil suggère que les déplacements du « roto » et la diversité de ses parcours offriraient la possibilité d’une lecture non totalisante du national. En outre, elle a observé aussi le dépassement des notions monolithiques de l’identité nationale, particulièrement pendant la dictature militaire (1973-1989). Dans ce contexte, on aurait témoigné d’une tentative de « cooptation autoritaire » de la cueca – tentative cristallisée dans la loi signée par Augusto Pinochet qui déclare la cueca comme « danse nationale chilienne » en 1979 – ainsi que du maintien d’une pléthore de cuecas relevant de la multiplicité de pratiques territorialisées qui s’en réclament : cueca sola, cueca militante, cueca de quartiers populaires. Grâce à ce processus, « l’apparence inflexible de la structure métrique traditionnelle [de la cueca] s’actualise pour s’inonder de contingences et de nouveaux espoirs » (2009) en révélant ainsi une « chiliennité » diluée, implicite et fragmentée.

D’autres recherches récentes s’intéressant au « populaire » dans la cueca ont soulevé deux problématiques principales : d’un côté, le rapport de la cueca avec des lieux spécifiques, et de l’autre, les dynamiques de genre (gender) et de la sexualité qui traversent la danse et la musique. Par exemple, on a examiné avec une approche

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historique les pratiques de cueca exercées au sein de l’abattoir à Santiago pendant la première moitié du XXe siècle, en soulignant les pratiques de sociabilité populaire

(Castro González et al. 2011). L’espace marginal des maisons de prostitution commence aussi à être identifié comme sujet d’intérêt autant pour connaître certaines expressions exclusives de la culture nocturne (Spencer Espinosa 2013b) que pour comprendre les imaginaires sur le genre et la sexualité mobilisés par les nouveaux ensembles de cuecas à Santiago (Spencer Espinosa 2011). La place des femmes dans la célébration populaire et leur rapport avec la cueca ont aussi été récemment examinés par Leslie Becerra (2010). Si le caractère sexiste des paroles des cuecas traditionnelles a été analysé par le sociologue Felipe Solís Poblete (2013), l’ouverture sexuelle associée à une mise en scène contemporaine de la cueca marginale et populaire a aussi été revendiquée, du point de vue de la critique littéraire, comme une tournure culturelle dissidente dans le contexte du Chili post-dictatorial (Carreño 2010).

0.2.2. Le chant de la cueca

La cueca est une danse généralement chantée3. En particulier, autant les descriptions

des folkloristes que les écrits de différents universitaires sont d’accord pour déterminer le rapport serré entre poésie (paroles), chant et danse comme un aspect crucial du genre (Lavín 1943 ; Pereira Salas 1959 ; Figueroa 2004 ; Loyola et Cádiz 2010). Admettant une diversité de groupes instrumentaux, la partie musicale de la cueca est ainsi normalement définie comme un chant accompagné et habituellement performé par plus d’un vocaliste.

En plus de l’énonciation de la mélodie, la réalisation du chant entraîne la transformation des vers parlés/écrits en vers musicaux, en faisant émerger la forme musicale aussi caractéristique de la cueca. Le travail publié à cet égard par le musicologue Carlos Vega en 1947 demeure toujours actuel quant à l’observation des

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Dans le même sens, un texte publié par Gastón Soublette (1959) a expliqué comment une seule mélodie de cueca pouvait supporter une diversité de textes grâce à l’adaptation que ces derniers subissent lors des différentes interprétations par les chanteurs. Chez Vega et Soublette, pourtant, la voix « derrière » le chant n’est convoquée qu’implicitement comme le dispositif qui permet le déploiement de la forme musicale.

Dans la bibliographie savante sur la cueca, en général, les allusions à la voix sont obliques, de sorte que les renseignements à son égard sont intégrés dans des informations sur le nombre de chanteurs, leurs âges, leurs genres, les « tonalités » , l’étendue des mélodies, etc. Un exemple clair est l’information offerte par Carlos Vega dans son texte sur la musique folklorique chilienne, dans lequel il analyse les mélodies des cuecas recueillies au Chili au début des années 1940. Cette information consiste en une notice associée à chaque mélodie transcrite en pentagramme, signalant le nom du chanteur ou de la chanteuse de qui la mélodie avait été apprise, son âge, son lieu de naissance et le lieu où l’informant avait appris à chanter et à jouer un ou plusieurs instruments (Vega 1959). Comme celui-ci, une diversité de textes fournit des renseignements sur les chanteurs, ce qui permet, parallèlement, de configurer certaines connaissances sur leur chant (voir aussi Parra 1979).

Selon l’entrée « Cueca. III. Chile » incluse dans le Diccionario de la música

española e hispanoamericana, la cueca est pratiquée dans tout le pays (et ailleurs),

bien que le centre du Chili constitue sa zone privilégiée (de Valparaiso à El Maule, en passant par la région métropolitaine de Santiago). Dans cette zone, on distinguerait la tradition rurale, où le chant serait préférablement féminin, bien qu’on trouve des duos mixtes et masculins, et la tradition urbaine, où la cueca brava, ou chilenera, serait chantée éminemment par des hommes accompagnés de guitares, d’accordéons ou de pianos et de percussions. Plus au Nord, il s’agirait de femmes solistes accompagnées à la guitare, tandis qu’au Sud, sur l’île de Chiloé, dans la région de Valdivia, on retrouverait des solistes masculins s’accompagnant à l’accordéon. Aux deux extrêmes du pays, elle est usuellement exécutée par l’entremise d’un instrument sans le texte

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sur la portée de la diffusion de la cueca dans tout le territoire national, cette entrée permet d’observer, d’une part, la centralité du chant dans la plupart des expressions de la cueca en vigueur, et, d’autre part, la diversité de pratiques vocales observées. On remarque aussi que la façon de décrire ces pratiques de chant accentue les distinctions de genre (gender) pour rendre compte des traditions locales. Ceci est une constante en ce qui concerne la connaissance sur la voix dans la cueca, puisque les recherches se limitent, habituellement, à signaler le genre des chanteurs – voix masculine, voix féminine – en portant très peu d’attention aux autres aspects de la voix.

Les premières allusions au chant de la zamacueca s’accordent pour le décrire comme un chant féminin et nasal, du moins jusqu’au début du XXe siècle, moment où,

d’après Pablo Garrido (1979), la pratique serait devenue mixte. Vers le milieu du siècle, Juan Pablo González explique qu’on peut parler, grosso modo, d’une cueca

urbana (urbaine) interprétée par des groupes d’hommes et d’une cueca campesina (de

la campagne) interprétée par des duos ou trios de femmes (González et Rolle 2005, 395). Les chercheurs n’ont néanmoins pas établi une corrélation entre l’ancien chant aigu féminin des villes, l’actuel chant féminin de la campagne et l’actuel chant masculin des villes.

De même, les études qui abordent la cueca ont montré une tendance à faire une distinction entre la pratique rurale et urbaine, tandis que peu d’études approchent la cueca dans l’ensemble. Jusqu’à très récemment, les histoires de la cueca ont fait référence à la cueca de la campagne en la dépeignant plus ou moins directement comme la pratique authentique de cette danse « folklorique ». Cette tendance a eu comme conséquence, entre autre, la formulation de récits parallèles pour expliquer la cueca urbaine, comprise comme un exemple de musique populaire inscrit dans l’industrie radiale et l’industrie discographique, divergente de la cueca rurale. Cette

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nasalisation s’est exclue du chant folklorique populaire diffusé à la radio vers le milieu du XXe siècle, espace où était privilégié le son aigu et lyrique (González et al.

2009, 325). Bien que ces affirmations ne s’accompagnent pas d’exemples spécifiques pour les démontrer, elles représentent un discours assez répandu dans la bibliographie sur le chant « folklorique » et la cueca en particulier.

Les travaux de Pablo Garrido, dont sa Biografía de la cueca publiée en 1943, méritent une attention spéciale. Dans cet ouvrage, en plus d’observer le lien étroit entre chant et danse, le musicologue signale que l’une des multiples énigmes de la cueca qui restait à être résolue était sa « forme si particulière d’appuyer la voix nasillement »4 ([1943] 1976, 82, c’est moi qui souligne). La tâche de révéler les

mystères d’une telle énigme n’a jamais été reprise, sauf si on considère le dialogue virtuel que le livre Chilena o cueca tradicional – produit par Samuel Claro et ses collègues en 1994 – entrepris à la suite de l’appel de Garrido. Ce livre propose que la cueca possède une origine arabo-andalouse, en offrant, parmi les arguments pour soutenir cette théorie, des explications sur la technique vocale, la pratique de chant en groupe et une série d’aspects cosmologiques qui y sont reliés. Le type de cueca que cet ouvrage promeut prend le nom de chilena et, quelques années plus tard, il connu une véritable revitalisation comme cueca chilenera. Ainsi, la problématique de la vocalité revient, cette fois-ci, et sera attachée à une scène à l’air « revivaliste » déployée à Santiago des années 1990 jusqu’à aujourd’hui.

C’est justement dans le cadre de cette scène actuelle qu’un nombre succinct de textes portant sur la voix dans la cueca sont apparus. D’une part, les folkloristes Margot Loyola et Osvaldo Cádiz ont consacré un bref chapitre aux « modalités interprétatives du chant », dans lequel ils exposent les différences en nombre de chanteurs – soliste, duo, quatuor –, des variantes distribuées selon des localités, comme on l’a vu dans l’entrée de dictionnaire citée plus haut. En plus, ils signalent l’utilisation de tierces parallèles et l’alternance de voix dans le cas de la cueca brava, dont la modalité de chant serait « la plus complexe » (Loyola et Cádiz 2010, 122-125). Dans un autre chapitre du même livre, ils font référence à l’expression « chanter

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avec pito alto » (Loyola et Cádiz 2010, 59), le mot pito (sifflet ou Klaxon) signalant la force et la tessiture aiguë de la voix dans la cueca chilenera, sans toutefois offrir d’analyse ou de réflexion à ce sujet.

Felipe Solís Poblete (2012) s’est également penché sur la cueca chilenera en s’intéressant plus particulièrement à l’introduction de ce type de cueca dans l’industrie discographique, et en proposant un regard historique des premiers enregistrements faits dans les années 1960. Sous un angle différent, informé par son expérience en tant que chanteur, Luis Castro González a publié des écrits sur le chant

chilenero en réaffirmant ses origines arabo-andalouses et son ancrage dans la culture

populaire chilienne (Castro González 2010 ; Castro González et al. 2011).

0.3. Problématique et objectifs

0.3.1. Problématique

Cette recherche vise à combler partiellement le manque de connaissance approfondie sur la composante musicale de la cueca, et ce, sans oublier le rapport intime entre le « son » et les significations culturelles qui se développent au sein de sa pratique sociale (Frith 1996, 270). Parmi les divers éléments musicaux, je choisis d’examiner la « voix chantée », en raison de la place centrale qu’elle occupe dans la pratique du genre, à la différence des autres instruments de musique, suivant le critère de pertinence avancé par Middleton (2000, 6) et remarqué par Moore (2001, 19). Il me semble également possible d’y observer l’articulation préférentielle de débats incontournables sur la cueca, voire sa constitution comme expression du national et du populaire, entre autres. De plus, la voix émerge comme un terrain où les différences, parfois conceptualisées dans le cadre des « styles » et « variantes », sont articulées par des discours d’« authenticité », ainsi que par des processus d’actualisation selon les pratiques de cueca.

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l’intérêt pour cette voix nasale « si particulière » de la cueca, telle que remarquée par Pablo Garrido. De plus, au-delà de la nasalité, je m’intéresserai à examiner une diversité d’enjeux entre vocalité, sujet et genre.

Jusqu’à présent, et comme l’illustre la précédente discussion, aucune étude de type musicologique n’a été consacrée au chant de la cueca, à l’exception de l’apport du chanteur et chercheur autodidacte Fernando Gonzalez Marabolí qui, par l’intermédiaire du musicologue Samuel Claro Valdés, offre des explications plus précises sur la technique vocale et son héritage prétendument arabo-andalou (Claro Valdés et al. 1994). Toutefois, la littérature fournit des extraits descriptifs faisant référence au chant dans le contexte d’études historiques ou théoriques.

D’après la lecture de l’ensemble de la documentation disponible, il m’est possible d’identifier, d’une part, trois descripteurs sonores principaux qui apparaissent de manière récurrente au cours de l’histoire de la cueca en général, à savoir la tessiture aiguë, l’intensité et la nasalisation, en plus de deux éléments qui sont plutôt propres à la cueca chilenera, soit le « gorgoreo-mélismatique » et le chant en groupe. D’autre part, la diversité de textes qui participent à cette discussion fragmentaire sur la voix de la cueca permet d’observer différents registres où les idées sur la cueca opèrent. Un exemple peut servir à illustrer cette idée plus clairement. La notion de nasalité apparaît principalement dans les descriptions des voyageurs étrangers qui visitaient le Chili au XIXe siècle, de sorte que son usage s’inscrit dans un

contexte plus large que celui de l’histoire de la cueca, puisqu’il relève des conceptions de la beauté, du sauvage et de la sexualité. En revanche, l’aspect nasal de la pratique a aussi été décrit par les intellectuels évoquant le cri dans le centre urbain de Santiago au début du XXe, reliant cette fois-ci la nasalité aux notions de bruit, de

classe sociale et de divertissement. Plus tard, des musicologues ont établi que la nasalité disparaît du chant de la cueca par le « nettoyage » imposé par l’industrie, impliquant les négociations de pouvoir entre certaines institutions culturelles et l’adoption du concept de style comme catégorie de différentiation à l’intérieur du genre. Plus récemment, des chanteurs de cueca, informés par la lecture de ces textes,

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musiques apparentées, dont le flamenco. Toutes ces formulations font référence au caractère nasal de la cueca, mais les valeurs qui lui sont associées, ainsi que les préconceptions sous-jacentes diffèrent largement. Pourtant, elles convergent dans l’actualisation du « récit » de la cueca, dans une trame dense où la configuration de la cueca comme danse nationale du Chili ne cesse de « s’articuler » (Hall 1985).

La voix semble ainsi une clé d’entrée pour examiner des phénomènes d’ordres divers qui sont associés avec des conceptions sur le son, le sujet et le genre. Sans oublier la vigueur d’une série d’idées sur l’identité nationale et populaire, il s’agira de se pencher sur ces récits de la cueca à partir de la question de la vocalité, afin d’observer la façon dont ses multiples déclinaisons permettent d’accéder à autant de manières « de se reconnaître »5 dans le prisme de la cueca. Je me pose alors la

question suivante : comment la voix chantée dans la cueca chilienne, et notamment ses façons de sonner et de se décrire, participent à la construction de représentations sociales?

0.3.2. Objectifs

0.3.2.1. Objectif général

Révéler le rapport existant entre la production vocale de la cueca chilienne et la construction de représentations sociales chez les chanteurs d’une scène actuelle et selon une diversité de commentateurs, observateurs, participants et auditeurs qui traversent l’histoire du genre.

0.3.2.1. Objectifs spécifiques

• Identifier les éléments sonores et techniques du chant qui sont reliés à la production d’une voix considérée propre à la cueca et certaines de ses variantes.

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Explorer le vocabulaire et les descripteurs émiques (des chanteurs) du chant de la cueca, ainsi que leurs significations associées.

• Distinguer les critères selon lesquels les chanteurs et les auditeurs évaluent la qualité vocale et la beauté du chant.

• Situer les discours sur la voix dans les discours historico-identitaires de la cueca.

• Établir des rapports entre les discours à propos de la voix et d’autres concernant l’appartenance géoculturelle (nation, race, ethnie), le genre (gender) et la classe sociale.

0.4. Cadre théorique et approche

Une dimension de ma recherche correspond à un projet de nature phonostylistique (Lacasse 2010), qui vise à décrire les aspects techniques du chant, les traits vocaux manifestés, ainsi que de la configuration d’une ou de plusieurs esthétiques vocales de la cueca. Ainsi, la pratique vivante deviendrait une entrée vers le passé, de sorte qu’elle révélerait des actualisations autant des registres sonores que des discours précédents. Plutôt que proposer une véritable généalogie du style performatif (Leech-Wilkinson 2009), l’angle diachronique servira alors à cartographier, à partir du présent, des réseaux de références qui permettent d’inscrire les débats autour de la voix dans des contextes historiques différenciés, soulevant l’imbrication de notions d’identité, d’authenticité, d’appartenance. En même temps, l’angle synchronique montrera comment s’articule de nous jours le rapport avec la tradition. Pour examiner les liens entre sons et discours à différentes époques, tous actualisés d’une façon ou d’une autre au sein d’une pratique vivante, je me servirai du concept d’« articulation » de Stuart Hall, celui-ci comprit comme :

[C]onnection or link which is not necessarily given in all cases, as a law or a fact of life, but which requires particular conditions of existence to appear at all, which has to be positively sustained by specific processes, which is not “eternal” but has constantly to be renewed, which can under some circumstances disappear or be overthrown, leading to the old

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does not mean that they become identical or that the one is dissolved into the other. Each retains its distinct determinations and conditions of existence. However, once an articulation is made, the two practices can function together, not as an “immediate identity” (in the language of Marx’s “1857 Introduction”) but as “distinctions within a unity.” (Hall 1985, 113-114)

Suivant le modèle d’approche qu’Aaron Fox a appliqué pour étudier la voix comme point d’articulation de la classe sociale dans le cas du « real country », ma recherche sur la voix portera une attention particulière au phénomène de réflexivité entre connaissance et pratique, ce que Fox appelle cadre poétique/performatif, qu’il considère comme un point de croisement entre les cadres théoriques/métadiscursifs et matériel/technique (Fox 2004, 35-36). Une telle réflexivité touche également à la participation de l’écoute dans la production théorique, particulièrement quand il s’agit, comme on le verra au cours de la thèse, de la rencontre entre des sujets qui établissent des rapports d’altérité. Dans ces contextes, en empruntant les mots de Paul-Louis Colon, « l’individu est entraîné à déplacer son attention des repères pour l’action que sont généralement les sons aux modalités mêmes de son écoute » (Colon 2010, 201).

Le concept de vocalité proposé par Paul Zumthor pour caractériser l’historicité de la voix, sa puissance physiologique et sa capacité de fournir l’aspect corporel aux textes, de procurer « leur mode d’existence en tant qu’objets de perception sensorielle » (Zumthor 1987, 21), a été incorporé dernièrement aux débats sur les rapports entre musique et identité en Amérique latine, particulièrement dans des études qui explorent des pratiques vocales racialisées (Vilas 2005) et la participation du corps dans les processus d’écoute des autres (Valente 2004 ; Pereira 2012). Dans un sens large, la notion de vocalité renvoie à la matérialité de la voix, à sa sonorité et sa présence, permettant de repenser les pratiques de chant ainsi que de reconsidérer ses paramètres d’examen.

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(Calvet 1994, 20). Cette prémisse, appliquée surtout aux études des solistes vocaux, paraît supposer qu’il existe un lien serré entre chant et chanteur qui relèverait de l’unicité du sujet et de sa voix. Elle est par exemple implicite lorsque Martin Pfleiderer avertit que les auditeurs de musique populaire apprécient d’abord « an “undiluted”, immediate personal expression, something like a “personal voice” of a singer » (Pfleiderer 2010, 4). En revanche, la problématique que notre recherche soulève requiert une approche tout à fait différente au lien entre voix et sujet, non seulement puisqu’il s’agit ici d’une pratique éminemment collective qui met rarement en avance des « stars », mais surtout parce que la cueca réclame l’attention sur la multiplicité de voix que le chanteur mobilise, autant au niveau de la conceptualisation de son identification d’« artiste », de « chilien » et particulièrement de « sujet populaire », qu’au niveau des divers registres selon lesquels une telle attribution opère, et ce, selon des rapports entre identité, sujet, classe, nation, genre musical. À cet égard, il semble pertinent d’invoquer Ian Biddle lorsqu’il soulève qu’il existe « a

more diffuse politics of the personal » (Biddle 2004, 81). Si chez Biddle ce sont des

stratégies vocales médiatisées par la technologie d’enregistrement qui constituent son objet d’analyse (dans le cas particulier de musique électronique), je voudrais pousser la problématique pour examiner, dans le cas de la cueca, les enjeux entre voix et sujet qui impliquent des processus diversifiés de gestion entre le soi, l’autre et le communautaire. Sans nier le lien étroit entre la voix et celui qui la produit, le questionnement devient : comment observer alors ce lien en évitant d’attribuer une certaine transparence entre les deux. À cet égard, les théories de Steven Connor indiquent un parcours fructueux, lorsqu’il aborde la possibilité de déguiser le soi derrière la voix : « As a kind of projection, the voice allows me to withdraw or retract

myself. This can make my voice a persona, a mask, or sounding screen. At the same time, my voice is the advancement of a part of me, an uncovering by which I am exposed, exposed to the possibility of exposure. I am able to shelter behind my voice only if my voice can be me » (Connor 2000, 5).

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The concept of representation in the study of music refers to the relationship between musical sounds and the meanings that listeners derive from them. The term “representation” is typically understood in three principal ways in discussions of music. First, and most simply, it has been used to denote mimesis, the process by which a composer creates the resemblance of recognizable sounds in a work of music – musical references to birdsong and flowing water, or quotations of pre-existing melodies, might be examples of this sort of representation. Second, it is often employed to explain the manifestations of music in performances and texts. For example, “representation” is sometimes invoked to explain the relationship of a performance to the sheet music; of a musical score to the composer’s ideas; of a transcription to a performance; or of critical, scholarly, and literary discussions of music to the sounds they describe. And third, it is used in a broader sense to characterize the ways listeners interpret more abstract meanings from music, such as emotion, narrative, values, place, and identity. (Walden 2013, 2-3)

Ainsi, je m’intéresserai d’abord aux processus de représentation imbriqués dans la production vocale, comprenant la voix comme indice du statut du sujet (classe, nation, race, métier). En particulier, il s’agira d’observer les dynamiques d’imitation de sons attribués à certains sujets archétypiques. Ensuite, les formulations sur la voix émanant des sources écrites, notamment universitaires, seront étudiées en cherchant à comprendre la participation des intellectuels dans la diffusion d’idées sur la voix de la cueca, idées souvent ancrées dans les préoccupations disciplinaires spécifiques, les débats scientifiques et les programmes politiques. Enfin, l’acception plus large de représentation servira à observer le vas-et-vient des dynamiques de représentation en place, soulignant les discussions sur l’identité nationale et l’authenticité du populaire.

En outre, à part le concept de représentation, j’invoquerai celui d’incarnation pour examiner plus particulièrement l’établissement de rapports d’appartenance entre voix et sujet, des rapports notamment axés sur le corps et la trace biographique. En lien avec des processus de représentation, le problème de l’incarnation relie la pratique vivante à l’actualisation des voix enregistrées sur des supports divers,

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production plutôt qu’un attribut personnel donné, possède le pouvoir d’animer en vocalisant, « but the voice is not merely the sign of this animation, it is the very

means by which animation is accomplished » (Connor 2000, 10).

Comptant sur cette base conceptuelle, une question de recherche plus nette émerge. Si la question originale visait à explorer la participation de la voix dans la construction des représentations sociales, l’interrogation devient alors comment le son vocal et ses descripteurs s’articulent (Hall 1985) avec une série de discours sur le national et le populaire, considérés centraux pour l’histoire chilienne. Plus précisément, il s’agit d’observer le dialogue entre son et discours. Il s’agira ainsi d’analyser d’un côté, l’impact mutuel de la production théorique savante et la mise en place de plusieurs vocalités (Zumthor 1987), et de l’autre côté, d’explorer comment la gestion de la voix intègre diverses stratégies et niveaux de représentation (Walden 2013), qui combinent diverses relations entre la voix, le corps, le sujet et la communauté dans laquelle la cueca se pratique.

0.5. Méthodologie

À partir des pratiques actuelles de cueca, cette recherche trace des lignes vers le passé, à la lumière des points de repère écrits et sonores émis par les chanteurs eux-mêmes. Ainsi, la délimitation temporelle est fournie par l’étendue de l’histoire du genre au Chili, sans que l’objectif soit d’en construire une généalogie exhaustive. Plutôt, il s’agit de situer les explications à divers moments et contextes, traçant des connexions transversales thématiques. La zone géographique se limite à la région métropolitaine (dont la capitale est Santiago) et la région de Valparaiso au Chili. Sur la base d’un cadre étendu d’investigation qualitative, j’utilisai plusieurs techniques, dont la recherche bibliographique, l’observation participante, l’entrevue et l’analyse musicale. La nature des sources incluses est multiple, sources écrites, orales et sonores.

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Un travail préliminaire6, réalisé entre août et décembre 2011 à Santiago, m’a

permis d’effectuer une première expérience d’observation participante (Cámara de Landa 2004, 365), avec des cuequeros (joueurs de cueca) dans de nombreux concerts, fêtes, répétitions et évènements culturels, ainsi qu’un premier groupe d’entrevues avec dix chanteurs. Parmi celles-ci, j’ai perdu l’enregistrement du groupe 8, lors du vol de mon matériel de recherche à la Biblioteca Nacional de Chile (Bibliothèque Nationale du Chili) en 2012. Il s’agit des conversations entretenues avec Fernando Berríos (La Gallera), Felipe Bórquez (Los Chinganeros), Patricia Díaz (El Parcito), Horacio Hernández (La Gallera), Claudia Mena (El Parcito), Daniel Muñoz (3x7 Veintiuna), David Pineda (Los Benjamines) et Francisca Salas (Las Peñascazo). Malgré cette lamentable perte, des notes prises lors des rencontres m’ont permis d’améliorer la méthode d’enquête les entrevues ultérieures.

Des travaux subséquents furent réalisés sur des périodes d’environ six semaines en avril-mai 2012, janvier-février 2013, juillet-août 2013, où j’ai assisté à des dizaines de spectacles, pratiques, séances d’enregistrement et ateliers d’enseignement de chant de cueca, entre autres activités. Les observations que j’ai effectuées lors de ces occasions m’ont servies à formuler la liste de thématiques abordées lors des rencontres individuelles et en groupe avec des chanteurs. Dans ces travaux j’ai fais l’entrevue d’onze chanteurs : Julio Alegría (Aparcoa), René Alfaro (Los Trukeros, Los Chinganeros, Los Corrigüela), Ignacio Andrade (Los Trukeros, De Caramba), Leslie Becerra (Las Peñascazo, Las Primas), Diego Cabello (Los Trukeros, De Caramba), Lucho Castillo (Los Tricolores, Los Piolas del Lote), Luis Castro (Los Chinganeros), Gilberto Espinoza (La Isla de la Fantasía), Pablo Guzmán (Los Trukeros, Los Piolas del Lote, Los Corrigüela), Cristian Mancilla (La Gallera), Rodrigo Miranda (Los Trukeros), Rodrigo Pinto (Los Chinganeros, Los Corrigüela), Giancarlo Valdebenito (La Gallera, Los Chinganeros, Los Corrigüela). Leur recrutement a été guidé par les critères suivants : âgés de plus de 20 ans, qui

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ouverte ou semi-dirigée, qui comprend la préparation d’une série de sujets à aborder lors d’une entrevue, sans qu’il s’agisse de questions fixes ni obligatoires (Alonso 1998). En général, les questions abordées dans nos rencontres, effectuées dans un espace choisi par le participant, incluaient les thématiques suivantes : premier contact avec la cueca, rapport personnel avec la cueca chilenera, apprentissage du chant, technique vocale, référents et modèles, lectures sur la cueca, rapport au folklore.

Le moyen d’accès aux participants était direct et a aussi fait appel à la méthode « de proche en proche », consistant à demander à un premier participant des informations afin d’obtenir de potentiels futurs participants (Blanchet et Gotman 1992, 57-58). J’avais tout de même rencontré la plupart des participants lors des concerts et activités publiques. Certains d’entre eux connaissaient la recherche que je réalisais avant de devenir participants. Car la scène actuelle de cueca a compté sur la participation active d’un nombre de chercheurs, producteurs et journalistes. Plusieurs chanteurs qui ont participés à cette recherche étaient aussi actifs dans les activités de réflexion, théorisation et vulgarisation de la connaissance sur la cueca. C’est pourquoi les entretiens que nous avons eues renvoyent souvent à un débat collectif en cours, dans lequel nous nous rencontrions en dehors de la situation d’entretien, les participants et moi. Ceci a eu un impact sur la façon dont se déroulaient les discussions. Ainsi, bien que la dynamique principale consistait en une chercheuse qui posait des questions et un(e) participant(e) qui y répondait, souvent l’entrevue mettait en évidence notre mutuel intérêt sur la théorisation de la vocalité et son rapport aux représentations sociales. Ceci dévoila, occasionnellement, les différentes perspectives qu’on développait, chacun de son côté, en raison de nos opinions divergentes du milieu de la cueca. Puisque certains des chanteurs interviewés sont eux-mêmes des auteurs de textes sur l’histoire et la théorie de la cueca, la confrontation de points de vue devint parfois tendue, sans pourtant risquer la qualité de l’échange ni dévier de l’objectif ultime de la conversation. Au cours des années, j’ai été contactée par quelques participants qui désiraient connaître les

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importante des universitaires dans le développement de la musique folklorique et populaire au Chili, et notamment au sein des scènes revivalistes.

À partir des enregistrements des entrevues, j’ai effectué des transcriptions détaillées. Lorsqu’un participant prononçait un exemple de tel ou tel trait vocal en offrant une démonstration chantée, j’ai retrouvé le défi, paradoxal si l’on veut, de devoir décrire en mots les sons produits par sa voix. J’ai constaté la persistance de cette difficulté, impossibilité peut-être de mettre en mots la particularité du son. Cette problématique expérimentée dans ma pratique de recherche apparaît dans cette thèse traitée dans divers cas analysés dans les chapitres qui abordent le rapport entre la description écrite des voix, la production du son vocal, et l’imaginaire qui s’y mobilisent.

Bien qu’au début de cette recherche il était prévu de réaliser une séance d’écoute et de discussion collective avec un groupe de chanteurs, après plusieurs tentatives pour rassembler les participants j’ai constaté qu’il n’était pas suffisamment intéressant pour eux de s’engager dans un tel type d’activité, ce que j’ai confirmé lorsqu’aucun participant est arrivé au rendez-vous fixé en mai 20127. À la place, j’ai

mené une séance d’écoute et de discussion à propos du chant dans un morceau de cueca avec un groupe d’auditeurs, et ce, dans le cadre du séminaire d’analyse de la musique de Philip Tagg à Santiago en août 2013, tenu à la Universidad de Chile. Les rapports écrits et verbaux que j’ai alors recueillis m’ont permis de mettre en relation les discours, le vocabulaire qui sert à décrire la voix et une partie du corpus d’enregistrements.

L’examen des sources écrites a compris, tout d’abord, la lecture critique de la bibliographie principale publiée sur la cueca, dont une liste détaillée se trouve à la fin. Ensuite, dans le domaine des publications périodiques de vulgarisation, la

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de ces textes est variable. Ainsi, la totalité des numéros publiés de El Musiquero (1964-1976), de Juventud (1977-1978), de La Bicicleta (1978-1990), de El Arado (1984-2003) et de Rock & Pop (1994-1998) a été déjà examinée ; tandis que l’examen d’autres publications périodiques dont Ecran (1930-1933), En Viaje (1933-1973), Radiomanía (1943-1958), Ritmo de la Juventud (1967-(1933-1973), Telecran (1969),

La Cultura (1993-1998), se limite à une portion des numéros édités, se concentrant

souvent sur ceux parus pendant les périodes de l’année où la musique folklorique et populaire chilienne apparaît mentionnée plus fréquemment. J’ai fait particulièrement attention à la réception des styles vocaux chez des intellectuels et des journalistes. Enfin, un nombre de cuecas dont les paroles abordent la pratique musicale sont aussi examinées, en cherchant les descriptions des voix et les allusions aux chanteurs.

Quant aux sources sonores, un corpus d’enregistrements se compose suivant deux critères. En premier lieu, j’inclus les morceaux les plus mentionnés au sein des entrevues. Il s’agit en général de cuecas très célèbres ayant été enregistrées à plusieurs reprises, comme on peut constater sur la base des renseignements publiés sur le site web Cancionero discográfico de cuecas chilenas8 (Solís Poblete 2011),

ainsi que selon les catalogues des compagnies discographiques les plus importantes au Chili, dont RCA Victor et Odeon. En second lieu, j’ai fait une sélection de cuecas récentes qui touchent directement à la thématique arabo-andalouse, celle que je discute en profondeur dans un des chapitres. Dans le tout, j’ai cherché à incorporer divers musiciens, labels, années de production, etc. Le corpus a été analysé en observant les paramètres performanciels tels que décrits par Serge Lacasse (2005), et notamment les ornements vocaux. J’ai produit des représentations visuelles de certains extraits des enregistrements étudiés afin d’illustrer les traits analysés, en me servant du logiciel Sonic Visualiser 2012. J’ai également élaboré une transcription en notation musicale conventionnelle d’un jeu vocal en particulier, discuté dans le chapitre final. Pour ce faire j’ai utilisé le logiciel Finale 2011. Des outils de l’analyse musicale classique — mélodique et formelle — ont également servis à comparer des transcriptions publiées dans la bibliographie étudiée. Finalement, la méthodologie

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comprend une activité herméneutique en cours, consistant à analyser et interpréter les sources, cherchant à répondre à la question générale de la recherche.

0.6. Présentation des parties de la thèse

Cette thèse possède une organisation qui combine une séquence diachronique avec le regard intensif d’un nombre succinct de problématiques singulières, observées respectivement à des moments donnés de l’histoire de la cueca. Ceci dit, l’étendue temporelle que chaque chapitre couvre est différente, tout comme l’équilibre entre les divers types de sources qu’y sont convoqués à chaque tour. Plutôt que de se présenter comme les étapes successives d’une histoire linéaire, chacun des cinqs chapitres vise à répondre à la question de recherche sous un angle singulier. Pourtant, bien qu’ils puissent fonctionner comme des unités thématiques, les chapitres gardent entre eux une relation sous-jacente, un filon fondamental qui permet de les lire comme un tout. Ce filon concerne particulièrement la généalogie du caractère nasal de la voix de la cueca, selon celui apparaît produit, perçu, débattu, récupéré et revendiqué au sein d’une pluralité de contextes historiques et pratiques folkloriques/artistiques. En outre, tous les chapitres renvoient, d’une manière ou d’une autre, aux préoccupations observées dans les pratiques actuelles, en fournissant des antécédents précieux pour comprendre autant les termes de la scène contemporaine de la cueca urbana que l’enjeu vocal de l’histoire de la cueca au pays.

Le chapitre 1 présentera d’un côté une définition générale de la cueca, repérant ses composantes formelles fondamentales, et de l’autre, une définition spécifique de la cueca urbana, dont on remarquera son caractère « populaire ». L’intérêt pour sa singulière sonorité vocale suscité chez des jeunes chanteurs au sein d’un mouvement de revitalisation s’étudiera en remarquant le lien entre l’apprentissage de ce style de chant et des idées à l’égard du naturel. L’ouverture d’un regard vers le passé chez ces mêmes jeunes signalera le parcours des chapitres

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cueca à travers la production historiographique. Le descripteur de la nasalité, ainsi que l’extrême hauteur du chant se regarderont en cherchant à interpréter le rapport entre l’écoute et la conception d’altérité dans la rencontre entre le voyageur et autrui. Par la suite, le chapitre 3 examinera le rapport entre l’andalucismo, la promotion de la théorie de l’origine arabo-andalouse de la cueca, et les idées sur la voix, développées autant par les chercheurs que par les chanteurs eux-mêmes. En particulier, on observera la notion de chant mélismatique et son lien avec des ornements vocaux, dont notamment le gorgoreo. Différents enjeux de la représentation du populaire seront abordés au chapitre 4, qui portera une attention particulière sur la vocalisation – représentation ou incarnation – de deux sujets populaires chiliens : le huaso et le

roto. Un nombre de cas de chanteurs dont les styles vocaux se différencient seront

étudiés en considérant la réception qu’ils trouvent au milieu du XXe siècle chez le public et les intellectuels. Les débats sur l’authenticité y occuperont une place primordiale. Finalement, le chapitre 5 retournera sur la scène de revitalisation actuelle pour y examiner l’adoption du style de cueca chilenera, le chant à la rueda et la conception du bon pito, tout en soulignant le rapport étroit entre la performance en groupe et le déploiement de la voix individuelle. Les enjeux de la représentation reviendront encore, cette fois-ci pour penser le binôme véracité-imposture qui signalerait la possibilité de distinguer entre le chant crié et le cri.

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Chapitre 1 « Voilà une vraie cueca ! »

9

: Portée

du sujet

1.1 Les cuecas

1.1.1. Les cuecas

Si l’étendue temporelle de cette recherche comprend la vie entière de la cueca au Chili, la question originelle qui l’instigue relève d’une pratique vivante, actuelle. Celle-ci s’inscrit dans le cadre d’un éventail de cuecas diverses, sans qu’il en existe une typologie rigide. Cette pratique surnommée « cueca brava », type de cueca

urbana, se caractérise par un chant singulier, objet d’attirance chez des jeunes qui

cherchent à s’y initier en tant que chanteurs. Un survol des circonstances dans lesquelles la « cueca brava » émerge dans les deux décennies précédentes sert à situer le point de départ de la présente enquête sur la voix de la cueca.

Ce chapitre initial propose, d’une part, des définitions de base qui serviront à encadrer l’ensemble d’arguments que développe cette recherche. Ce qu’est la cueca est la première interrogation à laquelle on doit répondre, seulement dans une façon opérative, afin d’éclaircir autant que possible le noyau de sens qu’elle comporte. La forme du texte poétique, sa transformation au cours du chant et la forme de la mélodie seront étudiés. D’autre part, le chapitre offre une introduction aux circonstances qui déclenchent notre recherche, c’est-à-dire, la scène de revitalisation que la cueca urbaine expérimente à Santiago depuis les années 1990. Un aperçu des traits principaux de cette scène sert à identifier une série de problématiques reliées à la voix qui seront développées par la suite dans les autres chapitres de cette thèse.

Bien que la cueca se soit constituée tout au long de deux siècles en danse et musique populaire, en renouvelant à plusieurs reprises les valeurs de sa popularité,

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