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De la transformation sociale à la modernisation de l’action publique l’action publique

La ville inclusive : la place et le rôle des acteurs dans le référentiel

Chapitre 3 – Fondements de l’impératif participatif des villes participatif des villes

III.3. De la transformation sociale à la modernisation de l’action publique l’action publique

À la différence du modèle bordelais, tributaire, comme nous l’avons vu, de l’encadrement juridique de la décision publique, les conseils de quartier québécois sont l’aboutissement d’une démarche citoyenne qui a permis l’arrivée au pouvoir d’un parti politique de gauche, composé de militants issus des mouvements populaires et du milieu intellectuel. À une démarche descendante visant à répondre par un arsenal juridique, sommes toutes assez pauvre, aux aspirations de la société civile, le modèle québécois oppose une initiative du bas vers le haut qui, dans un même mouvement, va entraîner le renouvellement du pouvoir municipal et instaurer une nouvelle manière d’élaborer la décision publique.

La réforme enclenchée par le RPQ vise en priorité à faire participer davantage les citoyens aux affaires municipales et à améliorer la qualité des services publics sur la base d’un certain nombre de valeurs, au nombre desquelles l’on trouve : « la transparence, l’équité, la concertation, l’imputabilité et l’innovation » (Bherer, 2003 : 198).

Le Conseil de quartier constitue le parangon de cette politique participative et le moyen privilégié de réappropriation des enjeux locaux par la population. Il est conçu, à l’origine, comme une instance décisionnelle autogérée par les citoyens et répond en cela à l’idée promue par les militants que « le projet de démocratisation passe par une politisation de la scène municipale » (ibid: 173), scène que les citoyens sont vivement invités à investir. Au-delà, le conseil est également envisagé comme un espace

d’expression citoyenne au sein duquel il est possible de manifester son opposition et d’assurer la défense des intérêts de la communauté. En matière décisionnelle, les responsables souhaitent que les conseils de quartiers soient chargés de l’émission des permis de construction et de démolition, qu’ils approuvent l’usage des terrains vacants et puissent déterminer les plans d’aménagement de quartiers, afin qu’ils deviennent les instances citoyennes incontournables en matière d’aménagement du territoire.

Toutefois, la coopération entre mouvement social et projet politique n’est possible que si acteurs institutionnels et militants partagent « un certain nombre de catégories de pensée et de cadres d’action » (Neveu, 2011b). Jusqu’à l’arrivée au pouvoir du RPQ, un consensus existe entre les acteurs qui partagent une même conception du projet participatif pour la ville. Mais des divergences apparaissent au moment de son opérationnalisation. Le caractère décisionnel de l’instance phare du projet cristallise l’opposition entre les militants les plus radicaux, favorables à la décentralisation des services administratifs, et certains élus qui voient dans le conseil de quartier un aveu de faiblesse qui révélerait la crainte des responsables « d’exercer pleinement le pouvoir » (Bherer, 2003 : 215). À l’issue du débat interne qui s’engage alors, un compromis est finalement trouvé. S’inspirant des expériences états-uniennes et de l’esprit des coopératives d’habitants (ibid : 218), les conseils de quartier évoluent alors vers des structures juridiquement autonomes. Leur pouvoir décisionnel sur le projet de ville est réduit mais en contrepartie ils disposent de celui d’initier leurs propres projets à l’échelle du quartier (ibid). Le conseil de quartier devient, dès lors, un dispositif consultatif indépendant (Quesnel, Bherer et Sénéchal, 2005) ainsi que l’interlocuteur privilégié de la ville sur toutes les questions concernant le cadre de vie. La ville peut adresser une « demande d’opinion » auprès des dirigeants du conseil, concernant une question d’incidence mineure ou tenir une consultation publique ouverte à tous ; lorsque le sujet est plus ambitieux, le conseil a alors la possibilité de formuler des recommandations (Bherer, 2011). Néanmoins, son rôle ne se réduit pas à donner un avis sur sollicitation des autorités municipales, le conseil participe activement à l’élaboration du plan directeur de quartier ; son pouvoir d’initiative, certes limité à des projets micro-locaux, lui confère une certaine autonomie ; il peut également interpeller les élus pour transmettre une requête ou formuler un avis non demandé (Bherer, 2003 : 202) ; enfin, il dispose d’un budget de fonctionnement pour assurer ses dépenses courantes ainsi que d’un budget d’activités évalué en fonction des projets envisagés. En complément, son statut associatif l’autorise à solliciter des subventions gouvernementales et à conclure des partenariats avec d’autres organismes, pour mener à bien ses projets.

En dépit d’une dépolitisation du projet, le lien historique entre l’instauration du conseil de quartier et la mobilisation citoyenne demeure un point essentiel de sa mise en œuvre. Le principe initialement envisagé d’élire les conseillers au suffrage universel est écarté au profit d’une élection des représentants par la population du quartier, cette formule lui confère néanmoins une assise démocratique forte. Les huit administrateurs du conseil, élus à parité égale pour une durée de deux ans, forment, avec les trois membres qu’ils ont cooptés, le conseil d’administration qui débat avec les habitants en assemblée publique mensuelle. En outre, la constitution du conseil de quartier est conditionnée à la manifestation d’une volonté populaire, en cela qu’une pétition signée par 300 personnes est requise au préalable. Sans être une émanation de la société civile, les conseils de quartier québécois « ne sont donc pas qu’une création municipale imposée par le haut » (Patsias et Bucica, 2003). De plus, les élus, s’ils participent aux travaux de l’instance, n’ont pas le droit de voter les décisions. Nous avions noté, lors du conseil de quartier du centre-ville du 21 juin 2011, la présence active de l’élue ainsi que la relation franche et directe prévalant entre elle et les conseillers, lesquels n’avaient pas hésité à interpeller l’adjointe sur les risques engendrés par la touristification du ieux-Québec et l’avaient énergiquement invitée à se faire le relais de leur préoccupation auprès du conseil municipal.

Instance relais entre la ville et les habitants, le Conseil de quartier agit à double sens, à la fois comme un canal pour « consulter la population sur toute question touchant le territoire d’un quartier » (Patsias et Bucica, 2003) et comme porte-parole des habitants, auprès des instances décisionnelles concernant les enjeux clés de leur quartier (ibid). Son champ d’intervention est donc large, qui comprend toutes questions relatives au cadre de vie. Concernant l‘aménagement du territoire, il constitue l’instance chargée d’animer la consultation publique en vue de l’élaboration du plan de quartier, un instrument de planification et de développement qui définit « l’ensemble des priorités d’action sur le territoire » (Bherer, 2003 : 227) et porte sur tous les aspects de la vie de quartier dont, entre autres, le logement, l’environnement, le design urbain, les loisirs, la culture, la circulation, la vie communautaire, le stationnement, le développement économique (Prud’homme, 2005).

En dépit de ces atouts, la norme participative formalisée par l’autorité publique au sein des conseils de quartier, nous semble renvoyer au « modèle de modernisation

participative », défini par Bacqué et Sintomer (2011, introduction). Selon la typologie50 des processus participatifs établis par les chercheurs, ce modèle est avant tout institué pour servir la modernisation de l’action publique. Le pouvoir accordé aux citoyens est d’ordre consultatif pour l’essentiel, leur contribution permet aux décideurs d’améliorer l’efficacité des services publics. Laurence Bherer explique que les municipalités québécoises constituent des entités administratives secondaires relativement dépolitisées et « dévolu[es] à la dispensation des services à la propriété » (2003 : 60). Aussi, leur approche concernant la question participative est avant tout fonctionnelle et a pour objectif de concourir à l’édification d’une « démocratie administrative » plus que participative. En atteste également la formalisation procédurale caractéristique du modèle consultatif québécois. Si le cadre réglementaire relève d’une volonté de la part des responsables politiques de publiciser le débat dans l’objectif de garantir la qualité de la participation, il contribue aussi à figer les termes du rapport entre les parties prenantes : les élus s’octroient ainsi la définition des modalités de la rencontre et invitent les habitants à participer dans un contexte choisi, selon des termes fixés par la puissance publique. Qui plus est, cette procéduralisation de l’action publique confine à sa bureaucratisation. Les représentants de la société civile ne sont pas dupes de cet état de fait et dénoncent une « méthodologie bureaucratique de consultation » par le biais de laquelle, « on vous réunit dans une salle mais seulement quelques personnes ont le droit de prendre la parole », ce qui permet d’éviter « toute forme de rapport de force ». Si la relative autonomie des conseils de quartier à Québec peut laisser penser que le processus participatif influence la logique administrative et non l’inverse (Quesnel et al. 2005), l’instance se situe bien dans une logique de légitimation de la décision publique et a pour horizon d’améliorer et de valider les projets des élus (Bherer, 2003). Une conseillère aux consultations publiques à la ville de Québec, explique à ce propos que pour les élus « la consultation […] permet d’avoir le pouls de la population : est-ce que ça va passer ou non ? », « parce que les responsables politiques », précise-t-elle « visent aussi à être réélus ».

Dans cette perspective rationalisante, la figure de l’habitant-usager prédomine au détriment de celle de citoyen. Ainsi, le premier, assigné à une situation spatiale spécifique, est convoqué pour contribuer à améliorer la décision publique, alors que peu d‘espace est accordé au second pour s’exprimer sur la dimension politique des projets.

50 Les auteurs définissent six idéaux-types de la participation : la démocratie participative ; la démocratie de proximité ; la modernisation participative ; le partenariat public-privé ; le développement

Sans chercher nécessairement à opposer les termes de « citoyen » et d’« habitant » qui revêtent des significations différenciées selon les acteurs et les contextes (Neveu, 2011), et se combinent très souvent sur le terrain concret des pratiques, les sujets traités dans les conseils de quartier sont de fait peu politisés. L’individu, consulté sur des questions locales et pragmatiques, est avant tout « l’expert d’usage », c’est-à-dire le détenteur de compétences spécifiques qui légitiment « sa prise en compte dans les procédures de “démocratie de proximité“ » (Neveu, 2011), mais le confinent à un rôle de porte-parole de son quartier (Brossaud, 1995), dans un cadre participatif spatialement délimité par la puissance publique.

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Les processus de participation renvoient à des échelles différentes d’intégration des habitants dans l’action publique. Selon la typologie établie par Sherry Arnstein (1969), la participation peut être envisagée comme un ensemble de paliers ordonnés selon un ordre croissant.

Sur un premier niveau, Arnstein désigne comme non participation les paliers « Thérapie » et « Manipulation » qui incarnent une volonté de « guérir » et d’ « éduquer » dans une visée descendante voire condescendante, sans objectif d’associer les personnes à la réflexion.

Le second niveau, qualifié de coopération symbolique (tokenism), comporte trois degrés, « Information », « Consultation « et « Réassurance ». Dans les deux premiers, les personnes ont la possibilité d’entendre et d’être entendues. Le troisième degré est un peu plus conséquent puisqu’il convie les personnes à donner des conseils, mais au final la décision est prise sans elles.

Le troisième et dernier niveau correspond à la participation réelle des citoyens à la prise de décision, selon un ordre d’influence croissant. Le premier degré de « Partenariat » suppose que les personnes soient associées au processus aux côtés des décisionnaires. La « Délégation de pouvoir » permet aux citoyens de gérer de façon autonome l’action qui leur est confiée. Enfin, le dernier palier ou « Contrôle citoyen » signifie que les citoyens assurent la direction et la planification de l’action par eux-mêmes.

L’échelle, de l’aveu même de sa conceptrice, est simplificatrice. Certains chercheurs la qualifient même de « désuète » (Bherer, 2011) et lui préfèrent d’autres outils évaluatifs, notamment celui du « design participatif » proposé par Archon Fung (cité par Bherer,

2011), qui englobent un plus grand nombre de paramètres51. Cependant, la typologie d’Arnstein, élaborée dans l’objectif d’augmenter la participation des groupes exclus, notamment les femmes et les pauvres que l’auteur jugeait absents des dispositifs participatifs institutionnels, permet de qualifier la configuration participative d’une situation donnée et d’apprécier le niveau d’implication des personnes. L’outil peut servir à établir une classification comparative entre les deux types de conseils de quartier québécois et bordelais.

Les deux modèles se situent à un niveau de coopération symbolique car tous deux s’inscrivent dans une logique consultative. Toutefois, l’exemple québécois notamment dans le cadre de l’élaboration du plan de quartier, présente les caractéristiques d’un partenariat réel ; s’agissant des projets d’animation de quartier, ils constituent même une forme de délégation de pouvoir. Si l’instance bordelaise parvient à atteindre le degré de partenariat dans le cadre d’attribution du fond d’initiative local, il apparaît difficile de juger du degré d’influence réel des citoyens en l’absence de débat public. En réalité, les conseils de quartier bordelais n’octroient aux citoyens qu’un rôle subalterne dans la prise de décision et renforcent la position centrale et décisionnaire du maire-adjoint.

III.4. Modalités de mise en œuvre des processus de

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