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La médiation élargie : l’Opéra blouse à Bergonié

Conclusion : la culture pour quel développement ?

II.4.3. La médiation élargie : l’Opéra blouse à Bergonié

Depuis 2008, un partenariat original, dans le cadre du dispositif national Culture et Santé35

, lie l’Opéra de Bordeaux à l’Institut Bergonié, centre de lutte contre le cancer, par le biais de l’action médiatrice de l’association Script. Précurseur en matière de médiation culturelle, Script a développé une expertise réelle et reconnue dans la conduite de projets culturels se situant aux confluents de l’artistique et du social, et tout particulièrement ceux développés au sein des organismes de santé. L’association accompagne ainsi l’Institut Bergonié dans la mise en œuvre de son projet culturel d’établissement. Cet ancrage au sein de l’hôpital a facilité l’intervention de l’Opéra de Bordeaux qui a trouvé là « des interlocuteurs précieux qui ont un vrai savoir-faire et qui savent aussi s’adapter aux partenaires qu’ils ont en face d’eux. », comme le précise la directrice des publics et du développement.

Pour cette dernière, les projets développés en partenariat avec l’Institut se situent au-delà d’une mission d’action culturelle classique qui se réduirait à un objectif d’accessibilité et d’élargissement du public. « Ce partenariat » explique-t-elle, « soit il reste à la marge comme un partenariat pour publics spécifiques : les malades de Bergonié, comment on les fait venir chez nous, comment on va un peu chez eux. Si j’avais une vision juste action culturelle, je ne ferais pas plus. Sauf que j’ai voulu en faire un sujet plus transversal qui dépasse même ma direction, qui soit entendu par l’ensemble de la maison. ».

Si la volonté de faire autrement est affirmée par l’Opéra, la complexité de ces actions apparaît dès lors qu’il s’agit de mettre en œuvre l’intention. Comment faire pour que des professionnels évoluant dans des univers très éloignés se rencontrent et se parlent ?

35 Le partenariat entre le ministère de la Santé et des Sports et le ministère de la Culture et de la

Communication, dans le cadre du programme « Culture et Santé » vise à conduire une politique commune d’accès à la culture pour tous les publics en milieu hospitalier.

Comment éviter que les logiques actionnelles et les finalités endogènes de chaque institution n’entrent en conflit dans un projet qu’il faudra nécessairement penser en commun ?

C’est à ce point d’intersection, dans cet entre-deux de la rencontre que Script parvient à jouer un rôle pivot dans l’articulation des enjeux et des problématiques de la santé et de la culture.

Un groupe de travail a été formé, ouvert à l’ensemble des personnels de Bergonié et de l’Opéra, qui visait à réunir de façon informelle les professionnels, dans un objectif de découverte et d’échange. Le concept a séduit puisque les professionnels ont répondu en grand nombre et tous les corps de métiers de l’institution culturelle y sont représentés. De ces discussions, sans visée programmatrice, a émergé un désir, une envie de faire ensemble qui précède et facilite alors la co-construction de projets « sur-mesure », riches des savoir-faire et des savoir-être des uns et des autres.

L’atelier du cœur, animé par Brigitte Bonnet, chanteuse à l’Opéra, propose plusieurs rendez-vous lyriques au cours de la saison. L’intervention de l’artiste, intégrée à son temps de travail, lui permet de développer une proposition tout au long de l’année se déclinant sous différentes formes : une chorale mêle personnels hospitaliers et patients, des ateliers plus intimes de sensibilisation à l’expression vocale et sensorielle prennent place dans les couloirs et les chambres de l’hôpital, selon la demande et l’envie des personnes. Dans la chambre du patient, la médiatrice culturelle de Bergonié est également présente mais son rôle ne se limite pas à faciliter la rencontre entre l’artiste et la personne, elle-même se trouve engagée physiquement dans la relation mettant en jeu et en scène, au même titre que les autres acteurs de l’échange, son corps et sa parole. L’action du médiateur oscille souvent entre deux régimes de visibilité. Ainsi, il lui appartient de déterminer si sa présence active constitue une valeur ajoutée dans la création et le maintien du lien entre les acteurs ou si, à l’inverse, il est préférable qu’il s’efface pour ne pas troubler le jeu interrelationnel.

Blouses à Bergonié

Autre projet original né de la rencontre des professionnels du soin et de la scène, le projet Blouses à Bergonié, proposé par le responsable de l’atelier couture de l’Opéra, s’inscrit en prolongement d’un travail photographique portant sur l’identité du personnel hospitalier. Plusieurs professionnels ont ainsi accepté de dévoiler devant l’objectif de incent Monthiers, « une petite part de la personnalité habituellement dissimulée sous la blouse blanche ». Six personnes, médecins, infirmières, personnels administratifs et techniciens se sont portés volontaires pour poursuivre cette interrogation identitaire au travers de la singularisation de leur tenue professionnelle.

Figure 2 Projet Blouses, exposition à l’OARA, Bordeaux

Source : Vincent Monthiers/ Script/ Institut Bergonié

Le travail sur la symbolique du costume propose en réalité une interrogation subtile et complexe des cultures professionnelles de part et d’autre de la scène, dans une confrontation esthétisante des conventions et des représentations.

Le costume de scène renvoie à une fonction esthétique et symbolique, il doit incarner un personnage et lui être associé dans l’imaginaire du spectateur. S’il n’est pas dépourvu d’un aspect pratique dans le sens qu’il doit être perçu de loin et donc intégrer un certain nombre de contraintes visuelles, il n’est pas dépositaire de la fonctionnalité qui caractérise la tenue professionnelle de l’hôpital. La blouse du médecin ou de l’infirmier répond à un code visuel déterminé pour des raisons à la fois de sécurité et d’hygiène. Ainsi, la couleur permet d’identifier presque instantanément la fonction à laquelle elle

renvoie, le blanc de la blouse symbolise le soignant, et répond également à des normes d’hygiène strictes.

Mais à travers le costume et sa symbolique, c’est également la fonction qui est interrogée. Par métonymie, la blouse blanche renvoie au corps du médecin autant qu’à l’autorité qu’il représente. Elle recouvre et dissimule la personnalité du porteur et induit un processus de distanciation entre soignant et soigné. L’atelier costume a induit un questionnement du rapport au vêtement réglementaire par un détournement subtil des codes et des normes en vigueur. La blouse blanche l’est restée mais elle a intégré un aspect de l’intimité du porteur : une poche décorée d’une partition musicale pour le chirurgien mélomane, un tissu madras pour l’infirmière originaire de la Guadeloupe, un triangle symbolisant l’énergie et le volontarisme d’une responsable administrative. Comme un regard qui vient percer à jour la véritable identité de la personne, l’intrusion artistique s’exprime doublement au travers d’une image imprimée en creux venant briser l’intégrité de la blouse blanche.

Le projet Blouses montre comment la médiation, par le biais de l’articulation qu’elle opère entre cultures et approches différenciées, vient salutairement bousculer les conventions professionnelles et régénérer le regard posé sur le lien entre champ artistique et champ social.

Au-delà d’une simple mise en lien entre des œuvres et des publics, le partenariat nourri entre les professionnels hospitalier et artistique a permis de sortir des logiques strictes de la médiation artistique. En conjuguant leurs enjeux et leurs objectifs, les partenaires du projet ont élaboré une action complexe et participative propice à modifier des comportements et à susciter des pratiques nouvelles. Les personnes ne sont plus appréhendées comme les simples destinataires de l’action dans une perspective de transmission mais s’imposent comme des partenaires contributifs, susceptibles de devenir eux-mêmes médiateurs auprès d’autres acteurs, messagers suscitant d’autres messagers (Caillet, 1994).

Cette « médiation élargie », par référence au concept kantien de « pensée élargie », pose la médiation comme entité fondamentalement basée sur la contribution de l’autre. Parmi les trois maximes énoncées par Kant dans La critique de la faculté de juger (1790), la maxime de la pensée élargie est celle qui invite tout homme à « penser en se mettant à la place de tout autre ». Est prisonnier d’un jugement étroit et suggestif, celui ou celle qui n’est pas en mesure de se décentrer et de faire cas de la perspective d’autrui. De la même manière, agir sans s’efforcer de comprendre et d’intégrer les aspirations d’un partenaire appauvrit considérablement la qualité et la portée de l’action de médiation.

L’idée de « médiation élargie » propose d’appréhender le projet de médiation sous l’angle d’enjeux multiples et de perspectives variées. Une approche féconde que vient illustrer le partenariat Bergonié-ONBA autour du projet Blouses.

II.5. Action culturelle de proximité ou la culture en

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