• Aucun résultat trouvé

Québec : une approche transversale en construction Michel Bellefleur (1997) soutient que l’articulation entre loisir et culture s’est faite au Michel Bellefleur (1997) soutient que l’articulation entre loisir et culture s’est faite au

Chapitre 1 - Le référentiel culturel des villes

I.6. Transversalité de la politique culturelle

I.6.3. Québec : une approche transversale en construction Michel Bellefleur (1997) soutient que l’articulation entre loisir et culture s’est faite au Michel Bellefleur (1997) soutient que l’articulation entre loisir et culture s’est faite au

Québec « essentiellement dans la nécessité de créer un public pour les objets de culture, c’est-à-dire une politique de diffusion » (1997 : 1 1). L’auteur précise que les ententes de développement conclues entre les municipalités et l’État visaient avant tout « à prolonger les ententes sectorielles existantes (bibliothèques, patrimoine, etc.) par des accords globaux concernant l’amplification de la diffusion et l’animation de la vie culturelle. » (ibid : 379).

Les acteurs culturels de Québec dénoncent, dans le même sens, une approche très disciplinaire de l’intervention du service de la culture. Ainsi, explique la directrice de la bibliothèque centrale, « le service de la culture est organisé par discipline culturelle. Si vous avez un projet en philosophie, il n’y a personne qui s’occupe de philosophie parce que le champ n’existe pas. ».

Par ailleurs, interrogée sur les liens existants entre la politique culturelle et la politique sociale de la ville, la responsable du service culture convient que le lien est faible et

22 La ville de Québec est signataire. Le gouvernement Québec a élaboré son propre agenda 21 de la culture en 2011.

qu’il reste à développer. La politique familiale établit certes un lien avec la culture en termes d’accessibilité, l’orientation « Des familles ouvertes sur leur milieu et sur le monde »23 précise que les familles « doivent également s’ouvrir sur les autres, sur leur milieu et sur le monde en général », par le biais de la culture, entendue également comme moyen de renforcer le lien intergénérationnel au travers de la fréquentation de lieux culturels et de la découverte des œuvres artistiques. Si la directrice de la culture affirme répondre au travers des actions de son service aux objectifs de la politique familiale, les acteurs de proximité, représentés notamment par le réseau des bibliothèques, ne semblent pas avoir été associés à la démarche. Des outils et une réflexion restent donc à développer dans une visée d’intégration des champs du social et de la culture au profit des populations.

Une orientation des priorités sur les enjeux de création semble prévaloir à Québec. Sans pour autant évacuer totalement la question de la participation des habitants à la vie culturelle, la réflexion sur celle-ci se trouve réduite à des problématiques d’accessibilité et de sensibilisation. À l’échelle de la ville, la prise en compte de la créativité et de la culture vécue des citadins reste, en effet, limitée. Hormis le parcours artistique et urbain imaginé par le Carrefour du théâtre et dont il sera question dans un chapitre ultérieur, nous n’avons répertorié à Québec qu’un projet très récent, développé au cœur des quartiers les plus défavorisés de la ville, par le Musée de la civilisation.

Dans le cadre du plan Québec Horizon Culture, le musée a bénéficié d’une aide ministérielle afin de mettre en œuvre le projet pilote « culture et santé ». Relevant de ce qu’on appelle au Québec la muséologie sociale, le programme vise à rapprocher l’institution des personnes les plus éloignées de l’offre culturelle. En concertation avec les centres de santé et les organismes communautaires de la ville, le musée « hors les murs » développe ainsi trois projets de médiation culturelle en direction des personnes âgées, des enfants hospitalisés ainsi que des jeunes en difficulté ou issus de milieux défavorisés. Le projet Réminiscence, quand le passé aide le présent propose une expérience muséale à des personnes en perte d’autonomie physique ou cognitive. Des activités et des jeux viennent stimuler la mémoire des aînés, et de leurs souvenirs sont reconstitués les objets d’un magasin d’antan que le musée enrichit à partir de ses propres collections. Un deuxième projet vise à susciter une pratique artistique, musicale et photographique, dans une finalité d’intégration sociale et culturelle des jeunes des

23 Politique familiale de Québec disponible sur le site de la ville de Québec :

http://loisirculturel.ville.quebec.qc.ca/file.axd?file=2011%2f3%2fpolitique_familiale.pdf , consulté le 8 mai 2012

quartiers populaires de Saint-Sauveur et Vanier. Le résultat de leurs travaux a fait l’objet d’une exposition au sein du musée. Mais la coordinatrice de l’action confesse le manque d’expertise des intervenants culturels dans la mise en œuvre de ces projets auprès de publics confrontés à des problématiques sociales fortes et, par ailleurs, très difficiles à mobiliser.

Comme en atteste le témoignage des responsables du service de la culture, l’élaboration de projets culturels hybrides constitue une nouveauté à Québec, du moins à cette échelle d’intervention. Le manque de transversalité de la politique culturelle de Québec nous semble donc être motivé moins par des réminiscences idéologiques que par un manque de savoir-faire et d'opportunité. La réflexion émerge à peine sur ces questions de médiation culturelle mais suscite un vif intérêt et une mobilisation grandissante de la part des responsables et des opérateurs, encouragés par la politique volontariste du ministère de la Culture.

Si l’action culturelle reste pour partie cloisonnée par le fonctionnement sectoriel de l’administration, la culture est largement utilisée à Québec, à l’instar de Bordeaux, comme outil de revitalisation urbaine. Ainsi, la capitale québécoise n’échappe pas à la tentative de l’autorité publique de promulguer la fonctionnalisation de ses espaces urbains. Laurence Liégeois (2010) observe, à ce propos, que l’aménagement de l’espace public dans les villes nord-américaines révèle une forte tendance à l’homogénéisation, marquée par la multiplication des quartiers thématiques dédiés aux arts ou au multimédia.

Le quartier Saint-Roch, qui abrite de nombreux artistes et professionnels de la culture numérique, se prête tout naturellement au désir du maire de consacrer le quartier comme celui de la « technoculture ». L’édile en a fait un thème de campagne et réussi à inscrire le projet comme une orientation phare de l’entente de développement avec le ministère de la Culture. La technoculture désigne, selon l’élu, le mariage des arts et de la technologie. Il s’agit de créer « un quartier plein de vie, dynamique, techno » en suscitant la rencontre entre les professionnels du multimédia et ceux des arts et de la culture. Pour faire de Saint-Roch le quartier de l’hyper-modernité, tout un éventail de mesures, totalisant un budget d’1,2 million de dollars (environ 900 000 euros), a été imaginé. Le centre local de développement (CLD) à l’appui du plan Québec Horizon culture, a créé un fond d’investissement spécialement dédié. Ainsi, une entreprise qui fait appel à des artistes peut être soutenue au démarrage du projet. Des « bar camp » sont organisés pour aider à la « fertilisation croisée » des projets créatifs. Le service de la culture de Québec propose également des programmes de subventions « pour

encourager les projets d’arts numériques à contenu culturel ». Les universités ont dû se rallier à l’entreprise et créer des formations en gestion de projets créatifs. Un concours de design urbain, lancé par la ville, exigeait qu’un designer soit associé à un artiste. Enfin, pour encourager les productions cinématographiques et télévisuelles à se développer au sein du quartier, la ville a décidé d’investir dans la production d’une télé-série.

Malgré la diversité des leviers sollicités, l’émergence d’une technoculture qui ferait de St-Roch un quartier bouillonnant de créativité et « de vie », se fait attendre. Le processus d’institutionnalisation de l’avant-garde créative ne fonctionne pas. La directrice de la culture admet que de toutes les orientations du plan Q C, l’orientation 4 « Consacrer St-Roch comme haut lieu de la création contemporaine », est « la plus difficile à réaliser » parce que « la vraie définition de la technoculture on l’a pas », admet-elle. Si le maire reconnaît lui aussi que « Québec a choisi de se forger un certain profil culturel lié aux technocultures, mais ne possède pas tous les outils pour le mettre en valeur »24, il en attribue la responsabilité pour partie à l’échelon étatique : « Si on gérait plus le budget culturel à Québec, on irait plus loin pour renforcer ce profil-là. C'est un choix. Mais, je ne suis pas sûr que le ministère de la Culture laisserait aller ça »25. En déplaise à l’édile, le cluster créatif ne se décrète pas, il est issu de la dynamique propre au territoire. La théorie de Michael Porter26 a ainsi apporté la preuve que la « fertilisation croisée » ne fonctionne que si les relations entre acteurs sont réelles et si la taille du cluster atteint un seuil significatif.

Si le politique doit s’efforcer dans une certaine mesure d’« œuvrer la ville », il ne peut se substituer aux artisans des dynamiques relationnelles que sont les agents eux-mêmes. Les planificateurs de la ville en surprogrammant ses espaces ont négligé la part d’incertitude inhérente et indispensable au processus interactif (Annick Germain, 2010). Fort heureusement, l’aléatoire de la rencontre échappe encore aux aménageurs de l’utilitaire. Les artistes vivent à Saint-Roch et y côtoient des créatifs venus y travailler ; de cette coprésence peut éventuellement émerger des échanges qui pourront donner lieu à des expérimentations culturelles et artistiques, mais ce croisement devra certainement plus à l’ambiance des lieux et à leur indétermination qu’à des programmes incitatifs qui ne peuvent agir qu’à la marge ou en soutien d’initiatives réelles et non programmées.

24 Stéphanie Martin, « Régis Labeaume jaloux des Romains », Journal Le Soleil, le 28 juin 2011

25 Ibid

26 Cité par Anne Geppert, « Économie de la connaissance et territoires(s) en Europe », Pouvoirs locaux, n° 72/1 2007, pp. 52-57

***

Les comportements régionaux en termes d’intervention culturelle de nos villes d’étude se rejoignent. Malgré l’injonction à la transversalité des politiques publiques, la consécration du pluralisme culturel et l’individualisation croissante des pratiques, les logiques administratives et les contraintes budgétaires n’expliquant pas tout, ce constat est avant tout révélateur d’une intervention culturelle qui reste encore trop cloisonnée aux champs culturels traditionnels.

Outline

Documents relatifs