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Rupture politique et processus législatif à Bordeaux Bordeaux

La ville inclusive : la place et le rôle des acteurs dans le référentiel

Chapitre 3 – Fondements de l’impératif participatif des villes participatif des villes

III.1. Brève histoire de la participation à Bordeaux et à Québec Québec

III.1.1. Rupture politique et processus législatif à Bordeaux Bordeaux

Bien qu’adoubé par le « Duc d‘Aquitaine » qui voit en lui, au-delà d’une continuité politique, la personnalité d’envergure nationale qu‘une ville à la stature de Bordeaux requiert (Bherer, 2003), Alain Juppé prend rapidement ses distances avec le style de son prédécesseur et sonne le glas d’une ère politique caractérisée par la « gestion du consensus et du compromis » (Taliano-des Garets, 1999). Le « chabanisme » s’était, en effet, forgé sur l’idée de rassembler, autour de la personnalité du maire, un conseil municipal qui, faisant fi des divergences politiques, se dévouait à la gestion des affaires publiques dans un esprit de concorde. Alain Juppé choisit donc de rompre avec la personnalisation du pouvoir sur laquelle s’appuie cette pratique du rassemblement et du compromis politique. Il affirme parallèlement une volonté de se rapprocher des bordelais par la mise en place de nouvelles modalités de dialogue qui ont pour nom « concertation » et « négociation », le projet de « Nouvelle société » porté par le premier ministre Chaban-Delmas ne s’étant guère concrétisé par des expérimentations en terme de démocratie locale. Il est vrai aussi que la prise de distance avec l’époque

précédente est nécessaire, en raison d’une gestion municipale controversée et critiquée (Bherer, 2003) qui laisse derrière elle des déficits importants, notamment accentués par de lourds investissements culturels, sans pour autant avoir donné à Bordeaux les projets structurants dont la ville a besoin pour rompre avec l’image d’une ville provinciale assoupie.

C’est donc par le passage d’une gestion publique basée sur le modèle du gouvernement à celui de gouvernance que le nouveau maire donne le ton du changement. Il met en place, à cet effet, des conseils dans les quartiers issus de la nouvelle configuration territoriale, crée des commissions extra-municipales, jeunesse, diversité, vie associative, et systématise les réunions de concertation sur les grands chantiers urbains, dans le cadre du grand projet qu’il vient de lancer. Sur ce dernier point, Laurence Bherer (2003) fait observer la nécessité qui s’impose à la municipalité de consulter les habitants sur les transformations qui vont affecter leur quotidien durant plusieurs années. Certes, cette opération de communication politique est sans doute indispensable pour « apaiser les inquiétudes » (ibid : 344) et légitimer le projet urbain, néanmoins, elle ne constitue pas le seul fondement de cette politique de proximité.

Pour de nombreux chercheurs, le « tournant participatif de la gouvernance territoriale » s’observe par l’institutionnalisation croissante du débat public (Rui, 2004). Dans un contexte de remise en cause du modèle d’élaboration de la décision publique fondée sur la démocratie représentative, les responsables politiques sont incités à « fonder le lien représentatif sur de nouvelles bases » (Lefebvre R., 2005). De même, les scandales sanitaires, crise de la vache folle, affaire du sang contaminé, etc., ont ébranlé la confiance des citoyens en la rationalité des experts alors que dans un même temps, la complexité des enjeux sociaux, économiques et politiques remettent en cause la validité des décisions prises sans concertation avec les principaux intéressés. Aussi, les citoyens sont de plus en plus sollicités dans l’élaboration de la décision publique par l’autorité politique qui voit dans le débat public, le lieu de production de l’intérêt général (Rui, 2004 : 97) et de formation d’une opinion publique large et consensuelle, à même de légitimer l’action politique.

Aussi, voit-on, depuis les années 1990, se multiplier et se diversifier les formes de ce débat public, au travers de comités et conseils de quartier, conférences de consensus, jurys citoyens, assemblées délibératives, budgets participatifs, etc. ; cet élan participatif est par ailleurs facilité et encadré par un mouvement législatif national et européen.

L’institutionnalisation de la norme participative en France est, en effet, indissociable du contexte juridique dans lequel elle s’est mise en place et dont on peut établir les principaux jalons à compter de la promulgation, le 12 juillet 1983, de la loi Bouchardeau, relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l’environnement. Cette loi qui semble constituer un tournant (Monnoyer-Smith, 2007) en matière de prise en compte de l’opinion publique dans l’élaboration de la décision, généralise le principe de l’enquête publique dans les cas d’aménagement pouvant affecter l’environnement. L’enquête conduite par un commissaire enquêteur « a pour objet d'informer le public et de recueillir ses appréciations, suggestions et contre-propositions, postérieurement à l'étude d'impact lorsque celle-ci est requise, afin de permettre à l'autorité compétente de disposer de tous les éléments nécessaires à son information » (art.2). De même, le code de l’urbanisme oblige, depuis 19 5, les collectivités locales à organiser la concertation avec les habitants et les associations pour tout projet d’aménagement affectant leur territoire. Mais c’est avec la loi du 6 février 1992 pour l’administration territoriale de la République, que le terme « démocratie locale » apparaît pour la première fois. Dans son article L. 2141-1, la loi stipule « le droit des habitants de la commune à être informés des affaires de celle-ci et à être consultés sur les décisions qui les concernent » ; la loi donne également la possibilité au conseil municipal de « créer des comités consultatifs sur tout problème d'intérêt communal concernant tout ou partie du territoire de la commune » (art. L. 2143-2). En 1995, la loi Barnier instaure la Commission nationale du débat public (CNDP). Inspirée du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) canadien, l’instance indépendante est chargée, pour les grandes opérations publiques d’aménagement, d’organiser le débat public portant sur les objectifs et les caractéristiques principales des projets pendant la phase de leur élaboration.

Plus récemment, la loi relative à la démocratie de proximité (2002), dite loi Vaillant, rend obligatoire le recours aux conseils de quartier dans les villes de plus de 80 000 habitants. Dans ce cas précis, la loi prend surtout acte « d’une pratique déjà relativement généralisée, dans les grandes villes » (Rui, 2004 : 27). Les conseils de quartier dont la composition est décidée par le conseil municipal n’ont pas pouvoir de décision mais ils « peuvent être consultés par le maire et peuvent lui faire des propositions sur toute question concernant le quartier ou la ville. Le maire peut les associer à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des actions intéressant le quartier » (art. 2). La loi prévoit également la possibilité d’instituer des adjoints au maire dans chaque quartier. Ces dispositions relatives à la démocratie locale sont

renforcées par la loi organique du 1er août 2003 qui ouvre aux collectivités locales le droit d’organiser des référendums locaux.

Il faut encore préciser que la prise en compte croissante de la démocratie locale par les lois françaises subit l’influence de l’Europe qui assure, en la matière, « la diffusion de cette exigence d’un mieux démocratique » (Rui, 2004 : 28). Ainsi, la ratification par la France en 2002 de la convention Aarhus, qui porte sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, a conduit le gouvernement à une réforme importante de la CNDP (Monnoyer-Smith, 2007). Celle-ci se voit confier le rôle d’élaborer une méthodologie en matière de participation du public aux processus décisionnels, et est ainsi « investie de la mission de participer à la création d’une forme française de débat public » (ibid). Toutefois, la CNDP comme le remarque Laurence Monnoyer-Smith (2007) reste marquée par la logique de concertation propre à l’enquête publique et ne prévoit pas d’associer de façon réelle les citoyens à la décision. De même, le programme européen de renouvellement urbain URBAN II dont Bordeaux, Cenon et Floirac bénéficient entre 2001 et 2008, comporte un objectif de participation des acteurs locaux et sert ainsi à financer des projets associant les habitants dans le cadre de la politique de la ville (Bherer, 2003).

Au travers de ce rapide panorama législatif, l’on constate que la volonté du maire de Bordeaux de créer conseils de quartiers et commissions consultatives s’inscrit dans une procédure juridique nationale et européenne qui, sans pour autant le contraindre à agir, – le maire rappelle à cet égard que la création des conseils de quartier bordelais a précédé la loi de 2002 –, conditionne dans une large mesure les initiatives locales en matière de démocratie de proximité. La norme juridique participe donc de la médiatisation de l’injonction de participation même si, dans le même temps, le législateur reste muet quant aux conditions précises de la mise en œuvre de la concertation (Blondiaux, 2008 : 17). Aussi, pour Laurence Bherer (2003), l’intégration de la norme participative à Bordeaux se caractérise moins par une « rupture épistémologique » (ibid : 345) avec un projet politique, comme ce fut le cas à Québec, que par des « contingences individuelles » (ibid : 345), fortement motivées par un contexte législatif incitateur.

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