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Le mandat de proximité des arrondissements de Québec Québec

Conclusion : la culture pour quel développement ?

II.5. Action culturelle de proximité ou la culture en périphérie périphérie

II.5.3. Le mandat de proximité des arrondissements de Québec Québec

Les six arrondissements constituants la nouvelle ville de Québec résultent de la réorganisation municipale de 2002 qui a entraîné la fusion des treize villes de l’agglomération métropolitaine en une nouvelle entité, recomposée en arrondissements. La restructuration territoriale entreprise par l’État québécois visait au renforcement des institutions locales, à la réduction des inégalités d’accès aux services locaux ainsi qu’à la recherche d’une plus grande équité dans le partage des coûts de l’urbanisation (Quesnel, 2005).

Figure 3 Les arrondissements de Québec

Source : Ville de Québec Réalisation : Sarah Montero

Les arrondissements de Québec recouvrent de larges territoires pouvant correspondre comme c’est le cas pour l’arrondissement Sainte-Foy–Sillery–Cap-Rouge, à plusieurs

municipalités de l’avant-fusion. Ces nouveaux territoires ont gardé de leurs anciennes prérogatives les mandats liés à l’organisation et à la gestion des services de proximité et disposent pour les mettre en œuvre d’un budget équivalant à 10% des revenus municipaux.

Concernant la politique culturelle, le service de la culture de la ville-centre partage avec la division de la culture, des loisirs et de la vie communautaire des arrondissements, la responsabilité du soutien aux organismes culturels de Québec. Le premier se charge des acteurs professionnels ou de ceux dont l’activité présente a minima un rayonnement municipal, alors que l’arrondissement compose avec les organismes de pratique amateur situés sur son territoire d’intervention. Ce dernier est responsable de l'offre de services à la population en matière d'activités de loisirs, de culture, d'entraide et d'action communautaire ; il gère les équipements culturels et récréatifs ainsi que les parcs ; il coordonne l’action des organismes qu’il soutient sur les plans technique et financier. Les arrondissements jouent un rôle actif dans l’implémentation de la politique de médiation culturelle du service de la culture et notamment des programmes Guichet ouvert et Sésame qui s’adresse pour l’un aux organismes communautaires et à leurs publics, pour l’autre aux structures culturelles de pratique amateur.

L’entente de développement culturel, signée entre la ville et le ministère de la culture, est donc négociée en collaboration avec les arrondissements, les montants attribués par l’État leur sont redistribués selon les besoins particuliers de chaque territoire. Ainsi, l’arrondissement de Sainte-Foix-Sillery-Cap rouge, situé à l’ouest de Québec, localise un grand nombre de lieux patrimoniaux, il a également en charge une trentaine d’organismes culturels, des centres de formation, comme le Centre de céramique de Québec ou l’Atelier du vitrail, ainsi que des diffuseurs culturels dont les salles sont présentes sur le territoire. Nombre de ces équipements ont été pensés comme des « maisons de la culture à peu de choses près », précise le responsable des équipements patrimoniaux, chacun se spécialisant dans une discipline culturelle spécifique : la Maison Hamel-Bruneau se consacre aux arts visuels et à la technologie, le Centre d’interprétation historique de Ste-Foy restitue une vision patrimoniale de l’arrondissement alors que la Maison des jésuites en retrace la présence autochtone.

Nous avions évoqué, dans un chapitre antérieur, le concept de cadre de vie comme idéologie sous-jacente des politiques culturelles québécoises, il apparaît que cette notion s’actualise plus spécifiquement dans le rapport de proximité, à la fois sociale et spatiale,

entretenu par l’arrondissement avec ses populations. Ainsi, le responsable des équipements patrimoniaux se soucie autant des biens matériels dont il la charge, – plus de la moitié des équipements patrimoniaux de la ville de Québec se trouve sur le territoire de l’arrondissement –, que du recensement et de la protection du patrimoine immatériel. Du fait de son rôle de garant de la qualité du cadre de vie, l’arrondissement est particulièrement attaché à la valorisation des savoir-faire et à la transmission mémorielle.

Porteurs de mémoire

Le projet de collecte mémorielle, Porteurs de mémoire, initié par l’arrondissement auprès des personnes âgées de 70 ans et plus, constitue une expérience originale de valorisation à la fois patrimoniale et sociale d’un territoire de vie.

Imaginé en lien avec les sociétés d’histoire, les centres locaux de services communautaires (CLSC), les services de santé et sociaux, le projet Porteurs de mémoire adresse des problématiques sociales et identitaires, par le biais d’une opération de recueil de données culturelle et patrimoniale. Ainsi, le projet vise à construire l’identité collective de l’arrondissement, à agir sur les rapports sociaux et la participation à la vie culturelle des populations âgées, et à activer les réseaux d’opérateurs territoriaux par un projet transversal.

En terme de valorisation patrimoniale, il s’agit de construire un référentiel cognitif en privilégiant la transmission orale, portant sur le patrimoine de proximité (institutions culturelles, sociales et politiques, commerces, services de loisir et de santé), sur l’évolution des fonctions urbaines significatives (transports, modes de communication, modes de vie) ainsi que sur les traces mémorielles des événements ou personnages marquants de l’histoire de l’arrondissement. Dans une visée sociale et participative, le projet fournit l’opportunité à des personnes de transmettre leur savoir, et favorise les liens intergénérationnels et les rencontres sociales. En effet, la particularité de l’action réside dans le fait que les aînés sollicités l’ont été par le biais de leurs proches, parents ou amis, qui ont ainsi facilité la mobilisation des témoins.

Une attention toute particulière a été apportée aux conditions du témoignage. Le caractère patrimonial du lieu de collecte, un ancien presbytère réhabilité, invitait les participants, au-delà d’un simple récit de vie, à entrer dans une véritable expérience historique, dont ils étaient les acteurs privilégiés. Ajoutant à la signification symbolique,

une exposition organisée par les opérateurs culturels locaux réveillait la mémoire des aînés au travers de photos, vidéos et autres objets patrimoniaux, et participait de l’atmosphère propice à la confidence. Pour compléter le caractère convivial et rassurant du projet, la présence des parents et des proches, conviés à recueillir la parole des anciens, avait pour rôle de faciliter l’expression tout en incarnant le support de la transmission intergénérationnelle.

Tout concordait alors à convaincre les aînés de l’intérêt de leur apport mémoriel pour leur ville et leurs concitoyens, contribuant ainsi à leur reconnaissance sociale et à l’augmentation de leur estime de soi. aincre l’isolement et la spirale dépréciative dont sont victimes les personnes âgées dans une société contemporaine survalorisant la jeunesse, constituait des finalités secondaires appréciables.

Les données recueillies ont fait l’objet d’une valorisation concrète et rapide au travers notamment de bornes interactives et de vidéos dans le cadre d’expositions. Les participants ont été récompensés symboliquement de leur contribution par la remise d’un certificat lors d‘une réception officielle au conseil de l’arrondissement. La représentation officielle participe alors de l’affirmation d’une existence commune (Lefebvre, 2005) et renforce le sentiment d’appartenance à la communauté.

La mémoire est ici sollicitée comme ferment d’un lien social à renforcer. Si elle peut paraître instrumentalisée à des fins exogènes, plus sociales que patrimoniales, elle participe activement de la construction du territoire, parce qu’au-delà d’un rapport physique aux lieux et aux espaces, la mémoire des villes est avant tout une mémoire sociale des usages et des pratiques (Didier et al., 2005).

Le projet Porteurs de mémoire illustre également un mode opératoire fondé sur la notion de proximité. Celle-ci est invoquée sur la base d’un rapport historique par les responsables de l’arrondissement : « Les anciennes villes de Sillery et Cap rouge qui composent notre arrondissement étaient très proches des citoyens ». La proximité induit alors la mise en œuvre d’une action culturelle nécessairement conçue au plus près des attentes du citoyen. Pour le responsable des équipements patrimoniaux, il ne fait aucun doute que l’action de l’arrondissement est développée en lien direct avec les acteurs locaux a contrario du service de la culture qui, selon lui, « a relativement peu de techniciens ou de programmes directement sur le terrain ». Tandis que le service de la culture accompagne la diffusion de l’offre culturelle des institutions, l’arrondissement prend en charge une définition relativiste de la culture, tentant de concilier deux ordres

de légitimité : « Il y a le fait d’amener la culture au citoyen et il y a aussi le fait qu’on a des citoyens qui veulent produire, qui veulent faire de la culture. […]. Il y a la culture que le citoyen reçoit de façon impressive et il y a ce qu’il fait de façon expressive. On doit être un peu entre les deux. », explique le responsable.

Si l’arrondissement n’est pas en capacité de planifier la stratégie culturelle de la ville, il peut se prévaloir d’une réflexion concertée avec les structures culturelles dont il a la charge, dans la mise en œuvre de leur action. Pour ce faire, il opère un travail de maillage territorial et de mise en réseau des acteurs : « Comme beaucoup des organismes reposent sur une structure bénévole, qu’ils sont très fragiles, on n’impose pas », explique le responsable, « Par contre, s’il y a un besoin commun, on va essayer d’y répondre. Souvent, c’est le maillage qui est intéressant. Un organisme va arriver avec un projet et on va lui dire qu’il y a un autre organisme qui a exactement le même besoin. ».

Dans un contexte de reconfiguration territoriale et politique, l’enjeu de la proximité devient stratégique. La ville fusionnée a intégré les services des arrondissements mais ces derniers regimbent à abandonner leurs prérogatives d’hier et revendiquent leur « droit à la différence ». Le service de la culture se heurte ainsi à l’opposition de certains territoires, dont celui de Ste-Foix-Sillery-Cap rouge, hostiles à la mise en réseau de leur bibliothèque. À la fois symbole du lien avec les habitants et équipement majeur d’une action culturelle de proximité, la bibliothèque devient un enjeu stratégique dans la lutte symbolique que se livrent la ville et ses marges. De même les rites officiels, comme celui de récompenser la contribution habitante à l’action collective par une réception en mairie, constituent autant de moyens, pour l’arrondissement, de contrôler et de marquer son territoire (Lefebvre R., 2005).

Mais dans ce rapport de force, celui qui maîtrise les instruments de la stratégie communicationnelle dispose d’un avantage considérable. La ville contrecarre ainsi les revendications identitaires des arrondissements par un contrôle quasi total de leurs moyens de communication. Comme l’explique le responsable administratif, « Les villes avaient un service de communication associé à la direction de la ville et qui a disparu dans la fusion en même temps que les mairies. On s’est ramassés avec des territoires énormes et plus de service de communication. Pour ne pas donner la parole à tout le monde, très tôt, les communications ont été centralisées. ». Il devient alors plus difficile pour l’arrondissement, d’assurer cette mission de proximité avec les citoyens : « Si on me demande si le citoyen est bien renseigné par les services offerts par la ville, je

réponds non, pas du tout. La couverture médiatique est faite sur les grands événements. Une fête, une activité locale n’a aucune visibilité. », déplore le responsable du service.

Dix ans après, la fusion apparaît alors comme un processus inachevé. Le partage des missions et des prérogatives qu’elle a opéré n’épuise pas le débat entre la ville-centre et sa périphérie, ni ne remet en cause le sentiment d’appartenance des populations fortement attachées à leur territoire de proximité. Bien qu’engagée par ailleurs dans des stratégies de développement culturel guidées par la logique de concurrence, la ville ne peut ignorer la prégnance de la dimension territoriale dans la mise en œuvre de sa politique culturelle. Les arrondissements semblent s’être emparés de l’enjeu de proximité dans la conduite de l’action culturelle et ce faisant interrogent la ville-centre sur le rôle qui lui incombe dans la réflexion portant sur les nouveaux modes de gouvernance urbaine. Ne faudrait-il pas alors repenser la relation aux arrondissements dans une perspective de développement endogène qui n’exclut pas pour autant la finalité de rayonnement et d‘attractivité de la ville-centre, mais à l’inverse, y contribue en valorisant le caractère et le fonctionnement idiosyncratiques de ses quartiers ?

II.5.4. La politique d’animation de la bibliothèque Gabrielle

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