cédés dans le cadre des libéralités. Il serait en effet injuste, compte tenu des
prérogatives recouvrant les droits d’auteur, que l’auteur soit dépouillé de l’ensemble
de ses droits par un acte de donation : les libéralités ne doivent pas dépouiller l’auteur
plus que ce que ne l’aurait réellement requis sa volonté
219. Doit-on alors se conformer
aux dispositions de l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle, disposant
en son alinéa 1, que : « la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la
condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans
l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant
à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée » ? À cette fin, les
juges de la Cour de cassation ont déclaré qu’une cession gracieuse des droits d’auteur
était nulle, car elle ne stipulait aucune clause quant à la durée et l’étendue des droits
cédés
220. L’acte relevait alors d’une cession à titre gratuit et non d’une donation.
Il apparaît alors nécessaire de se pencher sur le principe d’irrévocabilité
figurant à l’article 894 du Code civil
221et de se demander, si en matière de droit
d’auteur, il serait possible de délimiter, dans le cadre d’une donation, l’étendue et la
durée des droits cédés. Dans un tel cas, l’on serait face à la maxime « Donner et
retenir vaut en propriété littéraire et artistique »
222. Il faut, de plus, relever que
l’article L. 131-3 se situe dans le Titre III du Livre 1 relatif aux droits d’auteur intitulé
« Exploitations des droits ». Un nouvel indice, donc, pour exclure l’application de cet
article quand on sait que les Titres des Codes sont à eux seuls, porteurs de la règle de
droit
223. La donation des droits d’auteur n’ayant pas pour cause l’exploitation de ces
derniers, l’article L. 131-3 ne tient donc pas à s’appliquer
224. Rien n’empêche
toutefois le gratifié, s’il le souhaite, d’exploiter les droits qu’il a acquis par la suite.
219Cass. civ. 1re, 20 déc. 1966, op. cit.
220Cass. civ. 1re , 23 janv. 2001 : Comm. com. électr., 2001, comm. 34, obs. C. Caron.
221C. civ., art. 894 : « La donation entre vif est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte » ; S. BENILSI., op. cit. p. 403, n° 672.
222Il s’agit de l’adage « Donner et retenir ne vaut » de Loysel, modifié par C. CARON lors de sa critique de l’application de l’article L. 131-3 du CPI pour les donations de droits d’auteur, obs. sous Cass. 1re civ., 23 janv. 2001, op. cit.
223Association Henri Capitant, Linguistique juridique : Montchrestien, 1990, p. 307.
224Même dans le cas d’une donation avec charge, cela contreviendrait au principe de l’article L. 131-4 du CPI ; V. également N. BLANC., op. cit. , n° 295, p. 255.
Afin d’être complet, il est nécessaire de rappeler que l’article L. 131-3 a pour finalité
de protéger l’auteur, notamment lorsqu’il se retrouve face à un exploitant
225, et non
dans l’hypothèse d’une libéralité, laquelle peut être réalisée pour gratifier un tiers
non-exploitant. Le formalisme de l’article L. 131-3 du Code de la propriété
intellectuelle ne tient donc pas à s’appliquer à la matière
226. Or, et malgré cette
affirmation, il convient, sans y faire référence, de tenir compte de son esprit afin
d’éviter une interprétation de la libéralité qui irait à l’encontre de la volonté de
l’auteur
227. Il est alors regrettable de constater qu’un pareil article ne soit pas de portée
plus générale et ne vienne encadrer la cession des droits dans le cadre des libéralités.
49. L’identification des modes d’exploitation. L’interprétation faite de la
nécessité de déterminer les droits cédés s’applique également pour les différents
modes d’exploitation. Ainsi, comme le précise l’alinéa 4 de l’article L. 122-7 du Code
de la propriété intellectuelle : « Lorsqu’un contrat emporte cession totale de l’un des
deux droits visés au présent article – à savoir le droit de reproduction et le droit de
représentation –, la portée en est limitée aux modes d’exploitation prévus au
contrat ». Il est alors possible de conclure que l’auteur peut opter, dans le cadre d’une
libéralité, à la limitation des modes d’exploitation. L’inscription de ces derniers dans
l’acte permettrait ainsi d’échapper, une nouvelle fois, à une mauvaise interprétation de
la libéralité et d’aller à l’encontre de la volonté de l’auteur.
50. Les conditions de l’ « abdication ». Il convient toutefois de noter que l’auteur
pourra librement transférer ses droits à condition que ces derniers ne fassent pas déjà
l’objet d’une cession à un tiers ou à un exploitant. Il n’y a pas de difficulté particulière
concernant la donation entre époux des droits d’auteur : ces derniers peuvent faire
l’objet d’une clause de préciput dans le contrat de mariage et ainsi être transmis à
225Notamment dans le cas d’une cession avec un exploitant, Cass. 1re civ. 23 janv. 2001, op. cit. 226Même si l’inverse a été admis, V. N. BLANC., op. cit, p. 383, n° 438.
227Il faut néanmoins rappeler que le droit de suite ne peut faire l’objet de dévolution volontaire à un tiers, celui-ci étant inaliénable et ne profitant qu’aux héritiers. En effet, le législateur a ainsi voulu que le droit de suite, « droit alimentaire », reste dans la famille de l’artiste et passe d’un successible à un autre, P.-Y. GAUTIER, op.cit. p. 418, n° 395 ; Ce principe a été réaffirmé par le Conseil constitutionnel lors d’une récente décision, C. const, 28 déc.. 2012, n° 2012-276 QPC : JurisData n° 2012-021622. Néanmoins, la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine encadre plus précisément le legs du droit de suite, L. n° 2016-925, 7 juill. 2016, art. 31.
l’époux
228. Dans le cas où l’auteur souhaiterait gratifier un tiers de ses émoluments, la
donation pourra revêtir la forme de la donation indirecte, forme courante dans ce
domaine
229.
51. Le transfert de droits dans les actes de libéralités et les droits voisins.
L’article L. 212-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose que la fixation de la
prestation de l’artiste-interprète est soumise à son accord écrit et, qui plus est, que
« cette autorisation et les rémunérations auxquelles elles donnent lieu sont régies (…)
par les dispositions du Code du travail »
230. L’artiste-interprète est donc lié par un
contrat de travail à son employeur qui, dans la plupart des cas, est un producteur.
Ainsi, l’artiste-interprète ne semble pouvoir faire donation de ses droits, et ce pour
deux raisons. La première tient au fait que la fixation de l’interprétation de l’artiste est
encadrée par les règles du contrat de travail. Établir un contrat de travail sans
contrepartie financière relèverait du travail dissimulé prévu à l’article L. 8221-3 du
Code du travail ou du bénévolat
231. De plus, et comme le prévoit l’article L. 212-4
alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle
232, les rémunérations des différentes
exploitations de l’interprétation doivent être indiquées dans le contrat de cession entre
un artiste et le producteur d’une œuvre audiovisuelle, les barèmes de ces
rémunérations étant prévus dans les conventions collectives des différents secteurs
culturels
233. La deuxième raison relève simplement du fait que les droits, par la clause
de cession inscrite dans le contrat d’artiste, sont cédés au producteur, l’artiste ne
pouvant alors en jouir comme il le souhaite. Ainsi, même s’il y a résiliation du contrat
d’artiste, il n’y a pas achèvement de la cession des droits d’exploitation des
228La donation d’œuvre future ne va pas à l’encontre de l’article L. 131-1 du CPI qui ne s’applique uniquement que pour les relations économiques entre auteur et exploitant, P.-Y. GAUTIER, op.cit. p. 408, n° 386 ; V. également S. HOVASSE-BANGET., op. cit. p. 247, n° 246
229S. HOVASSE-BANGET., ibid., p. 246, n° 246 ; V. également supra n° 40.
230CPI, art. L. 212-2 al. 2 : « Cette autorisation et les rémunérations auxquelles elles donnent lieu sont régies par les dispositions des articles L. 7121-2 à L. 7121-7, et L. 7121-8 du Code du travail, sous réserve des dispositions de l’article L. 212-6 du présent code ».
231Si les critères permettant de retenir le bénévolat sont présents, notamment lorsqu’il n’y a pas de lien de subordination juridique entre l’artiste et la personne morale ou physique faisant appel à lui.
232CPI, art. L. 212-4 al. 2 : « Ce contrat fixe une rémunération distincte pour chaque mode d’exploitation de l’œuvre ».
interprétations
234. La donation des droits de l’artiste-interprète n’est donc pas
envisageable.
Il faut néanmoins soulever que l’article L. 212-5 du Code de la propriété
intellectuelle reconnaît l’hypothèse dans laquelle le contrat d’artiste ou la convention
collective ne prévoient de rémunération spécifique pour un ou plusieurs modes
d’exploitation. Ce dernier précise alors que, dans cette hypothèse, il faut se référer aux
accords spécifiques conclus dans chaque secteur d’activité
235. Est-il alors possible
d’en déduire que l’absence de rémunération peut être issue de l’intention libérale de
l’artiste ? Si tel est le cas, il apparaît difficile d’envisager la cession comme une
libéralité car la prestation de l’artiste permettant sa fixation et incluant, de fait, la
cession de ses droits patrimoniaux, fait l’objet d’un contrat dans lequel est inscrite la
rémunération versée par le producteur pour sa prestation mais également la
rémunération proportionnelle versée pour chaque mode d’exploitation de
l’enregistrement de sa prestation. Néanmoins, le producteur pouvant avoir l’obligation
d’exploiter l’enregistrement, notamment les producteurs audiovisuels
236, il serait alors
possible d’admettre que l’obligation d’exploitation de la part du producteur présente
dans le contrat d’artiste apparaît comme une contrepartie à la cession à titre gratuit des
droits de l’artiste-interprète : le contrat d’artiste gardera alors son caractère onéreux
par la présence d’une contrepartie de valeur supérieure à la cession de droits.
Toutefois, la forte empreinte du droit du travail dans les contrats d’artiste ne semble
pas admettre cette possibilité.
S’agissant des producteurs, eux aussi titulaires de droits voisins, il paraît
difficile d’imaginer que ces derniers puissent réaliser des donations. Cela s’explique,
d’une part, par le fait que les producteurs sont des sociétés commerciales qui se
doivent de réaliser des bénéfices afin de pouvoir continuer à produire et, d’autre part,
car le Code de la propriété intellectuelle institue une obligation d’exploitation à
l’égard de ces derniers
237. Il convient toutefois de noter que les producteurs de
234A. LUCAS., A. LUCAS-SCHLOETTER, C. BERNAULT., op. cit., p. 1137, n° 1475.
235CPI, art. L. 121-5 : « Lorsque ni le contrat ni une convention collective ne mentionnent de rémunération pour un ou plusieurs modes d'exploitation, le niveau de celle-ci est fixé par référence à des barèmes établis par voie d'accords spécifiques conclus, dans chaque secteur d'activité, entre les organisations de salariés et d'employeurs représentatives de la profession ». 236Notamment pour les producteurs audiovisuels, CPI, art. L. 132-27 al. 1er : « Le producteur est tenu d’assurer à l’œuvre audiovisuelle une exploitation conforme aux usages de la profession ». 237V. CPI, art. L. 132-27 al. 1er.