une affaire où un entrepreneur de spectacles avait réclamé la réparation du préjudice
subi par la perte de chance de succès de son opérette à cause du remplacement du
chanteur principal, ce dernier ayant été victime d’un accident, la Cour de cassation a
décidé que « l’échec d’une œuvre théâtrale est un risque inhérent à la profession
d’entrepreneur de spectacles et peut dépendre de multiples circonstances »
494. A
contrario, le succès de l’œuvre dépend lui aussi de multiples circonstances. La
décision de la Cour est alors compréhensible. En effet, l’exploitation d’une œuvre ne
permet pas de dire si celle-ci connaitra un succès certain. Les cessionnaires sont des
sociétés commerciales, ou, plus simplement, des « entrepreneurs de l’art », pariant
– sans mauvais jeux de mots – sur des auteurs et artistes et de fait, sur leur succès
futur. C’est également pour cela qu’existe, afin de garantir aux auteurs et artistes une
rémunération certaine, l’avance non récupérable ou encore le minimum garanti
495.
492P. JOURDAIN, « Sur la perte d’une chance » : RTD civ. 1992, p. 109 ; V. également Cass. 1ère civ., 21 nov. 2006, n° 05-15.674 : Bull. civ. I, n° 498 ; Propr. intell. 2006, n° 22, p. 94, obs. Bruguière ; JCP G 2007. I. .115, n° 3 obs. Ph. Stoffel-Munck.
493C. BLOCH, C. GUETTIER, A. GIUDICELLI, J. JULIEN, D. KRAJESKI, M. POUMARÈDE, Droit de la responsabilité et des contrats, Régimes d’indemnisation, dir. P. LE TOURNEAU : Dalloz, 10e éd., 2014, p. 1419, n° 1418 ; V. également sur le sujet, A. BÉNABENT, La chance et le droit : LGDJ, 2013, préf. J. CARBONNIER ; La perte de chance, Colloque Orléans : LPA, 2013.
494Cass. 1re civ., 14 nov. 1958 : Gaz. Pal. 1959, I. p. 31.
495L’avance non récupérable est une somme forfaitaire versée par le cessionnaire au cédant. Cette somme sera récupérable par le cessionnaire sur la vente de l’œuvre, mais non récupérable
130. Conclusion de la Section 1. Les actes de transfert de droit à titre gratuit peuvent avoir
une contrepartie autre que monétaire. S’il a été admis par la jurisprudence que l’article
L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle tient à s’appliquer dans l’hypothèse
d’une cession à titre gratuit, l’application de cet article à une telle cession apparaît
encore plus justifiée lorsque celle-ci a comme contrepartie une prestation matérielle
résultant pour le cessionnaire d’une obligation d’exploitation. En effet, le Code de la
propriété intellectuelle restant silencieux sur l’encadrement d’une pareille cession, il
apparaît nécessaire de se soumettre aux règles spéciales des contrats d’exploitation, la
contrepartie onéreuse – impérative – étant remplacée par l’existence d’une
contrepartie matérielle : celle de l’obligation d’exploitation. Il s’agit néanmoins
d’analyser la validité de ces actes au cas par cas afin de déterminer si l’auteur a agi en
pleine conscience et en pleine connaissance de cause.
SECTION 2. – Les actes à titre gratuit de mise à disposition des
droits d’auteur : des contrats innommés à titre gratuit
131. Des contrats innommés. La particularité des licences à titre gratuit dans
lesquelles sont décelables des contreparties réside dans le fait qu’il est difficile
d’appliquer un régime juridique de droit commun
496ou même les règles définies par
le Code de la propriété intellectuelle. De plus, leur particularité est qu’elles sont
non-exclusives : l’exploitation de l’œuvre par un tiers n’empêche par l’exploitation de
l’œuvre par un autre tiers. Il est alors possible de déterminer deux types de licences :
les licences libres (§1) et les licences présentes dans les CGU (§2).
auprès de l’auteur si le montant de la vente est inférieur à la somme versée. Il s’agit en quelque sorte d’une garantie à l’égard du cédant.
§ 1. – La licence libre : un contrat d’exploitation non exclusif
132. Les logiciels comme précurseurs. Des idéaux américains « Liberté,
communauté et coopération », à la pensée d’Abraham Lincoln prônant la supériorité
de la liberté sur la propriété, telles sont les sources, ou plutôt les idéologies auxquelles
les artisans de la licence libre ont souhaité se rapprocher
497en créant la licence GNU
GPL
498. Cette licence a vu le jour dans le but de permettre aux programmateurs et aux
utilisateurs de logiciels d’avoir accès au code source
499protégé par le droit d’auteur.
La licence libre vient alors ouvrir ce cadenas de protection permettant aux
informaticiens professionnels ou amateurs de modifier le code source et partager de
nouvelles versions de logiciels, versions plus performantes ou simplement plus
adaptées à certaines utilisations
500. Le logiciel n’apparaît alors plus comme l’œuvre
d’une personne ou d’un groupe de personnes restreint, mais comme la « création »
issue d’une communauté partageant son savoir et ses compétences. Le modèle libre
est ainsi venu à l’encontre du modèle dit « propriétaire »
501.
S’il est à retenir une définition du logiciel libre, il serait alors possible de dire
qu’il peut être « exécuté, copié, distribué, étudié, modifié et amélioré, sous une
condition essentielle (…) : la rediffusion du code, modifié ou non, doit elle-même être
libre, afin de protéger les travaux effectués par l’ensemble des programmeurs contre
497G. AZZARIA, « Les logiciels libres à l’assaut du droit d’auteur », Les Cahiers de Propriété intellectuelle, 2004, vol. 16, n° 2, p. 410. L’auteur cite même R. STALLMAN, définissant les motivations de la licence libre : « (…) vous avez la liberté d’étudier, de modifier ou de redistribuer les logiciels que vous utilisez. Ces libertés permettent aux citoyens de s’aider eux-mêmes, de s’aider les uns les autres et de participer ainsi à une communauté. Cette manière de procéder contraste avec celle du logiciel propriétaire, plus répandu, qui maintient les utilisateurs impuissants et divisés : l’architecture d’un programme est secrète et on vous interdit de la partager avec votre voisin » ; V. également en ce sens I. RENARD., « Licences « open source » : la fin des redevances ? » : Petites Affiches, 13 oct. 2000, n° 205, p. 18.
498La licence GNU GPL a été la première licence libre. Il s’agit de l’acronyme de « GNU it’s not Unix » et « General Public License » ; V. également A. LUCAS., A. LUCAS-SCHLOETTER., C. BERNAULT, Traité de la propriété littéraire et artistique : Lexis Nexis, 2012, 4ème éd., p. 787, n° 992.
499Le code source peut être défini comme un ensemble d’instructions écrites dans un langage de programmation permettant d’obtenir la création d’un logiciel.
500C. CARON., « Les licences de logiciels dits « libres » à l’épreuve du droit d’auteur français » : D. 2003, p.1556.
501Les licences propriétaires correspondent à une volonté des éditeurs de valoriser leurs droits de propriété intellectuelle, L. MUSELLI., « Les licences informatiques, un instrument stratégique des éditeurs de logiciels » : Réseaux 2004/3, n° 125, p. 151.
l’appropriation par autrui »
502. De par ses idéaux prônés, la licence libre s’est
largement répandue jusqu’à encadrer logiciels et systèmes d’exploitation connus à
travers le monde, tels que Linux, Firefox, Open Office, VLC ou encore Bit Torrent.
133. Distinction avec la licence d’utilisation de logiciel. La licence libre se
distingue du contrat de licence d’utilisation du logiciel en ce sens que ce dernier
autorise uniquement l’utilisateur à se servir du logiciel sans pour autant lui donner le
droit de le modifier et le partager
503. La différence est ainsi fondamentale car la
licence libre tend à autoriser l’utilisateur à apporter des modifications mais aussi à
partager le logiciel.
134. L’adaptation aux œuvres littéraires et artistiques. Propre à l’univers
numérique, la licence libre n’a pas tardé à s’étendre aux œuvres dématérialisées dans
le but de permettre un meilleur partage de l’art, partage facilité par l’expansion des
réseaux numériques à travers le monde. C’est en ce sens que le législateur s’est
emparé de ce phénomène en insérant l’article L. 122-7-1 au Code de la propriété
intellectuelle, lequel reconnaît à l’auteur la liberté « de mettre ses œuvres gratuitement
à disposition du public »
504. Bégaiement législatif
505, répétition dans la loi
506ou
redondance
507pour les uns, clarification pour les autres
508, il faut reconnaître au
législateur l’effort d’être venu apporter une certaine reconnaissance législative à la
pratique issue de la licence libre. En effet, bien qu’il soit possible de penser que la
cession gratuite soit déjà prévue par l’article L. 122-7, et compte tenu de la distinction
entre cession et concession, il pouvait apparaître nécessaire – même si cela ressortait
de la logique –, de venir apporter cette précision concernant la mise à disposition à
titre gratuit de l’œuvre. Toutefois, cette initiative reste tout de même timide : elle ne
502I. RENARD., op. cit., p.17 ; Pour une même approche, v. M. CLElMENT-FONTAINE., L’œuvre libre : Larcier, 2014, préf. M. VIVANT, p. 42, n° 46.
503N. BLANC, Les contrats du droit d’auteur à l’épreuve de la distinction des contrats nommés et innommés : Dalloz, 2010, préf p. 152, n° 167 ; G. AZZARIA, op. cit., p. 415.
504CPI, art. L. 122-7-1, inséré dans le Code par la loi n° 2006-961, 1er août 2006.
505M. VIVANT, « La pratique de la gratuité en droit d’auteur » : RLDI 2010/60, n° 1993, spéc. n° 1. 506T. AZZI, « La cession à titre gratuit du droit d’auteur » : RIDA 2013, n° 237, n° 7.
507N.BLANC, op. cit., p. 147, n° 159.