92. La cession à titre partiellement gratuit. Que l’article L. 131-4 du Code de la
propriété intellectuelle impose la rémunération de l’auteur dans le cadre des contrats
d’exploitation ne semble pas venir poser, outre mesure, de réelles difficultés aux
éditeurs. Mais que les juges reconnaissent la possibilité pour l’auteur de céder une
partie de ses droits gracieusement, paraît étonnant. Il est ainsi retenu que, pour être
recevable, la clause de cession de droits d’auteur partiellement gratuite doit être
dénuée d’ambiguïté (1). Il sera alors utile, par la suite, de constater que la contrepartie
pourra se traduire en une contrepartie matérielle par l’édition de l’œuvre (2).
1- Nécessité d’un consentement libre et éclairé
93. Clause de cession de gratuité partielle : nullité de l’acte en cas
d’ambiguïté. La clause litigieuse ayant opposé auteurs et éditeurs était ainsi rédigée :
« pour prix de cession du droit d’édition ci-dessus prévue, l’éditeur versera à
l’auteur, pour chaque exemplaire vendu correspondant sur le prix fort de vente hors
TVA : 0% pour le premier mille, 7% pour les deux mille suivants ; 10% à partir de
trois mille »
355. Il est clairement indiqué, dans le contrat, que l’auteur devait renoncer
à une partie de ses revenus pour les premiers exemplaires vendus. Mécontents que de
telles conditions leur soient appliquées, les auteurs ont saisi les juges. Pour leur
355TGI Paris, 3ème ch. civ. 30 nov. 1999 : Comm. com. électr., 2001, comm. 87 ; RIDA 2000, n° 185, p. 435 ; CA Paris, 4ème ch, 10 déc. 2004 : Propr. intell. 2005, n° 15 p. 175, obs. Lucas ; RIDA 2005. p. 286.
défense, les éditeurs ont argué qu’ils respectaient la condition de rémunération
proportionnelle indiquée à l’article L. 131-4 du Code de la propriété intellectuelle,
mais encore que ladite clause n’était pas incompatible avec l’article L. 122-7 du
même code. Les juges ont alors « botté en touche ». En effet, ils se sont bornés à
déterminer le caractère ambigu de l’acceptation, indiquant que dans le cas où l’auteur
cède, dans un contrat d’exploitation, une partie de ses droits gracieusement, la clause
encadrant cette cession doit indiquer que l’auteur a pleinement conscience de la
réalisation d’une telle cession : « certes, l’auteur est autorisé à céder ses droits à titre
gratuit sur son œuvre mais (…) il convient que cette disposition contractuelle soit
consentie sans ambiguïté par celui-ci »
356. Les actes ont toutefois été déclarés nuls, la
clause concernant la rémunération de l’auteur étant considérée comme substantielle au
contrat
357.
94. Un consentement libre et éclairé. La position des juges a été entendue par les
éditeurs. Ces derniers ont alors demandé aux auteurs de contresigner la clause
litigieuse
358, le biffage indiquant que leur consentement était libre, éclairé, et qu’ils
avaient pleine conscience de céder gracieusement et partiellement leurs droits
359. Il
était, de plus, fait la distinction, dans l’acte de cession, entre cession gracieuse et
onéreuse, ces dernières figurant dans deux clauses distinctes. Cela apportait, en plus
de la contre-signature, une certaine clarté
360. En réponse, les juges ont indiqué que la
clause « n’est donc pas illicite », mais qu’il est « toutefois observé que chaque auteur
conserve la liberté d’en demander la nullité s’il estime notamment que son
consentement a été vicié »
361. La décision est explicite : la contre-signature constitue
la reconnaissance d’un consentement libre et éclairé. Néanmoins, l’auteur ne doit pas
estimer que son consentement ait été vicié – il faut toutefois reconnaître que la
356TGI Paris, 3ème ch. civ. 30 nov. 1999, op.cit. ; CA Paris, 4ème ch, 10 déc. 2004, op. cit..
357V. sur la nullité du contrat de cession prévoyant un prix vil, CA Paris, 14 févr. 1994 : RIDA 1994, n° 161, p. 225 ; CA Paris, 9 oct. 1995 : RIDA 1996, n° 169, p. 311.
358CA Paris, 4ème ch. B, 25 nov. 2005 : Com. com. électr. comm. 40, n° 3, mars 2006.
359L’auteur est « libre, si du moins il a une claire conscience de ce qu’il cède à titre gratuit, de renoncer à percevoir des droits patrimoniaux sur l’exploitation de son œuvre », TGI Paris, 3ème Ch. civ. 30 nov. 1999, op. cit ; Cette position s’applique également au monde universitaire, pourtant reconnu comme étant un monde dans lequel les connaissances circulent librement, CA Paris, 4ème ch. B, 18 nov. 2005 : Propr. intell. 2006, n° 19, p. 183, obs. A. Lucas ; V. également T. AZZI, « La cession à titre gratuit du droit d’auteur » : RIDA 2013, n° 237, n° 15.
360CA Paris, 4ème ch. B, 25 nov. 2005, op. cit. 361Ibid.
signature d’une telle clause par l’auteur indique qu’il a pleinement conscience de son
acceptation. La cession partielle des droits à titre gratuit est donc reconnue comme
étant recevable.
2- La présence d’une contrepartie matérielle : l’édition de l’œuvre
95. La reconnaissance d’un risque pris par l’éditeur : l’édition de l’œuvre
comme contrepartie. Le domaine de l’édition, et même de la production, est un
domaine où les cessionnaires prennent des risques financiers et où le retour sur
investissement n’est pas garanti. Ainsi, dans la décision du 25 novembre 2005
reconnaissant la possibilité pour l’auteur de céder une partie de ses droits à titre
gratuit
362, la cour d’appel reconnaît que le contrat d’édition dans lequel est stipulé une
cession à titre partiellement gratuit reste qualifié de contrat à titre onéreux – il est
préférable de dire « partiellement onéreux ». Néanmoins, la cession à titre gratuit ne
concernant que les premiers exemplaires vendus
363, il est possible de se demander s’il
s’agit d’une reconnaissance implicite de la part des juges d’une gratuité justifiée par le
risque pris par l’éditeur de fabriquer, publier et diffuser l’œuvre. La contrepartie à la
cession à titre partiellement gratuit se trouverait-elle, alors, dans cette justification ?
Il convient de se ranger du côté de l’auteur. Ce dernier, faisant face à l’éditeur,
peut voir apparaître l’ombre d’un « chantage » lorsque le cessionnaire lui propose de
signer un contrat d’édition dans lequel la cession des droits se fera à titre partiellement
gratuit. Le risque de ne pas signer le contrat et de refuser une telle gratuité peut
engendrer un refus de la part de l’éditeur d’éditer l’œuvre sous prétexte que l’édition
et les obligations y découlant ne lui seront profitables qu’après la vente d’un certain
nombre d’exemplaires. À l’inverse, s’il consent à la gratuité partielle – son
consentement devant être libre et éclairé –, l’acceptation d’une contrepartie non
monétaire pour les premiers exemplaires vendus pourra s’interpréter pour l’auteur
comme la possibilité de voir son œuvre éditée. La contrepartie à la cession à titre
partiellement gratuit sera alors l’édition de l’œuvre.
362En outre, dans la décision rendue par la cour d’appel de Paris le 25 novembre 2005, les juges reconnaissent que l’article L. 132-5 – prévoyant une rémunération proportionnelle ou forfaitaire au profit de l’auteur dans les contrats d’édition - s’applique « dès lors que l’auteur n’a pas consenti à une cession à titre gratuit », ibid.