17. Une mise à disposition des droits patrimoniaux. Pour A. BOISSON, le prêt
à usage peut être défini comme un contrat portant sur la jouissance d’une chose
assurée à l’emprunteur par le prêteur, et cela, au moyen d’un droit personnel
112. Si
l’on s’en tient à cette définition et à celle retenue par le Code civil, la licence,
qualifiée de prêt à usage, porte nécessairement sur une chose. Cependant, en droit
109S. BENILSI, op. cit.,p. 31, n° 48.
110C. civ., art. 1875 : « Le prêt à usage est un contrat par lequel l'une des parties livre une chose à l'autre pour s'en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s'en être servi. ».
111P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, Sirey, 1954, t. II, p. 286.
d’auteur, cette chose ne sera pas « matérielle » mais « immatérielle » : elle sera
constituée par les droits patrimoniaux de l’auteur alors mis à disposition d’un
emprunteur. L’auteur bénéficiera ainsi, par la conclusion de cet acte, d’un droit
personnel à l’encontre du prêteur.
18. Une mise à disposition temporaire. La particularité du prêt à usage, comme
le précise l’article 1875 du Code civil, tient à son caractère temporaire. En effet,
l’emprunteur a la charge
113de rendre le bien après s’en être servi. Néanmoins, il est
reconnu que le caractère temporaire peut laisser place à une mise à disposition de
longue durée
114. Ainsi, au terme du prêt, l’emprunteur devra cesser l’exploitation de
l’œuvre
115. Cette fin d’exploitation se matérialisera – à défaut de pouvoir rendre un
bien matériel – par la remise des droits à son titulaire. Ainsi, si après le terme du prêt,
l’emprunteur continue d’exploiter l’œuvre, celui-ci pourra être qualifié de
contrefacteur n’ayant alors plus l’autorisation du titulaire de droit pour une telle
exploitation. Afin d’éviter un tel scénario et afin de garantir une meilleure sécurité à
l’auteur, il apparait opportun d’inclure dans la licence une durée déterminée
expressément reconductible. À défaut d’une telle reconduction, il y aura alors acte de
contrefaçon.
B. – L’usage des droits patrimoniaux
19. L’usage des droits concédés. Concluant une licence qualifiée de prêt à usage,
il est certain que le licencié souhaite exploiter l’œuvre sans prévoir de contrepartie à
l’égard de l’auteur ou des ayants droit. Néanmoins, cette exploitation peut-elle faire
l’objet d’une obligation de la part du concédant ? Agissant, par exemple, pour le
compte d’événements temporaires, le licencié a la possibilité de demander aux ayants
droit l’autorisation d’user des droits de reproduction ou de représentation dans un
cadre précis et pour une durée limitée. Le licencié devra ainsi se conformer aux
conditions stipulées par la licence, ou, a contrario, à l’usage déterminé par la nature
113C. civ., art. 1875.
114Notamment dans le cadre de relations d’affaires, A. BOISSON, op. cit., p. 163, n° 147. 115Ibid., p. 163, n° 147.
de l’œuvre – qui, il faut le reconnaître, reste imprécise, d’où l’utilité de déterminer
l’étendue et la destination de l’autorisation
116.
20. L’exploitation commerciale des droits. A. BOISSON s’est posé, et à juste
titre, la question de savoir si, dans l’hypothèse d’une conclusion d’une licence
reconnue comme prêt à usage, l’emprunteur pouvait exploiter la chose prêtée. Deux
situations se présentent alors : celle où l’emprunteur souhaite conclure un sous-contrat
et celle où ce dernier souhaite exploiter l’œuvre commercialement.
Dans la première hypothèse, l’auteur souligne le fait que le contrat de prêt a,
par nature, un fort intuitu personae. Ainsi, l’auteur peut très bien ne pas souhaiter
qu’un tiers, autre que l’emprunteur, puisse jouir de l’œuvre. La réponse à cette
problématique se trouvera alors dans la convention ou dans l’usage conforme reconnu
à la chose – même s’il est possible d’objecter que pour une meilleure compréhension,
la convention devra nécessairement prévoir ce cas et y indiquer la solution
117.
Dans la deuxième hypothèse, l’auteur affirme l’impossibilité pour
l’emprunteur d’exploiter la chose prêtée, ce qui remettrait en question l’essence
gratuite du contrat
118. Il relève toutefois que la Cour de cassation a pu admettre un
droit aux fruits pour l’emprunteur
119. Cette solution, marginale en matière de prêt à
usage, reconnaît à l’emprunteur la possibilité de récolter les fruits de la chose prêtée.
L’affaire en question portait sur le prêt d’un terrain agricole à un Groupement agricole
d’exploitation en commun. La Cour a alors affirmé que « le prêt en cause ayant été
conclu pour un usage agricole des terres prêtées, devait permettre à l’emprunteur de
faire consommer l’herbe par ses animaux ou de la récolter »
120. Est ainsi pris en
considération l’usage de la chose « par sa nature » : en effet, un terrain agricole est
destiné à être exploité. Pareille application serait-elle envisageable en droit d’auteur ?
Il est difficile d’imaginer un licencié conclure un contrat de licence sans l’intention de
vouloir exploiter l’œuvre – la distinction devra néanmoins être faite entre une
116C. civ., art. 1880 : « L'emprunteur est tenu de veiller raisonnablement à la garde et à la conservation de la chose prêtée. Il ne peut s'en servir qu'à l'usage déterminé par sa nature ou par la convention ; le tout à peine de dommages-intérêts, s'il y a lieu. ».
117Dans les faits, il est stipulé, de manière générale, dans les contrats de licence, que le licencié ne peut concéder les droits à un tiers.
118A. BOISSON, op. cit., p. 163, n° 147.
119Cass. 1re civ., 18 février 2009 : RDC, juill. 2009, n° 3 p. 1138, note P.Buig. 120Ibid.
exploitation commerciale, qui viendrait alors remettre en cause la qualification du
contrat de licence comme prêt à usage, et l’exploitation « non commerciale ». En
effet, le prêt à usage étant par essence gratuit, il serait injuste que l’emprunteur puisse
récolter les fruits de l’exploitation de l’œuvre. A contrario, il est difficile d’imaginer
l’auteur, à moins qu’il agisse dans le cadre d’une intention libérale, ne pas trouver un
intérêt à la conclusion d’une licence à titre gratuit.
§ 2. – Prêt à usage et droit d’auteur : les critères d’une distinction
21. La contrepartie dans la licence à titre gratuit. Le principe même du prêt à
usage est qu’il doit être mû par l’intention libérale du prêteur (A). Ainsi, dans le cas
où une contrepartie serait décelable, la qualification de la licence comme prêt à usage
ne serait plus légitime, la licence à titre gratuit entrant alors dans la catégorie des
contrats innommés (B).
A. – Le prêt à usage : un prêt gratuit par principe
22. Le principe de la gratuité du prêt à usage. À son origine, le prêt à usage
était qualifié, pour reprendre les termes du Code civil, de prêt « essentiellement
gratuit »
121. Ainsi, en l’absence de volonté de gratifier un ami et dès lors que le
prêteur trouverait un intérêt à l’opération
122, la qualification n’aurait plus lieu d’être.
Mais l’évolution de la société n’échappant pas au droit, les prêts à usage se sont
adaptés aux relations d’affaires. Il est ainsi difficile d’admettre, en pareille hypothèse,
que ces prêts soient dénués d’intérêts pour le prêteur. À ce titre, la qualification de
prêt à usage apparaît-elle encore justifiée ? Si l’on s’en tient à la jurisprudence et à la
doctrine, à partir du moment où est décelable un intérêt quelconque à la réalisation du
prêt, et qui plus est, un intérêt matériel, les règles encadrant le prêt à usage ne trouvent
plus à s’appliquer
123.
121C. civ., art. 1876.
122A. BElNABENT, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux : LGDJ, 10e éd., 2013, p. 307, n° 630.
123Le prêt d’une voiture par un garage à un coureur ne pouvait être qualifié de prêt car le prêteur et l’emprunteur tiraient un avantage de l’utilisation du véhicule, Cass. 1re civ., 9 mai 1966, Bull. civ. I, n° 262 ; Une société prêtant du matériel à une autre société concurrente et exigeant
B. – La licence à titre gratuit : une licence intéressée
23. L’existence d’une contrepartie dans les licences à titre gratuit. Les
cessions ou concessions de droits sont par définition relatives à des relations d’affaires
entre un auteur et un exploitant ou concessionnaire, sauf dans certaines situations
déterminées
124. Il apparait donc nécessaire de vérifier s’il y a l’existence d’une
contrepartie qui aboutirait à la disqualification du contrat de licence en contrat de prêt
à usage.
24. L’obligation d’exploitation. Pour le professeur N. BLANC, l’obligation
d’exploitation prévue dans une licence peut être analysée comme l’existence d’une
contrepartie : elle constitue un avantage direct lié au contrat
125. Par cette obligation,
l’œuvre de l’auteur sera nécessairement diffusée, lui procurant alors un gain de
notoriété : la qualification en contrat de prêt à usage n’a donc plus lieu d’être. En
effet, il est évident que la diffusion de l’œuvre sera profitable à l’auteur, qui plus est
lorsque cette obligation de diffusion est mise à la charge du licencié. Si l’auteur ne
reçoit pas de contrepartie matérielle « en tant que telle », celle-ci pourra néanmoins
être analysée comme étant l’obligation, mise à la charge du licencié, d’exploiter
l’œuvre. La prestation – ou l’obligation – de l’auteur sera la concession de ses droits,
et celle du licencié, l’exploitation de ces derniers.
Toutefois, la question se pose de savoir si l’absence d’obligation
d’exploitation, et donc la reconnaissance d’une contrepartie, suffit à disqualifier le
contrat de licence en contrat de prêt à usage.
l’apposition de son nom sur les reproductions de timbres engendre l’existence d’une contrepartie et la disqualification de contrat de prêt, Cass. com., 19 juillet 1971, Bull. civ. IV, n° 213 ; V. également, pour qui les prêts à usages réalisés dans le cadre de relations d’affaires relèveraient des contrats innommés, P. MALAURIE., L. AYNES, P.-Y. GAUTIER, op. cit., p. 537, n° 911 ; V. aussi N. BLANC, Les contrats du droit d’auteur à l’épreuve de la distinction des contrats nommés et innommés : Dalloz, 2010, préf. P.-Y GAUTIER, p. 264, n° 307 et s.
124Il est difficile de retenir la qualification de relations d’affaires dans le cadre des libéralités. 125N. BLANC, op. cit., p. 264, n° 307 ; V. supra n° 12.