112. Le droit d’auteur : un monopole réservé à l’auteur. Si l’on devait résumer
le monopole accordé à l’auteur, il serait possible d’affirmer que ce dernier reste maître
de la destinée de ses droits. Ainsi, l’exploitation ou l’usage de l’œuvre par sa
reproduction et/ou sa représentation ne pourra se faire qu’avec son consentement. Il
sera alors possible de déterminer les droits cédés, leur étendue et leur destination,
mais plus particulièrement encore la nature du contrat et ainsi le régime juridique
applicable
430.
113. Les contrats d’exploitation : des contrats de vente. Le contrat de vente est
un contrat par lequel une partie « s’oblige à livrer une chose et l’autre à la payer »
431.
En droit d’auteur, elle se traduirapar le transfert de propriété de l’un ou de plusieurs
droits patrimoniaux moyennant contrepartie
432. Ainsi, « les contrats de cession du
droit d’auteur sont à titre onéreux, parce qu’ils comportent les éléments essentiels et
caractéristiques du contrat de vente – transfert de propriété et contrepartie
monétaire »
433. Toutefois, la question se pose de savoir si la gratuité a sa place dans
les contrats de vente et de là, dans les contrats d’exploitation.
430Ainsi, et comme il a été développé, les actes de droits d’auteur relevant d’une abdication de l’auteur à ses droits pourront revêtir la qualification des libéralités, v. supra n° 27 et s.
431C. civ., art. 1582 al. 1er.
432N. BLANC, Les contrats du droit d’auteur à l’épreuve de la distinction des contrats nommés et innommés : Dalloz, 2010, préf. P.-Y GAUTIER, p. 255, n° 296.
114. Specialia generalibus derogant. La question de la gratuité dans les contrats
ayant pour finalité l’exploitation des droits n’est pas nouvelle
434. Cette dernière vient
toutefois se heurter au principe posé par la loi de 1957 sur le droit d’auteur
435selon
lequel l’auteur doit être rémunéré dans le cadre de l’exploitation de son œuvre. Ainsi,
et à côté de la règle générale permettant à l’auteur de céder son droit de reproduction
et de représentation à titre gratuit ou à titre onéreux
436se trouve la règle spéciale
encadrant la cession des droits dans les contrats d’exploitation. Cette règle prévoit que
la cession par l’auteur des droits sur son œuvre doit comporter à son profit la
participation aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation de cette
dernière
437. La rémunération de l’auteur peut ainsi se traduire par une participation
aux bénéfices de l’exploitation dans le cadre d’une rémunération proportionnelle
calculée sur le prix de vente au public – l’auteur est ainsi associé au succès ou à
l’insuccès de son œuvre
438– ou par le versement unique d’une somme forfaitaire dans
des cas limitativement fixés par la loi
439. Cette rémunération, qualifiée
« d’alimentaire »
440, trouve sa justification dans le fait que l’auteur doit être rémunéré
pour les fruits de son travail, tout comme le salarié est rémunéré par son employeur
dans le cadre de son contrat de travail
441. La doctrine est unanime : l’un des principes
régissant les contrats d’exploitation est l’existence d’une contrepartie onéreuse à la
434V. notamment TGI Paris, 3ème ch. civ. 30 nov. 1999 : Comm. com. électr., 2001, comm. 87 ; RIDA 2000, n° 185, p. 435.
435L. n° 57-298, 11 mars 1957, sur la propriété littéraire et artistique. 436CPI, art. L. 122-7 al. 1.
437CPI, art. L. 131-4 : « La cession par l’auteur de ses droits sur son œuvre peut être totale ou partielle. Elle doit comporter au profit de l’auteur la participation proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation.
Toutefois, la rémunération de l’auteur peut être évaluée forfaitairement dans les cas suivants : 1° La base de calcul de la rémunération proportionnelle ne peut être déterminée ;
2° Les moyens de contrôler l’application de la participation font défaut ;
3° Les frais des opérations de calcul et de contrôle seraient hors de proportion avec les résultats à atteindre ;
4° La nature ou les conditions de l’exploitation rendent impossible l’application de la règle de rémunération proportionnelle, soit que la contribution de l’auteur ne constitue pas l’un des éléments essentiels de la création intellectuelle de l’œuvre, soit que l’utilisation de l’œuvre ne présente qu’un caractère accessoire par rapport à l’objet exploité ;
5° En cas de cession des droits portant sur un logiciel ; 6° Dans les autres cas prévus au présent code ».
438V. également F. POLLAUD-DULIAN., Le droit d’auteur, : Economica, Coll. Corpus Droit Privé, 2005, p. 595, n° 979.
439CPI, art. L. 131-4.
440P.-Y. GAUTIER., Propriété Littéraire et artistique : PUF Droit, 2016, 10ème éd., p. 517, n° 482. 441Ibid.
cession des droits d’auteur
442– tout comme le paiement d’un prix l’est pour le contrat
de vente. Cette règle d’ordre public venant instaurer un certain rejet de la gratuité
443s’explique par la volonté de protéger l’auteur dans ses relations contractuelles, étant
considéré que ce dernier n’apparaît pas en position de force face à un exploitant
pouvant renoncer à l’édition d’une œuvre si l’auteur refuse de se conformer aux
conditions financières proposées
444. À ce titre, A. FRANÇON reconnaissait que la loi
de 1957 est venue apporter une sécurité aux auteurs dans leur relation contractuelle,
ces derniers étant alors « souvent exposés à conclure des marchés de dupes »
445. La
loi a ainsi érigé en règles d’ordre public « les devoirs et obligations des exploitants du
droit d’auteur »
446, et notamment, l’obligation de rémunération
447.
115. La contrepartie monétaire : criterium de qualification des actes à titre
gratuit et à titre onéreux en propriété littéraire et artistique. Si l’article L. 122-7
du Code de propriété intellectuelle, dans la partie relative à la propriété littéraire et
artistique dispose que « le droit de représentation et le droit de reproduction sont
cessibles à titre gratuit ou à titre onéreux », et l’article L. 122-7-1 que « l'auteur est
libre de mettre ses œuvres gratuitement à la disposition du public », l’article L. 131-4,
en son alinéa 1, dispose quant à lui que la cession des droits dans le cadre d’une
exploitation de l’œuvre « doit comporter au profit de l'auteur la participation
proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l'exploitation ».
442P.-Y. GAUTIER, op. cit., p. 517, n° 482. ; Ainsi, lorsque l’auteur cède ses droits à un exploitant (ou éditeur), ce dernier « est obligé d’exploiter l’œuvre, mais aussi de payer l’auteur. », C. CARON., Droit d’auteur et droits voisins : LexisNexis, 2017, 5ème éd., p. 407, n° 426 ; A. LUCAS., A. LUCAS-SCHLOETTER., C. BERNAULT, Traité de la propriété littéraire et artistique : Lexis Nexis, 2017, 5ème éd., p. 649, n° 774 ; « Les contrats de cession de droits d’auteur sont des contrats onéreux », A. MAFFRE-BAUGEl., Jcl. PLA, fasc. 1310, Droit d’auteur, Exploitation des droits, 2010, n° 71 ; F. POLLAUD-DULIAN., op. cit. p. 594, n° 977 et s.
443S. BENILSI., Essai sur la gratuité en droit privé, th. Montpellier, 2006, p. 405, n° 674.
444Ibid., p. 405, n° 674.; V. également CA Paris, 4ème ch. B, 25 nov. 2005 : Comm. com. électr., 2006, comm. 40 ; V. supra n° 95.
445A. FRANÇON., « La liberté contractuelle dans le domaine du droit d’auteur » : D. 1976, p. 55. 446A. HUGUET., « L’ordre public et les contrats d’exploitation du droit d’auteur. Études sur la loi du 11 mars 1957 » : RIDC, vol. 14, n° 4, octobre-décembre 1962, p. 813-814.
447Il est ainsi inscrit à l’article L. 132-5 du Code de la propriété intellectuelle consacrant le contrat d’édition que « le contrat peut prévoir soit une rémunération proportionnelle aux produits d’exploitation, soit, dans les cas prévus aux articles L. 131-4 et L. 132-6, une rémunération forfaitaire », à l’alinéa 1 de l’article L. 132-25 que « la rémunération des auteurs est due pour chaque mode d'exploitation » s’agissant des contrats de production audiovisuelle et à l’article L. 132-21 que l’entrepreneur « doit fournir un état justifié de ses recettes » et qu’il doit « acquitter aux échéances prévues, entre les mains de l’auteur ou de ses représentants, le montant des redevances stipulées » pour les contrats de représentation.
La rémunération de l’auteur sera ainsi due dans l’hypothèse d’un contrat
d’édition, contrat dans lequel l’éditeur doit « prévoir soit une rémunération
proportionnelle aux produits d'exploitation, soit (…) une rémunération
forfaitaire »
448; d’un contrat de production audiovisuelle, contrat dans lequel « la
rémunération des auteurs est due pour chaque mode d'exploitation »
449; d’un contrat
de commande pour la publicité, contrat valable « dès lors que ce contrat précise la
rémunération distincte due pour chaque mode d'exploitation de l'œuvre »
450; ou
enfin, de l’exploitation des œuvres des journalistes, exploitation ayant pour
contrepartie un salaire ou une rémunération sous forme de droits d’auteur
451.
Le Code de la propriété intellectuelle prévoit également une rémunération
pour les titulaires de droits voisins. Tel est notamment le cas pour les
artistes-interprètes
452, les producteurs de phonogrammes devant prévoir une rémunération
forfaitaire ou proportionnelle à l’exploitation de l’enregistrement
453, et les producteurs
audiovisuels une rémunération pour chaque mode d’exploitation
454.
Il faut alors constater que les rémunérations prévues à l’égard des auteurs et
des titulaires de droits voisins se font par la réalisation de l’instrument contractuel. La
prestation monétaire constitue ainsi la contrepartie à la prestation caractéristique de
l’ensemble de ces contrats : la cession des droits d’auteur ou des droits voisins.
Si ces dispositions particulières et d’ordre public trouvent à s’appliquer, il ne
faut néanmoins pas perdre de vue que l’article L. 122-7 prévoit la faculté, pour
l’auteur, de céder ses droits à titre gratuit. À l’inverse, le Code de la propriété
intellectuelle ne vient pas apporter de précisions quant à la faculté, pour les titulaires
de droits voisins, et notamment, des artistes-interprètes, de réaliser une telle cession.
C’est en ce sens, en essayant de surpasser cette règle d’ordre public, mais
également sans oublier que le contrat est à titre onéreux lorsque « chacune des parties
448CPI, art. L. 132-5. 449CPI, art. L. 132-25, al. 1er. 450CPI, art. L. 132-31.
451L’article L. 132-35 du CPI dispose que l’exploitation des œuvres du journaliste dans le cadre des titres de presse donne lieu à rémunération. Néanmoins, l’exploitation de la même œuvre dans le titre de presse après écoulement du délai déterminé entre les parties peut avoir lieu sous forme de salaire ou de droits d’auteur (art. L. 132-38), et l’exploitation de l’œuvre en dehors du cadre du titre de presse donne lieu à rémunération sous forme de droits d’auteur (art. L. 132-40). 452L’article L. 212-3 du CPI indique que les artistes-interprètes doivent être rémunérés sous forme de salaire pour la réalisation de leur prestation.
453CPI, art. L. 212-3-3 et L. 212-3-4. 454CPI, art. L. 212-4.