L’exposition de l’œuvre et ainsi son exploitation – par sa reproduction ou sa
représentation – lui permettra de connaître un rayonnement important et de toucher un
public plus large auquel il est habitué. Ce prêt – nécessairement intéressé dès lors que
l’auteur a conscience d’un tel apport – lui apportera alors une contrepartie morale par
le gain de notoriété.
L’exploitation commerciale de l’œuvre peut être autorisée voire même, peut
constituer une contrepartie à la concession à titre gratuit. Cependant, cette exploitation
commerciale pouvant perdurer dans le temps, l’œuvre est exposée de façon plus large
et l’auteur a plus de chance de toucher un public encore plus important et de là,
d’augmenter sa notoriété. Étant entendu que la licence est, par nature, un contrat à
durée déterminée, les droits vont revenir à l’auteur à l’issue de la licence. Ce dernier
peut ainsi y voir, malgré l’absence de rémunération, l’existence d’une contrepartie
morale par le gain de notoriété qui se matérialise par l’exploitation de son œuvre. Une
contrepartie est donc présente. Ainsi, la licence à titre gratuit, même en l’absence
d’obligation d’exploitation, ne peut être qualifiée de prêt à usage, l’auteur ayant
conscience, dans le cadre d’une concession de droit, que celle-ci ne peut lui être que
profitable. Ce dernier y voit donc une contrepartie matérielle à l’acte : celle de
l’exploitation de son œuvre. En effet, quel est l’intérêt, pour l’emprunteur, de conclure
une licence, si ce n’est d’exploiter l’œuvre ?
26. Conclusion de la Section 1. La différence entre la licence et les libéralités réside dans
la propriété des droits transférés. En effet, pour la licence, les droits n’échappent à
aucun moment au patrimoine de l’auteur : ils sont concédés – à la différence des
libéralités, où les droits sont cédés, échappant alors définitivement au patrimoine de
l’auteur
127. La qualification des licences à titre gratuit en contrat de prêt à usage ne
peut alors tenir : par la concession de ses droits, l’auteur y voit un avantage qui peut
lui être profitable à l’avenir. Les relations entre auteurs et licenciés pouvant se
rapprocher des relations d’affaires et les licences conclues à titre gratuit ne pouvant
être dénuées d’intérêt pour le prêteur, ces dernières ne peuvent être qualifiées de prêt
à usage et ainsi d’acte à titre gratuit dans lequel il n’existe de contrepartie.
L’exploitation des droits par l’emprunteur pouvant accroitre la notoriété de l’auteur,
ce dernier pourra voir une meilleure exploitation de son œuvre et ainsi bénéficier
d’une plus forte rémunération, ou même, se voir proposer un contrat de cession de
droits à un prix prohibitif.
SECTION 2. – Les libéralités : un transfert de bien sans contrepartie
réciproque applicable au droit d’auteur
27. Les libéralités en droit d’auteur. Bien que la dévolution successorale de
l’auteur soit encadrée par le Code de la propriété intellectuelle
128, le droit d’auteur
n’échappe pas aux règles du droit commun des libéralités
129. Ainsi, comme le relevait
E. POUILLET, les droits d’auteur peuvent être cédés soit par donation entre vifs, soit
127V. infra n° 47.
128L’article L. 122-2 du CPI reconnaît la succession de l’auteur et encadre notamment l’ordre de dévolution successorale : « À leur défaut, ou après leur décès, et sauf volonté contraire de l'auteur, ce droit est exercé dans l'ordre suivant : par les descendants, par le conjoint contre lequel n'existe pas un jugement passé en force de chose jugée de séparation de corps ou qui n'a pas contracté un nouveau mariage, par les héritiers autres que les descendants qui recueillent tout ou partie de la succession et par les légataires universels ou donataires de l'universalité des biens à venir. »
129La dévolution des droits patrimoniaux et moraux de l’auteur obéissent aux règles édictées par les articles 731 et s. du C. civ., C. CARON., Droit d’auteur et droits voisins : LexisNexis, 2017, 5ème éd., p. 323, n° 341 ; Dans la pureté des principes, le don des droits d’auteur doit se conclure par acte authentique devant notaire, P.-Y. GAUTIER, Propriété Littéraire et artistique : PUF Droit, 2016, 10ème éd., p. 571, n° 531 ; V. également, quant au renvoi au droit commun, A. LUCAS., A. LUCAS-SCHLOETTER., C BERNAULT., Traité de la propriété littéraire et artistique : LexisNexis, 2017, 5ème éd., p. 559, n° 665 : V. également S. HOVASSE-BANGET, La propriété littéraire et artistique en droit des successions, th. Rennes I, 1990, p. 245, n° 243 et s.
par disposition testamentaire, tout en précisant que les règles en matière de donation
et de testament doivent être suivies
130. Plus récemment, le professeur P.-Y. GAUTIER
a considéré que les libéralités sont expressément admises et qu’elles obéissent à leurs
propres règles de validité
131. Enfin, le professeur M. VIVANT retient que la donation
est parfaitement recevable
132. En effet, le droit d’auteur étant reconnu comme une
forme de propriété à part entière
133, l’auteur peut choisir d’exercer son abusus et ainsi
de s’appauvrir de ses droits immatériels : ces derniers passeront du patrimoine du
disposant à celui du gratifié.
28. Distinction avec les contrats de bienfaisance. Les contrats de bienfaisance et
les libéralités sont distincts. La libéralité peut en effet être définie comme « une
opération consistant à transférer sans contrepartie et dans une intention libérale une
valeur patrimoniale, du patrimoine d’une personne appelée disposant, dans celui
d’une autre appelée gratifiée »
134. Plus précisément,la libéralité est l’acte par lequel
une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au
profit d’une autre personne
135. Il s’agit ainsi d’un mouvement de valeur : « une valeur
disparait du patrimoine du disposant ou du gratifiant pour se retrouver dans celui du
130E. POUILLET, Traité théorique et pratique de la propriété littéraire et artistique : LGDJ, 1908, 3ème éd., par Maillard et Claro, p. 307, n° 376.
131P.-Y. GAUTIER, op. cit. p. 570, n° 530.
132M. VIVANT., « La pratique de la gratuité en droit d’auteur » : RLDI 2010/60, n° 1993, spéc. n° 3 ; V. également N. BLANC, Les contrats du droit d’auteur à l’épreuve de la distinction des contrats nommés et innommés : Dalloz, 2010, préf. P.-Y GAUTIER, p. 252, n° 290 et s.
133C. CARON, « La fonction du droit de propriété consiste à organiser le rapport de droit entre une personne et une chose qui a une valeur. Il serait dommage que les biens immatériels, siège de valeurs importantes de nos jours, soient ainsi ignorés par le droit de propriété ». En effet, « le droit de propriété incorporelle » indiqué à l’article L. 111-1 du CPI correspond aux exigences de l’article 533 du C. civ. définissant les droits de propriété : les droits de propriété intellectuelle permettent de jouir des fruits de leur exploitation et sont susceptibles d’être cédés, op. cit. p. 267, n° 296 ; V. également P.-Y. GAUTIER, op. cit., p. 26, n° 16 ; N. BLANC, ibid., p. 232, n° 266 ; Le droit de propriété a également été reconnu par le C. const. et la CEDH, notamment dans l’affaire du 29 janvier 2009, Balan c/ Moldavie ; L’auteur dispose ainsi de l’abusus et du fructus, T. AZZI : « il peut ainsi se libérer de sa chose – qui est ici un objet immatériel – tout en renonçant à en percevoir les fruits », « La cession à titre gratuit du droit d’auteur » : RIDA 2013, n° 237 et également S. BENILSI, Essai sur la gratuité en droit privé, th. Montpellier, 2006, p. 410, n° 684 et s.
134P. GUIHO, Donation et testament : L’Hermès, 1997, p. 5, n° 1.
135C. civ., art. 893 al. 1 ; V. également P.-H., ANTONMATTEI, J. RAYNARD, « Une convention opérant transfert de propriété sans contrepartie n’est pas une vente mais une donation, pour autant que le donateur soit inspiré par l’animus donandi, l’intention libérale de gratifier », Droit civil Contrats spéciaux : LexisNexis, 2013, 7e éd., p. 79, n° 81.