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2 – L’appréhension de l’étude sociologique du don par le droit

Dans le document La gratuité en droit d'auteur (Page 81-86)

65. L’appréhension de la donation par le droit. L’étude sociologique du don a

démontré qu’il ne peut réellement exister de gratuité au sens propre du terme : la

contrepartie est inhérente à tout acte, même dans les actes à titre gratuit. La question

se pose alors de savoir comment le droit vient appréhender cette approche qu’il ne

peut nier dans la qualification des actes à titre gratuit.

Pour C. DUPOUEY, « la cause des libéralités représente un intérêt ou une

contrepartie »

273

. Ainsi, la structure des actes ne sera pas la même en fonction de

l’avantage attendu. Celui-ci pourra être moral ou non équivalent pour les actes à titre

gratuit, pécuniaire et équivalent pour les actes à titre onéreux

274

. La summa divisio se

veut alors souple dans la prise en compte de la réalité du don et le fait qu’une

contrepartie soit présente dans les actes à titre gratuit

275

. La présence de contrepartie

apparaît ainsi comme ne pouvant, à elle seule, être un élément de distinction entre acte

à titre gratuit et acte à titre onéreux

276

. La qualification des actes à titre gratuit ou à

titre onéreux se fera dans la recherche de l’existence d’une contrepartie matérielle

équivalente, contrepartie « matériellement » évaluable, à l’inverse de la contrepartie

morale, immatérielle et psychologique – comment évaluer le plaisir de procurer par la

réalisation d’un don, ou encore, l’espoir qu’un acte à titre gratuit procure un avantage

a posteriori ? –, ou de la contrepartie non-équivalente – même si le disposant reçoit

une contrepartie, celle-ci sera de valeur inférieur à sa prestation, il y a donc un

appauvrissement corrélé à un enrichissement. Compte-tenu de cette approche

fondamentale dans les relations contractuelles, et notamment dans les relations liant

un disposant et un gratifié, la notion de l’intention libérale comme cause abstraite des

actes à titre gratuit doit être retenue dans la recherche d’une volonté, de la part du

disposant, d’obtenir un déséquilibre des prestations.

273C. DUPOUEY, op. cit., p. 183, n° 266. 274Ibid.

275Ibid.

§ 2. – L’intention libérale : cause abstraite des actes à titre gratuit

66. De la théorie objective de l’intention libérale comme cause des actes à

titre gratuit. Il est admis que, dans les actes à titre gratuit, la cause

277

résidera dans

l’intention libérale, dans la recherche de l’animus donandi : « un acte ne peut être

qualifié de donation que si l’intention libérale fonde le déséquilibre des prestations

réciproques »

278

, et ce, même si un intérêt est recherché à l’acte.

Tel est le cas, par exemple, lors de la recherche d’un intérêt moral à l’acte à

titre gratuit. S’il fallait retenir la conception subjective de l’intention libérale, il serait

difficile de maintenir la qualification des actes à titre gratuit comme tel, étant admis

qu’il est toujours possible de déceler l’existence d’une contrepartie morale à un acte

qualifié de gratuit

279

.

S’agissant de l’intérêt matériel, comme dans l’hypothèse d’une donation avec

charge, la qualification de l’acte en acte à titre gratuit relèvera de la non-équivalence

des prestations mais également de cette non-équivalence voulue : « peu importe les

mobiles, seule compte (…) la volonté de ne pas obtenir de contre-prestation »

280

.

277L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations vient inscrire dans le Code civil trois conditions tenant à la validité du contrat : le consentement des parties, leur capacité à contracter et un contenu licite et certain. Exit la « cause licite » : « l’objet et la cause fusionnent sous une bannière commune : le contenu » (R. BOFFA, « Juste cause (et injuste clause). Brèves remarques sur le projet de réforme de droit des contrats » : D. 2015, p. 335, n° 4). Si certains auteurs ont dénoncé sa disparition (V. notamment R. BOFFA, op. cit., ; D. MAZEAUD, « Pour que survive la cause, en dépit de la réforme ! » : D. P, oct. 2014, p. 38), d’autres applaudissent l’initiative du législateur (N. MOLFESSIS, « Droit des contrats : l’heure de la réforme » : JCP G 2015, doctr. 199 ; Du même auteur, « Droit des contrats : que vive la réforme ! » : JCP G 2016, 180 ; V. également, sur les contrats « structurellement déséquilibrés », T. REVET, « Le projet de réforme et les contrats structurellement déséquilibrés » : D. 2015, 1217 ; L. AYNES, « La cause, inutile et dangereuse » : D. P, oct. 2014, p. 40). Il apparaı̂t néanmoins possible de déceler, dans l’ordonnance, la présence de conditions tenant à la reconnaissance de la cause et d’être moins catégorique sur la suppression de la cause. En effet, le futur article 1167 du Code civil dispose qu’« un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire ». N’est-ce pas là, comme le relève C. GRIMALDI, la reprise par le législateur de la cause, « autrement nommée » (C. GRIMALDI, « Les maux de la cause ne sont pas qu'une affaire de mots » : D. 2015. 814) ? Il faut alors en ce sens affirmer, comme le fait D. MAZEAUD, que « c’est moins la disparition de la notion de cause que le projet de réforme emporterait, que la suppression du mot « cause » » (D. MAZEAUD, « Pour que survive la cause, en dépit de la réforme ! », op. cit., p. 39).

278S. LAMBERT, op. cit., p. 267. 279V. supra n° 63 et s.

280S. BENILSI, op. cit., p. 120, n° 198 ; Néanmoins, dans l’hypothèse où la charge concerne l’exploitation ou la gestion des droits, il sera difficile d’envisager la conclusion d’une donation avec charge, v. infra n° 95.

La présence de l’intention libérale, entendue dans son acception objective,

conditionne ainsi la qualification des actes à titre gratuit. À défaut, l’acte ne pourra

garder cette qualification, ce qui aboutirait alors à un enrichissement sans cause ou à

une action en répétition de l’indu.

67. Conclusion de la Section 1. L’intention libérale apparaît comme étant la cause des

actes à titre gratuit. Néanmoins, la conception subjective n’apparaît pas opportune

pour la recherche d’une telle qualification : rechercher l’ensemble des mobiles ayant

entrainé la conclusion d’un acte à titre gratuit s’avèrerait fastidieux et de plus, pourrait

annihiler l’existence des actes à titre gratuit. La conception objective, quant à elle, ne

retient que l’élément matériel : le transfert de valeur. Cette dernière se rapproche le

plus des relations pouvant exister entre les parties lors de la conclusion d’un acte à

titre gratuit. Il est évident de reconnaître que la gratuité dans sa dimension altruiste

apparaît ainsi utopique. En effet, même si matériellement, l’acte peut être qualifié

d’acte à titre gratuit, la réalisation de cet acte peut procurer, pour le disposant, une

réelle contrepartie : le simple plaisir de donner ou l’attente d’une contrepartie future

de la part du gratifié ou d’un tiers

281

. C’est en ce sens que l’approche objective – ou

abstraite – de l’intention libérale doit être retenue. L’intention libérale apparaît alors

comme précédant l’élément matériel, ce dernier se traduisant par l’appauvrissement

du patrimoine du disposant au profit du patrimoine du gratifié, comme la volonté de la

part du disposant de ne recevoir une contrepartie équivalente à son acte de

disposition

282

.

Cette définition retenue de l’intention libérale va se confirmer dans la

recherche de l’intention libérale chez l’auteur. En effet, si ce dernier peut avoir la

volonté de s’appauvrir au profit d’autrui, cela n’enlève en rien la possible présence

d’une contrepartie morale, cette dernière pouvant alors se traduire pour l’auteur par

l’attente d’un gain de notoriété.

281V. également en ce sens, O. DESHAYES, « Gratuité et contrat : l’acte à titre gratuit est-il un contrat ? » : La gratuité, un concept aux frontières de l’économie et du droit, dir. N. MARTIAL-BRAZ, C. ZOLYNSKI : LGDJ, 2013, p. 134.

SECTION 2. – L’intention libérale de l’auteur

68. L’intention libérale de l’auteur. La validité d’un acte à titre gratuit tient non

seulement à l’existence d’un appauvrissement du donateur corrélé à un enrichissement

du donataire, mais également à la volonté et conscience, de la part du donateur, de

s’appauvrir. Cependant, cette volonté alors appréhendée comme l’intention libérale

nécessaire à la conclusion d’un acte à titre gratuit ne retient que la volonté du

donateur de s’appauvrir matériellement ou immatériellement – par le transfert de

droits d’auteur –, et non la recherche des motifs ayant conduit l’auteur à conclure cet

acte à titre gratuit. C’est ainsi que la contrepartie morale attendue par l’auteur ne suffit

pas à disqualifier un acte comme étant à titre gratuit (§1). Il sera alors possible de

rechercher l’existence de l’intention libérale de l’auteur lors de la conclusion, par ce

dernier, d’un acte à titre gratuit (§2). L’intention libérale de l’auteur se traduira alors

par la volonté de s’appauvrir « patrimonialement », ce dernier pouvant néanmoins

prétendre, lors de cet appauvrissement, à une contrepartie morale.

§ 1. – La contrepartie morale de l’auteur : critère insuffisant à la

disqualification des actes à titre gratuit

69. Détermination de la contrepartie morale. Si la contrepartie matérielle peut

se définir comme la réalisation d’une prestation objectivement équivalente

283

, il

apparaît difficile, à l’inverse, de donner une définition de ce que pourrait être la

contrepartie morale. Il apparaît alors utile de s’intéresser à la jurisprudence en la

matière, et plus particulièrement à celle retenant la présence de contrepartie morale

comme disqualifiant les actes à titre gratuit.

70. La « contrepartie morale » : élément de disqualification des actes à titre

gratuit. Le 2 février 1875, le tribunal civil de Mamers a eu à se prononcer sur la

gratuité de la prise en charge des travaux de réparation d’une église communale par

une habitante de la commune

284

. Pour les juges, il n’y avait pas de donation car il eut

fallu que « la demanderesse eût préféré la commune à elle-même ». Ainsi, même si la

donatrice avait financé, à sa charge, les travaux de réparation de l’église, les juges ont

retenu que, compte tenu de sa fortune, celle-ci avait agi dans un but égoïste, ne

préférant pas la commune à elle-même : il n’y avait alors aucune pensée altruiste.

Mais les juges sont revenus sur cette acception qui consacrait comme condition de

validité à la libéralité l’inexistence d’un intérêt moral, et par là même, la théorie dite

subjective de l’intention libérale. Dans une décision du 24 juillet 1913, les juges de la

cour d’appel de Paris ont consacré la validité de l’acte de donation malgré l’existence

d’un possible intérêt moral : « la satisfaction de piété ou d’amour propre que [le

disposant] a pu éprouver (…) ne saurait être mise en balance avec le service rendu à

une fabrique »

285

. Les juges admettent ainsi que la prise en compte d’un tel intérêt

reviendrait à dire qu’« il n’y aurait jamais de libéralité »

286

. Malgré cette position de

la cour d’appel de Paris, les décisions postérieures ont de nouveau consacré une

approche subjective de l’intention libérale. C’est ainsi que la cour d’appel de Lyon a

estimé, dans une décision rendue le 8 juin 1971, qu’il y a satisfaction morale du

donateur lorsque « la participation aux buts de l’association » lui tenait à cœur,

constituant alors un « avantage moral »

287

. En effet, en « assurant

proportionnellement à son apport la réalisation [des buts], l’apporteur reçoit un

avantage moral et une considération sociale du milieu duquel il aime à vivre, qui

compense pour lui l’abandon provisoire du bien apporté »

288

. La Cour de cassation a

également suivi ce courant en estimant que l’apport d’un immeuble destiné à héberger

284Trib. civ. Mamers, 2 févr. 1875 : D.P 1875. 2. 188 ; V. aussi en ce sens Trib. civ. Orléans, 6 juill. 1911 : « cet avantage moral était pour eux l’équivalent du sacrifice pécuniaire qu’ils s’imposaient » ; Orléans, 20 mars 1852, la nature onéreuse de l’opération a été retenue car les disposants avaient demandé au donataire de renoncer à l’ancien article 913 du Code civil relatif à la fixation de la quotité disponible, cités par M. BOUYSSOU, Les libéralités avec charges en droit civil français, 1947, préf. G. MARTY, p. 163, n° 99.

285CA Paris, 24 juill. 1913 : D. 1914. 2. 53, note H. L. 286Ibid.

287CA Lyon, 8 juin 1970 : D. 1971. 555, note M. Chavrier, Rép. Def. 1972. 201, note Ph. Malaurie. 288Ibid.

une école « excluait l’intention libérale » car le disposant avait voulu rechercher une

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